Sermon du patriarche Cyrille sur la fête de l’Exaltation de la Sainte Croix

Le 27 septembre 2022, en la fête de l’Exaltation de la Croix selon l’ancien calendrier, le patriarche de Moscou Cyrille a célébré la sainte Liturgie en la cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou et a prononcé l’homélie suivante à l’issue de l’office :

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« Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit,

« La croix est une folie pour ceux qui périssent ; mais pour nous qui sommes sauvés, elle est une puissance de Dieu », voici ce que nous enseigne aujourd’hui la Sainte Écriture. Il en est vraiment ainsi. Qu’est-ce que la croix ? La croix est le symbole des souffrances, des tourments et de la mort. Et comment donc ces terribles phénomènes peuvent être attirants pour l’homme, comment peuvent-ils déterminer la vie de l’homme dans une direction positive ? Et ceux qui ne comprennent pas le sens des souffrances du Seigneur sur la Croix – ceux qui jadis ne le comprenaient pas et qui, aujourd’hui, ne le comprennent pas encore – tournent simplement le dos à cette très grande révélation du Nouveau Testament. Mais pourquoi nous-mêmes ne nous en détournons pas ? Pourquoi sommes-nous d’accord avec le fait que la croix n’a pas seulement apporté les souffrances, mais par celles-ci le salut ? Parce que les plus grands sentiments humains ont été révélés sur la croix, et à cette échelle globale qu’il est impossible de réaliser dans une seule personne humaine. Quels sont ces sentiments, quelles sont ces manifestations de l’âme humaine ? C’est le sacrifice et l’amour. Et si l’on définit l’apogée du développement de la capacité de l’homme de se sacrifier et d’aimer, cet apogée est le Sacrifice du Golgotha. Il va de soi que l’expérience humaine de sacrifice et d’amour ne peut atteindre cet apogée salvatrice qui a été manifestée sur le Golgotha. Mais l’amour du Christ Sauveur désigne un repère, une certaine direction d’un mouvement. Par la Croix du Christ, nous prenons conscience que le sacrifice et l’amour constituent les plus grandes valeurs pour l’homme, pour la plénitude de sa vie. En même temps, ce sont les plus grandes vertus qui justifient l’homme devant Dieu, par lesquelles l’homme rachète ses péchés. Nous savons que le Sacrifice du Golgotha était le Sacrifice de la rédemption. Le Seigneur a accepté ces terribles tourments afin de racheter devant la Justice Divine tous les péchés du monde. Nos croix mutuelles, nos souffrances ne peuvent être comparées avec ce qu’a accompli le Sauveur. Mais, à l’échelle de nos possibilités humaines, à l’échelle de la personnalité de chacun, le sacrifice et l’amour sont réellement l’apogée de la vie spirituelle. Mais qu’est-ce qui se passe si nous tournons le dos à ces valeurs ? En fait, pourquoi dois-je sacrifier quelque chose pour un autre homme ? L’homme qui renie l’importance du sacrifice peut produire de nombreux arguments utilitaires similaires. Pourquoi dois-je sacrifier quelque chose, au nom de quoi ? Mais le jour d’aujourd’hui [de la fête de la Croix, ndt] peut enseigner à tous, même ceux qui par principe nient la possibilité non seulement de se sacrifier eux-mêmes – il n’est pas question de cela ! – mais ne serait-ce qu’une parcelle de leur vie, de leur temps, de leurs possibilités matérielles. Le jour d’aujourd’hui peut convaincre celui qui nie la nécessité du sacrifice que le sacrifice apporte à l’homme le salut. Et le synonyme de salut, dans notre langue habituelle, s’appelle « le bonheur ». Si nous sommes capables d’associer le sacrifice et le bonheur, c’est alors que les relations humaines changeront radicalement. Parce que l’homme veut toujours recevoir quelque chose. Tu as fait un travail, tu veux recevoir de l’argent, tu travailles bien, tu veux recevoir une promotion dans ta carrière ; oui, tant soit peu attrayante une valeur pour nous, nous sommes prêts à travailler pour l’obtenir, voire nous sacrifier ! Et c’est ce qui se passe dans notre vie. Celui qui travaille bien, perd son temps, parfois risque même sa santé, mais il reçoit pour cela à la fois une incitation matérielle et un avancement dans sa carrière. Mais alors comment agir dans la vie spirituelle ? Le jour d’aujourd’hui nous aide à comprendre que lorsque nous nous offrons en sacrifice, lorsque nous nous partageons notre temps avec les autres, nos possibilités matérielles, notre amour, et ce sincèrement, non par opportunisme ou nécessité, mais avec tout notre cœur, alors nous recevons un grand don de Dieu. Nous devenons plus proches de Dieu, le Seigneur nous pardonne nos péchés. Même le droit, par lequel est dirigé la société humaine, dispose que le criminel doit racheter sa faute, et un tel rachat est constitué le plus souvent par l’emprisonnement. Et comment pouvons-nous racheter notre faute au cours de notre vie terrestre, afin de ne pas nous présenter devant Dieu avec notre faute ? Notre rédemption, ici, est le sacrifice, l’amour sacrificiel, l’aide à ceux qui souffrent. Et ce non pour se faire remarquer devant les caméras de télévision ou pour que les journaux parlent de vous, mais simplement pour venir et aider tranquillement…

Je dois vous dire que beaucoup de gens agissent ainsi aujourd’hui. Des informations me parviennent, qui ne tombent pas dans la sphère publique, raison pour laquelle je ne peux citer des noms, mais on est réellement étonné par l’esprit de sacrifice qui est manifesté par beaucoup, beaucoup de nos concitoyens. Particulièrement maintenant, lorsqu’il y a une situation si difficile en Ukraine, lorsqu’en défendant notre Patrie historique – tant la Russie que l’Ukraine – nos militaires sacrifient leur santé et leur vie, combien il est important que tout notre peuple soit apte à se sacrifier au nom du Christ pour tous ceux qui en ont besoin, non pas verbalement, mais par leur être même ! Parfois, on pose la question : « Oui, mais qui aider ? Je regarde à droite, à gauche, je ne vois pas… » Alors, il faut prier pour que le Seigneur ouvre nos yeux spirituels, afin que nous voyions qui aider. En réponse à la prière, le Seigneur répond toujours de la façon la plus inattendue et donne la possibilité de manifester son amour, son esprit de sacrifice, afin de Lui offrir un sacrifice à Lui en premier lieu et, par ce sacrifice, recevoir le pardon des péchés et la joie de l’âme. Je veux dire encore qu’aujourd’hui, c’est le moment de se poser particulièrement cette question décisive : « Que ferai-je ? » Parce que ce qui se passe aujourd’hui sur les espaces de la Sainte Rus’, bien sûr, assombrit le cœur de nombreuses personnes. Je ne parlerai pas de moi, mais c’est avec ces pensées, avec cette souffrance que je me couche, que je me lève et que je passe toute la journée, parce que je ne suis pas seulement patriarche de Moscou, mais aussi de toute la Rus’. En même temps, je crois que, par la miséricorde Divine, cette épreuve passera, qu’elle ne sapera pas les profonds fondements de notre existence commune qui préservent dans l’unité le peuple de la sainte Rus’ vivant en Russie et en Ukraine. Je crois que le Seigneur fera preuve de miséricorde et que la guerre fratricide cessera. Et là où il y a aujourd’hui perplexité, souffrances et affliction devront se manifester notre amour humain l’un envers l’autre. Et en réponse à cet amour viendra l’amour du Seigneur envers notre peuple unique, pour ceux qui vivent en Russie et en Ukraine et pour ceux qui vivent dans les différentes parties de la terre. Que le Seigneur, en ce temps très difficile, nous renforce dans la foi et la piété. En premier lieu, je m’adresse maintenant à ces orthodoxes qui considèrent que l’on peut fréquenter l’église une fois par an, et cela suffit. D’autres disent : il faut fréquenter l’église pendant le carême, communier, et cela suffit. Les troisièmes disent : il suffit d’une fois par mois. Et les uns, et les autres, et les troisièmes, n’ont pas raison ! Le jour du dimanche nous est donné afin que le consacrions à Dieu. Et à ceux qui ne souhaitent pas rendre à Dieu une partie de la journée dominicale, pendant qu’il fera quelque chose de mieux pour lui-même, à savoir regarder la télévision, se promener, aller chez des amis, ceux-ci font une grande erreur. « Tu consacreras le septième jour au Seigneur Ton Dieu » dit le commandement divin. Et cela signifie que le jour du dimanche doit commencer par la prière. Mais si, du fait de certaines circonstances, l’homme ne peut pas aller à l’église (bien que souvent ces circonstances soient un prétexte), il faut au moins, le matin, prier avec sa famille, demander au Seigneur pardon pour ne pas être allé à l’église. Cela est si important, mes chers ! Mes parents ont vécu le siège de Leningrad, et ils m’ont raconté que les églises étaient remplies, que les gens affamés, presque mourants, affluaient vers les églises, malgré les bombardements, malgré l’affaiblissement de toutes leurs forces physiques. Les églises de Leningrad étaient bondées pendant le siège et, peut-être, cette prière a sauvé la ville. Je ne veux pas comparer l’époque actuelle avec ce qu’ont vécu les habitants de Leningrad durant les années très difficiles du siège, pourtant, dans un certain sens, aujourd’hui a commencé une époque fatidique. Parce que nombreux sont ceux qui se sont dressés contre la Rus’, qui se sont mis dans la tête le désir de détruire la Russie, son identité, son indépendance, sa liberté. Aussi, nous devons aujourd’hui renforcer particulièrement notre foi, remplir nos églises, prier pour les autorités et pour l’armée, pour nos parents et proches, pour l’Église orthodoxe, qui dans ces circonstances des plus difficiles garde l’unité spirituelle de la Sainte Rus’. Et que le Seigneur nous vienne en aide ! Je veux dire encore que nous avons vécu avec vous jusqu’à un moment crucial et, dans un moment crucial, il faut renouveler sa foi, aiguiser sa conscience et sa mémoire, regarder différemment beaucoup de choses qu’encore hier nous regardions sans attention et sans préoccupation particulières. Et alors notre mobilisation spirituelle, à laquelle j’appelle tous maintenant, aidera aussi la mobilisation de toutes les forces de notre Patrie, et simultanément, elle aidera indubitablement en fin de compte la réconciliation complète de la Russie et de l’Ukraine, qui sont l’espace uni de l’Église orthodoxe russe. Vous pouvez vous imaginer ma situation en tant que Patriarche de toute la Rus’, alors que frère tue le frère. Probablement, certains, partageant des opinions politiques extrêmes, diront : voici qu’il prêche le pacifisme, alors que… Non pas le pacifisme, mais par ces mots je témoigne seulement de notre devoir commun devant Dieu : prier pour la cessation de la guerre fratricide, faire tout pour rétablir les relations fraternelles des deux parties de la Rus’ unie et prier encore pour le Seigneur évite particulièrement à notre jeunesse que leur vie soit écourtée dans cette guerre fratricide. Et pour qu’il en soit ainsi, il faut, il le faut, que la guerre cesse. Que le Seigneur nous aide, ainsi que les saints de Dieu de la Rus’ unie, les saints de la Laure-des Grottes-de Kiev et les saints des nombreux monastères, dont la Laure-de-la-Trinité-Saint-Serge sur les étendues de la grande Rus’ ! Espérons dans leurs prières, parce que leur âme est affligée aujourd’hui et souffre pour ce qui se produit. Et espérons que, par des efforts communs, sans pour autant suivre la voie de compromis dangereux pouvant nuire à la Rus’ une, nous nous engagions simultanément sur la voie de la réconciliation et du rétablissement de l’unité spirituelle qui a été formée au sein de l’Église orthodoxe russe une. Que la bénédiction divine repose sur toute la Sainte Rus’, sur les dirigeants, sur les dirigeants ecclésiastiques, sur les militaires et sur tous ceux dont dépend l’issue pacifique et le résultat positif du dangereux affrontement actuel de deux peuples frères. Que le Seigneur nous garde nous et nous affermisse dans la foi, l’amour et la concorde. Amen ».

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