Les relations de l’Église orthodoxe avec l’ensemble du monde chrétien

Projet de document du Concile panorthodoxe, adopté à la V Conférence panorthodoxe préconciliaire de Chambésy, 10-17 octobre 2015.

  1. L’Eglise Orthodoxe, étant l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique, croit fermement, dans sa conscience ecclésiale profonde, qu’elle occupe une place prépondérante pour la promotion de l’unité des chrétiens dans le monde d’aujourd’hui.
  2. L’Église orthodoxe assoit son unité sur le fait qu’elle a été fondée par notre Seigneur Jésus-Christ, ainsi que sur la communion dans la Sainte Trinité et dans les sacrements. Cette unité s’exprime à travers la succession apostolique et la tradition patristique, dont vit l’Église jusqu’à ce jour. L’Église orthodoxe a la mission et le devoir de transmettre et prêcher toute la vérité, contenue dans la sainte Écriture et la sainte Tradition, ce qui donne à l’Église son caractère universel.
  3. La responsabilité de l’Église orthodoxe ainsi que sa mission œcuménique quant à l’unité de l’Église ont été exprimées par les Conciles œcuméniques. Ceux-ci ont particulièrement souligné le lien indissoluble entre la vraie foi et la communion sacramentelle.
  4. L’Eglise orthodoxe qui prie sans cesse « pour l’union de tous », a toujours cultivé le dialogue avec ceux qui se sont séparées d’elle, lointains et proches, elle a même été à la tête de la recherche de voies et de moyens pour rétablir l’unité des croyants en Christ et a participé au Mouvement Œcuménique dès sa naissance et a contribué à sa formation et à son développement ultérieur. D’ailleurs, grâce à l’esprit œcuménique et philanthropique qui la distingue et selon la prescription divine « qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (I Tim. 2.4), l’Eglise orthodoxe a toujours combattu pour le rétablissement de l’unité des chrétiens. Ainsi donc, la participation orthodoxe au Mouvement œcuménique ne va aucunement à l’encontre de la nature et de l’histoire de l’Eglise orthodoxe, mais constitue l’expression conséquente de la foi et tradition apostolique dans des conditions historiques nouvelles.
  5. Les dialogues théologiques bilatéraux actuels de l’Eglise orthodoxe, ainsi que sa participation au Mouvement pour la restauration de l’unité des chrétiens, s’appuient sur la conscience même de l’Orthodoxie et sur son esprit œcuménique dans le but de rechercher, sur la base de la foi et de la tradition de l’Eglise ancienne des sept Conciles œcuméniques, l’unité perdue des Chrétiens.
  6. D’après la nature ontologique de l’Eglise, son unité ne peut pas être compromise. L’Eglise orthodoxe reconnaît l’existence historique d’autres églises et confessions chrétiennes ne se trouvant pas en communion avec elle, mais croit aussi que les relations qu’elle entretient avec ces dernières doivent se fonder sur une clarification, le plus rapidement et le plus objectivement possible, de toute la question de l’ecclésiologie et, plus particulièrement de l’enseignement général que celles-ci professent sur les sacrements, la grâce, le sacerdoce et la succession apostolique. Ainsi, elle est favorablement disposée, tant pour des raisons théologiques que pastorales, à prendre part à tout dialogue théologique avec différentes Eglises et Confessions chrétiennes et plus généralement, à participer au Mouvement œcuménique contemporain, convaincue que par le biais du dialogue, elle apporte un témoignage dynamique de la plénitude de la vérité en Christ et de ses trésors spirituels à tous ceux qui sont à l’extérieur de celle-ci, ayant pour objectif d’aplanir la voie menant à l’unité.
  7. C’est dans cet esprit toutes les saintes Églises orthodoxes locales participent activement aujourd’hui aux dialogues théologiques officiels, et la majorité d’entre elles à différents organismes inter-chrétiens bilatéraux et multilatéraux, et prennent part à différents organismes nationaux, régionaux ou internationaux ; cela malgré la crise profonde que traverse le Mouvement œcuménique. Cette activité œcuménique pluridimensionnelle a sa source dans le sentiment de responsabilité et dans la conviction que la coexistence, la compréhension réciproque, la collaboration et les efforts communs vers une unité chrétienne sont essentiels,pour ne pas créer d’obstacle à l’Évangile du Christ (I Co 9, 12).
  8. Il est évident que l’Église orthodoxe, tout en dialoguant avec les autres chrétiens, n’ignore pas les difficultés liées à une telle entreprise ; bien plus, elle comprend les obstacles qui se dressent sur la route d’une compréhension commune de la tradition de l’ancienne Église, et elle espère que le Saint-Esprit, qui constitue toute l’institution de l’Église, (stichère des vêpres de la Pentecôte) pourvoira aux insuffisances (vœu de l’ordination). En ce sens, au cours de ces dialogues théologiques, ainsi que dans le cadre de sa participation au Mouvement œcuménique, l’Église orthodoxe ne s’appuie pas uniquement sur les forces humaines de ceux qui mènent les dialogues, mais également sur la protection du Saint-Esprit et la grâce du Seigneur qui a priépour que tous soient un (Jn 17, 21).
  9. Les dialogues théologiques bilatéraux actuels, annoncés par des Conférences panorthodoxes, sont l’expression de la décision unanime de toutes les très saintes Églises orthodoxes locales qui ont le devoir de participer activement et avec continuité à leur déroulement ; ceci afin de ne pas mettre d’obstacle au témoignage unanime de l’Orthodoxie pour la gloire du Dieu Trinitaire. Dans le cas où une Église locale décide de ne pas désigner de délégués – pour l’un des Dialogues ou pour une assemblée précise – si cette décision n’est pas prise à l’échelon panorthodoxe, le dialogue se poursuit. L’absence d’une Église locale doit, quoi qu’il en soit – avant l’ouverture du dialogue ou de l’assemblée en question – faire l’objet d’une discussion au sein de la mission orthodoxe engagée dans le dialogue ; cela pour exprimer la solidarité et l’unité de l’Église orthodoxe.
  10. Les problèmes qui surgissent au cours des discussions théologiques des Commissions théologiques mixtes ne justifient pas toujours à eux seuls le rappel unilatéral des délégués ou même la suspension définitive de la participation d’une Église orthodoxe locale. En règle générale, on doit éviter qu’une Église ne se retire d’un dialogue en déployant tous les efforts nécessaires à l’échelon interorthodoxe pour rétablir la représentativité complète au sein de la Commission théologique orthodoxe engagée dans ce dialogue. Si une ou plusieurs Églises orthodoxes refusent de participer aux réunions de la Commission mixte théologique d’un certain dialogue pour des raisons ecclésiologiques, canoniques, pastorales ou morales, cette ou ces Églises doivent communiquer par écrit leur refus au Patriarche œcuménique et à toutes les Eglises orthodoxes, selon l’ordre panorthodoxe établi. Pendant la consultation panorthodoxe le Patriarche œcuménique cherche à obtenir le consensus de toutes les autres Eglises sur ce qu’il conviendra de faire, incluant la possibilité d’une réévaluation du processus d’un dialogue théologique concret, dans le cas où ceci serait considéré, à l’unanimité, comme indispensable.
  11.  La méthodologie suivie dans le déroulement des dialogues théologiques vise à trouver une solution aux divergences théologiques héritées du passé ou à celles qui ont pu apparaître récemment et à rechercher les éléments communs de la foi chrétienne. Elle présuppose également la mise au courant du plérome de l’Église sur l’évolution des différents dialogues. Dans le cas où on ne parvient pas à surmonter une divergence théologique précise, le dialogue théologique peut se poursuivre après qu’on a enregistré le désaccord constaté sur cette question théologique précise et qu’on a informé de ce désaccord toutes les Églises orthodoxes locales, cela en vue des mesures à prendre par la suite.
  12. Il est évident qu’au cours des dialogues théologiques, le but poursuivi par tous est le même : le rétablissement final de l’unité dans la vraie foi et dans l’amour. Il reste néanmoins que les divergences théologiques et ecclésiologiques existantes permettent en quelque sorte une hiérarchisation quant aux difficultés qui se présentent sur la voie de la réalisation de ce but fixé à l’échelon panorthodoxe. La spécificité des problèmes liés à chaque dialogue bilatéral présuppose une différenciation dans la méthodologie à suivre dans chaque cas ; mais pas une différenciation dans le but, car le but est le même pour tous les dialogues.
  13. Malgré cela, un effort de coordination de la tâche des différentes Commissions théologiques interorthodoxes s’impose, en cas de nécessité, d’autant plus que l’unité ontologique indissoluble de l’Église orthodoxe doit être révélée et se manifester également dans le cadre de ces dialogues.
  14. La conclusion de tout dialogue théologique proclamé officiellement correspond à l’achèvement de la tâche de la Commission théologique mixte désignée à cet effet ; le Président de la Commission interorthodoxe soumet un rapport au Patriarche œcuménique, lequel, en accord avec les Primats des Églises orthodoxes locales, annonce la clôture du dialogue. Aucun dialogue n’est considéré comme achevé avant que sa fin ne soit proclamée par une telle décision panorthodoxe
  15. La décision panorthodoxe, au cas où un dialogue théologique s’achèverait avec succès, de rétablir la communion ecclésiale doit pouvoir se fonder sur l’unanimité de toutes les Églises orthodoxes locales.
  16. Un des principaux organes du Mouvement œcuménique contemporain est le Conseil œcuménique des Églises (COE). Certaines Églises orthodoxes ont été membres fondateurs de ce Conseil, et par la suite, toutes les Églises orthodoxes locales en sont devenues membres. Le COE, en tant qu’organe interchrétien structuré, ainsi que d’autres organismes interchrétiens et organismes régionaux, telle que la Conférence des Eglises européennes (KEK) et le Conseil du Moyen Orient, bien qu’ils ne regroupent pas toutes les Églises et confessions chrétiennes, remplissent une mission fondamentale dans la promotion de l’unité du monde chrétien. Les Églises orthodoxes de Géorgie et de Bulgarie se sont retirées du Conseil Œcuménique des Églises, la première en 1997 et la seconde en 1998, car elles avaient un avis différent quant à l’œuvre du Conseil Œcuménique des Églises et, de ce fait, elles ne participent pas aux activités interchrétiennes menées par le Conseil Œcuménique des Églises et d’autres organismes interchrétiens.
  17. Les Églises orthodoxes locales – membres du COE participent à part entière et à part égale à l’organisme du Conseil Œcuménique des Églises et contribuent par tous les moyens dont elles disposent au témoignage de la vérité et à la promotion de l’unité des chrétiens. L’Eglise orthodoxe a accueilli favorablement la décision de COE de répondre à sa demande concernant la constitution d’une Commission spéciale pour la participation orthodoxe au COE conformément au mandat de la Conférence interorthodoxe de Thessalonique (1998). Les critères fixés par la Commission spéciale lesquels ont été proposés par les orthodoxes et acceptés par le COE, ont amené à la constitution d’un Comité permanent de collaboration et de consensus ont été ratifiés et incorporés aux Statuts et au Règlement intérieur de COE.
  18. L’Église orthodoxe, fidèle à son ecclésiologie, à l’identité de sa structure interne et à l’enseignement de l’Église ancienne, tout en participant au COE, n’accepte absolument pas l’idée de l’égalité des confessions et ne peut concevoir l’unité de l’Église comme un compromis interconfessionnel. Dans cet esprit, l’unité recherchée dans le COE ne peut être simplement le produit d’accords théologiques, mais aussi celui de l’unité de la foi de l’Église orthodoxe telle que vécue et préservée mystérieusement dans l’Église.
  19. Les Églises orthodoxes membres du COE considèrent comme une condition sine qua non de la participation au COE le respect de l’article-base de sa Constitution, conformément auquel seules les Églises et les Confessions qui reconnaissent le Seigneur Jésus Christ en tant que Dieu et Sauveur selon l’Écriture et croient en la Trinité, Dieu, Le Fils et le Saint-Esprit selon le Symbole de Nicée-Constantinople peuvent en être membres. Elles sont intimement convaincues que les présupposés ecclésiologiques contenus dans la Déclaration de Toronto (1950), intitulée L’Église, les Églises et le Conseil œcuménique des Églises, sont d’une importance capitale pour la participation orthodoxe audit Conseil. Il va de soi, dès lors, que le COE n’a rien d’une super-Église et ne doit en aucun cas le devenir. Le but poursuivi par le Conseil œcuménique des Églises n’est pas de négocier l’union des Églises, ce qui ne peut être le fait que des Églises elles-mêmes, sur leur propre initiative ; il s’agit plutôt de créer un contact vivant entre les Églises et de stimuler l’étude et la discussion des problèmes touchant à l’unité chrétienne (Déclaration de Toronto, § 2).
  20. Les perspectives des Dialogues Théologiques de l’Eglise orthodoxe avec les autres Eglises et Confessions chrétiennes sont toujours déterminés sur la base des critères canoniques de la tradition ecclésiastique déjà constituée (canon 7 du IIe et 95 du Quinisexte Conciles œcuméniques).
  21. L’Eglise orthodoxe souhaite renforcer l’œuvre de la commission « Foi et Constitution» et suit avec un vif intérêt l’apport théologique de celle-ci réalisé à ce jour. Elle évalue positivement les textes théologiques édités par celle-ci, la contribution estimable de théologiens orthodoxes, ce qui représente une étape importante dans le Mouvement œcuménique vers le rapprochement des Eglises. Toutefois, l’Eglise orthodoxe garde des réserves en ce qui concerne des points capitaux liés à la foi et à l’ordre.
  22. L’Eglise orthodoxe juge condamnable toute tentative de division de l’unité de l’Eglise, de la part de personnes ou de groupes, sous prétexte d’une présumée défense de la pure Orthodoxie. Comme en témoigne toute la vie de l’Eglise orthodoxe la préservation de la foi orthodoxe pure n’est sauvegardée que par le système conciliaire, qui, depuis toujours au sein de l’Eglise, constitue le juge désigné et ultime en matière de foi.
  23. L’Eglise orthodoxe a une conscience commune de la nécessité du dialogue théologique interchrétien qu’il doit aller toujours de pair avec le témoignage dans le monde et avec des actions qui expriment ‘la joie ineffable’ de l’Evangile (I P 1,8), excluant tout acte de prosélytisme ou d’autre action d’antagonisme confessionnel provocante. Dans cet esprit, l’Eglise orthodoxe considère qu’il est très important que tous les chrétiens de bonne volonté, inspirés par les principes fondamentaux communs de notre foi, essaient de donner une réponse empressée et solidaire, basée sur le modèle idéal par excellence du nouvel homme en Christ, aux problèmes épineux que nous pose le monde d’aujourd’hui.
  24. L’Église orthodoxe est consciente du fait que le mouvement pour la restauration de l’unité des chrétiens prend des formes nouvelles pour répondre à des situations nouvelles et faire face aux défis nouveaux du monde actuel. Il est indispensable que l’Eglise orthodoxe continue d’apporter son témoignage au monde chrétien divisé sur la base de la tradition apostolique et de sa foi.

Nous prions pour que les chrétiens œuvrent en commun afin que le jour soit proche où le Seigneur comblera l’espoir des Églises orthodoxes : Un seul troupeau, un seul berger (Jn 10, 16).

Chambésy, le 15 Octobre 2015

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