
À l’occasion de la cérémonie commémorative de l’anniversaire des bombardements de l’OTAN, qui ont commencé le 24 mars 1999, le patriarche serbe Porphyre a prononcé l’allocution suivante :
« Ce soir, avant de venir en ce lieu, j’ai ouvert le Nouveau Testament et je suis tombé sur le début du septième chapitre de l’Évangile de Matthieu où il est dit : Ne vous posez pas en juge, afin de n’être pas jugés. Je suis venu ici avec le sentiment que nous ne nous étions pas réunis pour juger, mais pour nous souvenir et dire la vérité.
Nous nous sommes réunis pour nous souvenir ensemble, à l’échelle nationale, conciliairement comme on dit à l’Église, de ces jours malheureux d’il y a vingt-deux ans. Avant tout, pour nous souvenir et prier pour des victimes innocentes ; et nos victimes sont innocentes, parce que notre peuple s’est défendu contre une agression, ce qui est clair aujourd’hui dans le monde entier. Nous nous souvenons de nos soldats et policiers, nos grands héros de Košare [Kosovo], de Paštrik [montagne située sur la frontière de l’Albanie] et d’autres champs de bataille ; de nos « chevaliers » des airs – les pilotes, puis des civils innocents – des victimes des bombes à fragmentation à Niš et à travers le Kosovo-et-Métochie, le Monténégro, des gens tués dans un train de voyageurs dans la gorge de Grdelica, tués dans les rues et les places de nos villes, usines, hôpitaux, télévision, des enfants morts… Nous nous souvenons de tout le monde, nous prions pour eux tous, et je suis sûr que nous devrions aussi leur adresser nos prières, car Dieu les a inscrits dans le Livre de l’éternité, le livre de la vie éternelle, et les noms de nombreuses victimes tués pendant ces 78 jours peuvent être et ils devraient être inscrits dans le calendrier de l’Église orthodoxe.
Ce soir, cependant, je tiens à souligner qu’au cours de ces 78 jours, notre peuple, non pas seulement ceux qui ont défendu des ponts à Novi Sad, à Beška, à Belgrade – mais aussi d’autres, qui, avec des enfants et des familles, se sont protégés des bombes dans des sous-sols, des abris, ont manifesté alors un trait et une vertu essentielle de notre éthos, une part précieuse de notre identité, à savoir la solidarité mutuelle, en un mot, l’amour chrétien pour son prochain. Ces jours-là, nous partagions entre nous tout ce qui était nécessaire et tout ce que nous possédions.
On dit que le peuple serbe, surtout après 1945, a perdu ses qualités chrétiennes, mais je suis sûr et je dis qu’au moment des bombardements, pendant ces 78 jours nous avons tous été témoins du profond amour chrétien et de la solidarité de notre peuple qui accomplissait le commandement divin de l’amour envers son prochain.
Cet amour, voire ce courage, ce véritable héroïsme, se manifeste à nouveau dans ces mois de souffrance de l’épidémie. Maintenant, les « chevaliers » sont des médecins, des infirmières, tous des travailleurs médicaux ; puis, à leur manière, de nombreux employés des services publics, des femmes travaillant aux caisses des supermarchés, et bien d’autres…
Enfin, je voudrais poser une question à moi-même et à vous : qu’est-ce qui nous a fait subsister pendant ce mal invisible qui a attaqué notre peuple pendant et après les bombardements ? Qu’est-ce qui nous a soutenu après le Golgotha albanais pendant la Première Guerre mondiale, après les souffrances sans précédent de la Seconde Guerre mondiale ? Et qu’est-ce qui nous fera tenir dans cette épidémie ?
Nous avons été soutenus par l’attitude chrétienne envers la vie, le mode de vie chrétien, l’amour chrétien que Saint Sava et tous les saints serbes nous ont enseignés. Un soldat ou un officier, après la guerre ou en temps de paix, quand il rentre enfin à la maison, ou maintenant un médecin de clinique, un ouvrier d’usine, un employé – quand ils sont accueillis à la maison par une famille en bonne santé – femme, enfants – ce sont les fondements d’une société saine, de la survie et du progrès d’un peuple et d’un État. L’État de concert avec l’Église doit veiller à préserver, par l’éducation et la culture, parallèlement au développement économique, ce qui fait l’identité de notre peuple à travers les siècles.
Ce n’est que lorsque nous sommes ancrés dans notre propre identité, lorsque nous savons qui nous sommes, lorsque nous parlons notre propre langue, que nous pouvons apprendre d’autres langues également, que nous pouvons parler les uns aux autres et construire la paix entre nous. Ce sera alors une garantie que nous saurons parler aux autres tout en les respectant, que nous saurons construire des relations vraies et authentiques en respectant les autres.
C’est pourquoi nous sommes venus ici, non pour juger et condamner, mais pour nous souvenir des victimes innocentes des bombardements qui ont duré 78 jours et qui ont été effectués par l’alliance de l’OTAN dans notre pays. Nous nous sommes réunis pour prier pour les victimes, mais aussi pour prier Dieu pour que tous ceux qui font preuve de mauvaise volonté en général, mais aussi par rapport à nous, deviennent meilleurs.