La contribution de l’Église orthodoxe à la réalisation de la paix, de la justice, de la liberté, de la fraternité et de l’amour entre les peuples et à la suppression des discriminations raciales et autres
Projet de document du Concile panorthodoxe, approuvé par la Synaxe des Primats des Eglises orthodoxes locales à Chambésy, 21-28 janvier 2016.
Publié conformément à une résolution de la Synaxe des Primats
L’Eglise du Christ vit ‘dans le monde’, mais elle ‘n’est pas de ce monde’ (Jn. 17,11 et 14-15). L’Eglise constitue le signe et l’image du royaume de Dieu dans l’histoire, car elle annonce une ‘nouvelle créature’ (II Cor 5, 17), ‘des cieux nouveaux et une terre nouvelle où la justice habite’ (II P 3, 13), un monde dans lequel Dieu ‘ essuiera toute larme de leurs yeux, la mort ne sera plus, il n’y aura ni deuil, ni cri, ni souffrance’ (Ap 21, 4-5)
Cette attente est déjà vécue et goûtée d’avance dans l’Eglise, par excellence chaque fois qu’elle célèbre la divine Eucharistie et que se réunissent ‘en assemblée’ (I Cor 11, 17) les enfants dispersés de Dieu (Jn 11, 52), en un corps sans distinction de race, de sexe, d’âge, d’origine sociale ou toute autre forme de distinction , là ou ‘il n’y a plus ni Juif, ni Grec, il n’y a plus ni esclave, ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme’ (Gal 3, 28, Col 3, 11), dans un monde de réconciliation, de paix et d’amour.
L’Eglise vit aussi cet avant-goût de la ‘nouvelle créature’, du monde transformé à travers ses Saints qui, par l’ascèse et par leur vertu, sont déjà devenus dans cette vie des images du royaume de Dieu, montrant et assurant ainsi que l’attente d’un monde de paix, de justice et d’amour n’est pas une utopie, mais, « la ferme assurance des choses qu’on espère » (Hb, 11, 1) qui est possible avec la grâce de Dieu et la lutte spirituelle de l’homme.
Continuellement inspirée par l’attente et par cet avant-goût du Royaume de Dieu, l’Eglise ne reste pas indifférente aux problèmes de l’homme à toutes les époques, tout au contraire elle partage son inquiétude et ses problèmes vitaux, se chargeant, comme son Seigneur, de la douleur, des blessures, suscitées par le mal qui agît dans le monde et comme le bon Samaritain, panse ses plaies, en versant de l’huile et du vin (Lc 10,34) « par la parole de patience et de consolation » (Rom 15, 4, Hb 13, 22) et par l’amour actif. Sa parole envers le monde n’a pas pour but de dénoncer, de juger ou de condamner le monde (Jn 3,17 et 12, 47), mais de lui procurer comme guide l’Evangile du Royaume de Dieu, l’espoir et la certitude que le mal, sous n’importe quelle forme, n’a pas le dernier mot dans l’histoire et qu’il ne faut pas lui laisser diriger son cours.
Se basant sur ces principes et sur l’ensemble de l’expérience et de l’enseignement de sa tradition patristique, liturgique et ascétique, l’Eglise orthodoxe partage les soucis et les angoisses de l’homme de notre époque confronté aux problèmes existentiels qui préoccupent le monde moderne, désirant contribuer à leur résolution afin d’offrir au monde la paix de Dieu « laquelle surpasse toute intelligence » (Phil 4, 7) la réconciliation et l’amour.
A. La valeur de la personne humaine
1. La sainteté de la personne humaine, découlant de la création de l’homme à l’image de Dieu et de sa mission dans le plan de Dieu pour l’homme et le monde, fut la source d’inspiration pour les Pères de l’Église orthodoxe qui se sont penchés sur le mystère de l’économie divine. Saint Grégoire le Théologien souligne dans ce contexte que le Créateur a placé l’homme sur terre, tel un second monde, macrocosme dans le microcosme, tel un autre ange, un être double crée pour L’adorer, un surveillant de la création visible, un initié du monde intelligible, un être régnant sur les êtres de la terre (…) un être vivant dans ce monde et aspirant à un autre, l’achèvement du mystère, s’approchant de Dieu par la théosis (Grégoire le Théologien, Oratio 45,7. PG 36, 632AB). La création trouve son fondement et son aboutissement dans l’incarnation du Logos de Dieu et la divinisation de l’homme. Le Christ, en renouvelant en Lui-même l’ancien Adam (cf.Eph. 2,15), « divinisait, ce faisant, l’homme entier, ce qui constituait le début de l’accomplissement de notre espérance » (Eusèbe, Demostr. Evang. 4, 14. PG 22, 289A). Cet enseignement de l’Eglise est la source de tout effort chrétien pour sauvegarder la dignité et la grandeur de la personne humaine.
2. Sur cette base, il est indispensable de promouvoir dans toutes les directions la collaboration interchrétienne pour sauvegarder la dignité de la personne humaine et la paix, de manière à ce que les efforts pacifiques de tous les chrétiens acquièrent plus de poids et de force.
3. La reconnaissance commune de la valeur éminente de la personne humaine peut servir de prémisse à une collaboration plus large en ce domaine. Les Églises orthodoxes sont appelées à contribuer à la concertation et à la collaboration interreligieuses et, par ce biais, à la suppression de toute manifestation de fanatisme ; par-là elles œuvreront en faveur de la réconciliation des peuples et du triomphe des biens que constituent la liberté et la paix dans le monde, au service de l’homme, indépendamment des races et des religions. Il va de soi que cette collaboration exclut tout syncrétisme ainsi que toute tentative d’une religion de s’imposer aux autres.
4. Nous sommes convaincus que, associés à l’œuvre de Dieu (I Cor 3, 9), nous pouvons progresser dans ce ministère en commun avec tous les hommes de bonne volonté qui se consacrent à la recherche de la paix véritable pour le bien de la communauté humaine, au niveau local, national et international. Ce ministère est un commandement de Dieu. (Mt 5, 9.)
B. Liberté et responsabilité
1. Le don de la liberté est l’un des plus grands dons de Dieu à l’homme, aussi bien en tant que porteur concret de l’image d’un Dieu personnel, aussi bien qu’en tant que membre de la communion des personnes reflétant par la grâce, à travers l’unité du genre humain, la vie en la Sainte Trinité et la communion des Trois Personnes. « Dieu a créé l’homme initialement libre et lui a donné le libre arbitre, avec comme seul restriction la loi du commandement » (Grégoire le Théologien, Oratio XIV, 25. PG 35, 892A). La liberté rend l’homme capable de progresser indéfiniment vers la perfection spirituelle, mais, en même temps, implique le danger de la désobéissance, le risque de l’insoumission envers Dieu et, par conséquent, de la chute, d’où les conséquences tragiques du mal dans le monde.
2. Les conséquences de ce mal sont les imperfections et les manquements qui sont l’apanage de notre temps, comme la sécularisation, la violence, le relâchement des mœurs, les phénomènes malsains engendrées par le fléau de drogues et d’autres addictions chez une partie de la jeunesse contemporaine, le racisme, la course à l’armement, les guerres et les maux sociaux causés par eux, l’oppression de groupes sociaux, de communautés religieuses, de peuples entiers, les inégalités sociales, la limitation des droits de l’homme dans le domaine de la liberté de conscience et tout particulièrement de la liberté religieuse, la désinformation et la manipulation de l’opinion publique, la misère économique, l’injustice dans la répartition des biens élémentaires pour la vie ou leur absence totale, la famine de millions d’hommes, les déportations forcées de population ou le commerce des hommes, l’afflux des réfugiés, la destruction de l’environnement, l’utilisation incontrôlée de la biotechnologie génétique et de la biomédecine sur le commencement, la durée et la fin de la vie humaine, – tout cela entretient l’angoisse infinie dans laquelle se débat l’humanité de nos jours.
3. Face à cette situation, qui a conduit à une dégradation du concept de personne humaine, le devoir de l’Église orthodoxe consiste aujourd’hui à faire valoir, à travers sa prédication, sa théologie, son culte et son activité pastorale, la vérité de la liberté en Christ. « Tout est permis, mais tout n’est pas utile ; tout est permis, mais tout n’édifie pas. Que personne ne cherche son propre intérêt, mais que chacun cherche celui d’autrui. Je parle ici, non de votre conscience, mais de celle de l’autre. Pourquoi, en effet, ma liberté serait-elle jugée par une conscience étrangère ? » (I Cor. 10, 23-24. 10, 29). La liberté sans responsabilité et sans amour mène finalement à la perte de la liberté.
C. De la paix et de la justice
1. L’Église orthodoxe reconnait et souligne diachroniquement la place centrale de la paix et de la justice dans la vie humaine. La révélation même en Christ est caractérisée comme évangile de paix (Ep 6, 15), car le Christ en instaurant la paix par le sang de sa Croix (Col 1, 20), est venu proclamer la paix, paix pour vous qui étiez loin, paix pour ceux qui étaient proches (Eph 2, 17). Il est devenu notre paix (Ep2, 14). Cette paix qui surpasse toute intelligence (Ph 4, 7), est, comme le Christ lui-même l’a dit à ses apôtres avant sa Passion, plus large et plus essentielle que celle promise par le monde : Je vous laisse la paix, c’est ma paix que je vous donne ; je ne vous la donne pas comme le monde la donne (Jn14, 27). Car la paix du Christ est le fruit mûr de la récapitulation de toutes choses en Lui ; de la dignité et de la grandeur de la personne humaine, en tant qu’image de Dieu ; de la manifestation de l’unité organique du genre humain et du monde en Christ ; de l’universalité dans le corps du Christ des idéaux de la paix, de la liberté et de la justice sociale ; et enfin de la fécondité de l’amour chrétien entre les hommes et les peuples. La véritable paix est le fruit du triomphe sur terre de tous ces idéaux chrétiens. C’est la paix qui vient d’en haut que l’Église orthodoxe appelle toujours de ses vœux dans ses prières quotidiennes, en la demandant à Dieu qui peut tout et qui exauce les prières de ceux qui viennent à Lui avec foi.
2. Ce qui précède montre clairement pourquoi l’Église, en tant que corps du Christ (I Co 12, 27), prie toujours pour la paix du monde entier laquelle, selon Clément d’Alexandrie, est synonyme de la justice (Stromates, 4, 25. PG 8, 1369B-72A). Basile le Grand ajoute : « Je ne peux me convaincre que je suis digne d’être appelé serviteur de Jésus-Christ si je ne suis pas à même d’aimer les autres et de vivre en paix avec tout le monde – au moins en ce qui dépend de moi » (Epist. 203, 1. PG 32, 737B). Cela est, comme le même Père mentionne, tellement naturel pour le chrétien qu’on pourrait affirmer qu’il n’y a rien d’aussi spécifiquement chrétien que d’œuvrer en faveur de la paix (Epist. 114. PG 32, 528B). La paix du Christ est la force mystique qui prend sa source dans la réconciliation de l’homme avec Son Père céleste, grâce à la providence de Jésus qui opère tout en tous, crée une paix indicible prédestinée depuis le début des siècles, nous réconcilie avec lui-même et, à travers lui-même, avec le Père (Denys Aréopagite, De nom. div.. 11, 5. PG 3, 953AB).
3. Nous devons souligner en même temps que les dons spirituels de la paix et de la justice dépendent aussi de la synergie humaine. Le Saint-Esprit accorde les dons spirituels, lorsque l’homme cherche dans le repentir la paix et la justice de Dieu. Ces dons de la paix et de la justice se réalisent là où les chrétiens font des efforts en faveur de la foi, de l’amour et de l’espérance en Jésus-Christ notre Seigneur (I Th 1, 3).
4. Le péché est une maladie spirituelle dont les symptômes visibles sont les conflits, les discordes, les crimes et les guerres avec leurs conséquences tragiques. L’Église essaie de guérir non seulement les symptômes visibles de cette maladie, mais aussi la maladie même, le péché.
5. En même temps, l’Église orthodoxe pense qu’il est de son devoir d’encourager tout ce qui est mis réellement au service de la paix (cf. Rm 14, 19) et qui ouvre la voie vers la justice, la fraternité, la véritable liberté et l’amour mutuel de tous les enfants de l’unique Père céleste, ainsi que de tous les peuples qui constituent une famille humaine. Elle compatit avec tous les gens qui, dans différentes parties du monde, sont privés des biens de la paix et de la justice.
D. La paix et la prévention de la guerre
1. L’Église du Christ condamne la guerre de manière générale, car elle la considère comme conséquence du mal et du péché dans le monde ; D’où viennent les luttes, et d’où viennent les querelles parmi vous ? N’est-ce pas de vos passions qui combattent dans vos membres ? (Jc 4,1).Chaque guerre constitue une menace destructive pour la création et la vie.
Surtout, en cas de guerres menées avec des armes de destruction massive, les conséquences seraient terrifiantes, non seulement parce qu’elles causeraient la mort d’un nombre incalculable d’êtres humains, mais en plus parce que la vie des survivants deviendrait insupportable. Des maladies incurables apparaîtront, des mutations génétiques et d’autres maux seront provoqués qui affecteront gravement les générations futures.
Ce n’est pas seulement l’armement nucléaire qui est très dangereux, mais l’armement chimique et biologique et aussi toute forme d’armement qui suscite une illusion de suprématie et de domination sur le monde environnant. Ce type d’armement entretient un climat de peur et de manque de confiance et devient la cause d’une nouvelle course aux armements.
2. L’Église du Christ, considérant principalement la guerre comme une conséquence du mal et du péché dans le monde, encourage chaque initiative et chaque effort pour éviter ou prévenir la guerre à travers le dialogue et tout autre moyen approprié. Au cas où la guerre deviendrait inévitable, l’Église continue de prier et de prendre soin pastoralement de ses enfants qui sont impliqués dans les conflits guerriers pour défendre leur vie et leur liberté, faisant toutes sortes d’efforts pour que le rétablissement de la paix soit la plus rapide.
3. L’Église orthodoxe condamne fermement toute sorte de conflits et de guerres, motivées par le fanatisme dérivant de principes religieux. La tendance sans cesse croissante à l’augmentation des répressions et des persécutions des chrétiens et d’autres communautés à cause de leur foi, au Moyen Orient et ailleurs, ainsi que le déracinement du christianisme de son berceau historique suscite une préoccupation profonde. Ainsi sont menacées les relations interreligieuses et interethniques existantes, en même temps que beaucoup de chrétiens sont forcés de quitter leurs patries. Les orthodoxes du monde entier compatissent à leurs frères chrétiens et à tous les autres persécutés dans cette région et appellent à trouver une solution équitable et permanente des problèmes de la région.
L’Eglise orthodoxe condamne aussi les guerres suscitées par le nationalisme et celles qui provoquent des épurations ethniques, des changements de frontières étatiques et l’occupation de territoires.
E. L’Eglise Orthodoxe face aux discriminations
1. Le Seigneur, Roi de justice (cf. He 7, 2-3), désapprouve la violence et l’injustice (cf. Ps 10, 5), condamne le comportement inhumain envers son prochain (cf. Mc 25, 41-46 et Jc 2, 15-16). Dans Son royaume – l’image et la présence de celui-ci dans ce monde étant l’Eglise – il n’y a aucune place ni pour les haines entre les nations, ni pour l’inimitié et l’intolérance d’aucune sorte (cf. Es 11, 6 et Rm 12, 10).
2. La position de l’Eglise orthodoxe sur ce sujet est tout à fait claire : l’Église orthodoxe croit que Dieu à partir d’un seul homme a créé tous les peuples pour habiter toute la surface de la terre (Ac 17, 26) et que, en Christ, il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus ni homme ni femme, car tous vous ne faites qu’un (Gal 3, 28). À la question, qui est mon prochain ? , le Christ a répondu par la parabole du bon Samaritain (Lc 10, 25-37). Il nous a ainsi appris à abolir toute barrière d’inimitié et de préjugé. L’Eglise Orthodoxe confesse que chaque être humain – indépendamment de sa couleur, de sa religion, de sa race, de son sexe, de sa nationalité et de sa langue – est créé à l’image et à la ressemblance de Dieu et est ainsi un membre à part égale de la communauté humaine. Conformément à sa foi, l’Église rejette la discrimination sous les formes énumérées ci-dessus, supposant une distinction dans la dignité entre personnes.
3. L’Eglise, respectant les principes des droits de l’homme et d’égalité de traitement des hommes, envisage l’application de ces principes à la lumière de sa doctrine sur les sacrements, la famille, la place de l’homme et de la femme dans l’Eglise et les valeurs de la tradition ecclésiale en général. L’Eglise se réserve le droit de porter et porte le témoignage de sa doctrine dans l’espace public.
F. La mission de l’Eglise orthodoxe comme témoignage d’amour dans la diaconie
1. Accomplissant sa mission de salut dans le monde, l’Église orthodoxe prend activement soin de tous ceux qui ont besoin d’aide, des affamés, des nécessiteux, des malades, des handicapés, des personnes âgées, des opprimés, des captifs, des prisonniers, des sans-abris, des orphelins, des victimes des catastrophes et des conflits armés, du trafic des êtres humains et des formes modernes d’esclavage. Les efforts de l’Église orthodoxe pour surmonter l’extrême misère et l’injustice sociale sont une expression de sa foi et un service rendu au Seigneur Lui-même, qui s’identifie à tous les hommes, et plus encore aux nécessiteux : « Tout ce que vous avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40). L’Église peut coopérer avec toutes les institutions sociales dans toute la diversité de son ministère social.
2. Les antagonismes et les hostilités qui règnent dans le monde suscitent en outre l’injustice et l’inégalité dans la participation des hommes et des nations aux biens de la divine Création. Ils privent des millions d’hommes des biens de première nécessité et conduisent à l’appauvrissement de la personnalité humaine. Ils provoquent des migrations massives de populations, font naître des conflits ethniques, religieux et sociaux qui menacent la cohésion interne des sociétés.
3. L’Église ne peut rester indifférente aux processus économiques qui influencent de manière négative l’humanité entière. Elle insiste sur la nécessité non seulement de bâtir l’économie sur des principes moraux, mais aussi de servir activement l’homme par elle, suivant l’enseignement de l’apôtre Paul, « c’est en peinant qu’il faut venir en aide aux faibles et se souvenir des paroles du Seigneur Jésus, qui a dit lui-même : Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir » (Ac 20, 35). Saint Basile le Grand écrit que « le but que chacun doit avoir dans son travail est donc de venir en aide aux indigents et non de parer à ses propres besoins » (Saint Basile le Grand, Grandes Règles, 42. PG 31, 1025 A).
4. L’écart entre riches et pauvres s’élargit dramatiquement en raison de la crise économique qui est d’ordinaire le résultat d’une spéculation effrénée des représentants des cercles financiers, de la concentration de la richesse entre les mains d’un petit nombre des personnes et d’une activité économique faussée, qui, étant privée de justice et de sensibilité humaine, ne sert finalement pas la satisfaction des véritables besoins de l’humanité. Une économie viable est une économie qui combine l’efficacité à la justice et à la solidarité sociale.
5. Dans ces conditions tragiques, on peut comprendre l’immense responsabilité de l’Eglise dans la lutte contre la faim et toute forme de misère qui sévit dans le monde. Ce phénomène de notre époque, où les pays vivent dans un système d’économie mondialisée révèle la grave crise d’identité du monde moderne. La faim ne met pas seulement en danger le don divin de la vie chez des peuples entiers, mais affecte aussi l’éminente dignité de la personne humaine, et, par là, outrage Dieu lui-même. Pour cette raison, si le soin de notre propre alimentation est un sujet matériel, le soin de la nourriture de notre prochain est un sujet d’ordre spirituel (Jc 2, 14-18). Il constitue donc un devoir pour toutes les Eglises orthodoxes de se montrer solidaires et d’organiser leur aide de manière efficace aux frères nécessiteux.
6. La Sainte Église du Christ dans son corps catholique qui inclut en son sein de nombreux peuples, met en avant le principe de la solidarité humaine et approuve une plus large collaboration des peuples et des états pour la résolution pacifique des conflits.
7. L’imposition croissante à l’humanité d’un mode de vie de plus en plus consumériste, privé de tout appui sur les valeurs morales chrétiennes, suscite la préoccupation à l’Eglise. Dans ce sens, ce consumérisme combiné à la globalisation sécularisée tend à amener les peuples à la perte de leurs racines spirituelles, de leur mémoire historique et à l’oubli des traditions.
8. Les médias tombent souvent sous le contrôle de l’idéologie du globalisme libéral et deviennent les promoteurs d’une idéologie de consommation et d’immoralité. Les cas de traitement irrespectueux, voire blasphématoire, de valeurs religieuses, provoquant discordes et révoltes dans la société, suscitent une inquiétude particulière. L’Église prévient ses fidèles du danger de manipulation des consciences par les médias, de leur utilisation non pour le rapprochement des hommes et des peuples, mais pour les manipuler.
9. L’Église est de plus en plus confrontée dans la diffusion de sa doctrine et l’accomplissement de sa mission salvatrice auprès de l’humanité à des manifestations de l’idéologie de sécularisation. L’Eglise du Christ dans le monde est invitée à exprimer et à mettre en avant son témoignage prophétique au monde en s’appuyant sur l’expérience de la foi et en rappelant de cette façon sa vraie mission envers le peuple, en «proclamant» le Royaume de Dieu et en cultivant la conscience d’unité de son troupeau. De larges perspectives s’ouvrent ainsi devant elle, car c’est en tant qu’élément essentiel de son enseignement ecclésiologique qu’elle présente au monde fragmenté la communion et l’unité eucharistique.
10. La volonté d’une croissance constante du bien-être et la consommation effrénée entraînent inévitablement une utilisation disproportionnée des ressources naturelles et l’épuisement des ressources naturelles. Le monde, créé par Dieu pour être cultivé et gardé par l’homme (cf. Gen 2, 15), subit les conséquences du péché humain : « Si elle fut assujettie à la vanité – non qu’elle l’eût voulu, mais à cause de celui qui l’y a soumise – c’est avec l’espérance d’être elle aussi libérée de la servitude de la corruption pour entrer dans la liberté de la gloire des enfants de Dieu. Nous le savons en effet, toute la création jusqu’à ce jour gémit en travail d’enfantement. » (Rm 8, 20-22). La crise écologique actuelle est liée aux changements climatiques et au réchauffement de la terre et rend impérative l’obligation de l’Eglise de contribuer, par les moyens spirituels dont elle dispose, à la protection de la création de Dieu contre les effets de l’avidité humaine.
L’avidité de satisfaire les besoins matériels amène à l’appauvrissement spirituel de l’homme et à la destruction de l’environnement. Il ne faut pas oublier que la richesse naturelle de la terre n’est pas la propriété de l’homme, mais du Créateur : «C’est au Seigneur qu’appartient la terre, avec tout ce qui s’y trouve, le monde avec tous ceux qui l’habitent» (Ps 23,1).
Ainsi, l’Eglise orthodoxe souligne la nécessité de protéger la création de Dieu en cultivant le sens de responsabilité envers l’environnement, qui est don de Dieu, découvrant la valeur des vertus de frugalité et de modération. Nous devons nous souvenir que ce ne sont pas seulement les générations actuelles mais aussi celles à venir qui ont droit aux richesses naturelles que nous a données le Créateur.
11. Pour l’Eglise orthodoxe, la faculté d’étudier scientifiquement le monde constitue un don de Dieu à l’homme. Mais en même temps, l’Eglise souligne les périls que recèle l’utilisation de certains progrès scientifiques. L’Eglise considère que le scientifique est libre non seulement de faire des recherches, mais aussi d’y mettre un terme quand, les principes chrétiens et humains qui sont violés. (St Paul : «« Tout m’est permis », mais tout ne convient pas» (1 Co 6,12) et Grégoire le Théologien : « Le bien n’est plus bien si les moyens sont mauvais » (Or. Théol. I, 4. PG 36, 16 C). Ce point de vue de l’Eglise s’avère à divers titres indispensable pour délimiter correctement la liberté et pour mettre en valeur les fruits de la science, pour laquelle on prévoit des réussites dans presque tous les domaines, en particulier celui de la biologie, mais non dépourvus de dangers. Nous soulignons en même temps le caractère incontestablement sacré de la vie humaine, de sa conception à sa mort naturelle.
12. On remarque au cours de ces dernières années le développement fulgurant des biosciences et de la biotechnologie qui est liée avec elles, avec de nombreux exploits, dont un grand nombre est considéré bénéfiques pour l’homme, tandis que d’autres posent des dilemmes de nature morale ou doivent être rejetés. L’Eglise orthodoxe affirme que l’homme n’est pas simplement un ensemble de cellules, de tissus et d’organes, et qu’il n’est pas uniquement déterminé par des facteurs biologiques. L’homme est créé à l’image de Dieu (Gn 1, 27) et on doit le traiter avec le respect qui lui revient. La reconnaissance de ce principe fondamental amène à la conclusion que, tant lors des recherches scientifiques que lors de l’application pratique des nouvelles découvertes et inventions, il faut que soit sauvegardé le droit absolu de tout homme à être traité avec respect à chaque stade de sa vie, ainsi que la volonté de Dieu, telle que celle-ci fut révélée dans la création. La recherche doit tenir compte des principes moraux et spirituels de la vie et des valeurs et coutumes chrétiennes. Il faut également manifester le respect indispensable à toute la création de Dieu, tant lors de son usage par l’homme que lors de la recherche, suivant le commandement que Dieu lui a donné (cf. Gn 2,15).
13. En ces temps de sécularisation, on voit tout particulièrement apparaître le besoin d’exalter l’importance de la sainteté de la vie dans l’optique de la crise spirituelle qui caractérise la civilisation moderne. La confusion entre liberté et vie licencieuse conduit à l’augmentation de la criminalité, à la destruction et à la profanation des sanctuaires et à la disparition du respect pour la liberté de son prochain et pour la sacralité de la vie. La tradition orthodoxe, s’étant formée à travers l’expérience pratique des vérités chrétiennes, est porteuse de spiritualité et de morale ascétique, qu’il faut exalter et promouvoir tout particulièrement de nos jours.
14. Le soin pastoral spécial de l’Eglise pour la jeunesse et l’enfance se poursuit sans faillir ayant comme but leur éducation en Christ. Le prolongement de la responsabilité pastorale de l’Eglise à l’institution divine de la famille va de soi, car elle s’est toujours et nécessairement appuyée sur la sainteté du sacrement du mariage chrétien, en tant qu’union d’un homme et d’une femme, qui représente l’union du Christ et de Son Eglise (Eph 5, 32). Ceci est particulièrement d’actualité devant les tentatives de légalisation dans certains pays et de justification théologique dans certaines communautés chrétiennes de formes de cohabitation contredisant la tradition et la doctrine chrétiennes.
15. A l’époque contemporaine, comme de tous temps, la voix prophétique et pastorale de l’Église s’adresse au cœur de l’homme et l’exhorte, avec l’apôtre Paul, à adopter et vivre « tout ce qui est noble, juste, pur, digne d’être aimé, d’être honoré » (Ph 4,7), l’amour sacrificiel de son Seigneur Crucifié, la seule voie vers un monde de paix, de justice , de liberté et d’amour entre les hommes et les peuples.