– Mgr Théophane, quelles ont été, selon vous, les raisons qui ont incité le Saint-Synode de l’Église orthodoxe russe à instituer un diocèse en Corée ?
– Le Saint-Synode a décidé à juste titre que l’Église orthodoxe russe est appelée aujourd’hui à reprendre son travail pastoral et missionnaire en Asie du Sud-Est, ce travail qui avait été commencé ici il y a quelques siècles. L’apparition de l’Orthodoxie en Corée est liée étroitement au développement des relations russo-coréennes aux XIXème et XXème siècle. Dans la seconde moitié du XIXème siècle, les Coréens ont massivement émigré dans l’Extrême-Orient de la Russie impériale. L’activité missionnaire de l’Église orthodoxe russe parmi les Coréens a commencé en 1856, lorsque St Innocent (Veniaminov), archevêque de Kamtchatka, des Îles Kouriles et Aléoutiennes, a commencé à envoyer des prédicateurs de l’Orthodoxie dans l’Oussouri du Sud, là où se dirigeait le flux d’immigrants coréens. Ceux-ci ont adopté la foi orthodoxe par villages entiers. Nombreux sont ceux qui, parmi eux, retournèrent ensuite en Corée et ont constitué le premier groupe de la mission ecclésiastique russe en Corée, qui a été instituée en 1897 et a commencé son œuvre sur la péninsule coréenne en février 1900. Ce ne sont que les événements tragiques dans l’histoire de la Russie et de la Corée qui ont empêché son fonctionnement normal. Je veux parler de la révolution de 1917 en Russie qui amené la formation de l’État soviétique avec sa politique hostile envers l’Église, et la division de la Corée à l’issue de la seconde guerre mondiale entre le Nord et le Sud avec la guerre civile dans les années 1950-1953. Les autorités de Corée du Sud, en 1949, ont expulsé du pays le chef de la mission, l’archimandrite Polycarpe (Priimak). En raison des circonstances politiques, l’activité de la mission a été interrompue, ses biens ont été confisqués. Aujourd’hui, lorsque les facteurs faisant obstacle au travail missionnaire et pastoral en Corée ont disparu, on peut parler de la poursuite d’un travail commencé depuis longtemps. Les circonstances de l’époque actuelle, alors que dans les pays d’Asie viennent s’installer de façon permanente ou en mission un nombre important d’enfants de l’Église orthodoxe russe, non pas seulement de Fédération de Russie mais aussi des citoyens d’autres États faisant partie du territoire canonique de l’Église orthodoxe russe, incitent la hiérarchie de notre Église à manifester son souci pastoral pour ces gens qui ne veulent pas rompre leurs liens spirituels avec leur Église. C’est ainsi que, seulement dans la République de Corée, le nombre des Russes enregistrés est d’environ 20’000 personnes, tandis qu’en 2018, 300’000 touristes russes ont visité la Corée du Sud. De toute évidence, une partie non négligeable de ces gens veulent participer activement à la vie ecclésiale et fréquenter les offices qui sont célébrés conformément aux traditions et au calendrier russes. En ce qui concerne la création de l’Exarchat patriarcal en Asie du Sud-Est, ce n’est pas non plus une sorte d’innovation dans l’histoire de notre Église, mais plutôt la renaissance des structures ecclésiales existantes. En décembre 1945, les paroisses de Chine et de Corée ont été réunies dans le district métropolitain d’Asie orientale, qui par un oukaze du patriarche Alexis Ier a été transformé, en 1946, en Exarchat d’Asie orientale avec pour centre Harbin. L’exarchat a été aboli par décision du Saint-Synode de l’Église orthodoxe russe en 1954, en raison des circonstances. Il est aujourd’hui recréé en raison des nouvelles conditions. Je dirais que c’eût été une bonne chose de faire renaître plus tôt les structures de l’Église russe en Corée. Cependant, lorsque les relations diplomatiques ont été établies entre la Russie et la Corée du Sud, l’Église russe passait par une période difficile de renouveau après des décennies d’asservissement athée. Les paroissiens de langue russe qui visitaient la République de Corée trouvaient un soutien spirituel dans les paroisses du patriarcat de Constantinople. Maintenant, l’Église en Russie développe activement son œuvre missionnaire, s’efforçant d’accompagner ses enfants dans toutes les circonstances de leur vie. Le flux de la population russophone en Corée s’est accru des dizaines de fois, voire de cent fois, aussi la nécessité d’ouvrir des paroisses du Patriarcat de Moscou en Corée s’est fait clairement ressentir. En outre, en raison de la rupture de la communion eucharistique avec le Patriarcat de Constantinople qui s’est produite non par notre faute ou notre souhait, nos fidèles se sont trouvés dans une situation où ils n’avaient plus où aller. Par conséquent, l’ouverture de paroisses de l’Église orthodoxe russe en Corée et dans les autres pays de l’Asie du Sud-Est correspond pleinement à une nécessité impérieuse.
– Monseigneur, après les mesures prises par le Synode de notre Église [i.e. la rupture avec Constantinople] est parue une interview du métropolite Ambroise du Patriarcat de Constantinople, qui exerce son ministère à Séoul, dans laquelle il critiquait les actions du Patriarcat de Moscou en Corée. Comment pourriez-vous commenter cela ?
– Je voudrais témoigner mon respect et mon amour envers le métropolite Ambroise et tous les prêtres qui œuvrent sous son omophore en Corée. Pour moi personnellement, cela a été une expérience marquante au cours des dix années de mon ministère en Corée, et je souhaiterais garder avec eux tous des relations chaleureuses. Cependant, maintenant, avec peine dans le cœur, je lis des reproches injustifiés à l’endroit de l’Église russe, publiés sur internet, sous la signature de Mgr Ambroise. Je pense qu’ils ne servent pas à apaiser les esprits et les cœurs des lecteurs. Je voudrais également rappeler fraternellement à Mgr Ambroise que, malgré les problèmes qui existent actuellement entre nos Églises, il ne sert à personne parmi nous de se permettre un ton agressif ou des insultes à l’égard des hiérarques des autres Églises locales. Tout cela ne favorise pas un dialogue constructif. Je crois qu’au lieu d’élucider qui a le plus le droit de s’occuper de missions en Corée, il vaudrait bien mieux travailler paisiblement et calmement, en gardant l’amour et les contacts mutuels, cela sera un témoignage plus réel de l’unité de l’Église devant les hétérodoxes et le monde sécularisé. Le domaine à travailler est grand et il est suffisant pour tout le monde.
– Peut-on penser à un quelconque « plan prémédité » dont parle dans son interview le métropolite Ambroise ?
– Il serait plus juste de parler d’un travail de mise en place de la vie ecclésiale pour nos compatriotes à l’étranger, de la prise en charge des gens qui vivent loin de leur patrie. En tout état de cause, pour beaucoup de nos compatriotes, les paroisses orthodoxes ne sont pas seulement des endroits où les fidèles se rassemblent pour l’office divin, mais ce sont aussi des lieux de rencontre, d’assistance mutuelle, de préservation des traditions nationales et de célébrations. Dans beaucoup de pays, ce sont précisément les églises qui deviennent le lieu grâce auquel les gens préservent leur identité culturelle. Bien sûr, l’impossibilité de communion eucharistique avec le Patriarcat de Constantinople a, dans une certaine mesure, stimulé la création de nouvelles paroisses, mais même sans cela les paroisses du Patriarcat de Moscou seraient apparues tôt ou tard en République de Corée, car la nécessité s’en est fait ressentir. L’absence de communion canonique entre les Églises de Russie et de Constantinople est une situation douloureuse pour tout orthodoxe. Nous continuons à espérer que cette question sera résolue avec le temps et que les fidèles pourront participer aux sacrements dans toute église orthodoxe, indépendamment de sa juridiction. Lors de chaque divine Liturgie, nous prions pour le rétablissement de l’unité ecclésiale.
– Monseigneur, dites-nous, comment à ce stade vous voyez le travail ecclésial en Corée. Des biens de la mission ecclésiastique russe y ont-ils été conservés ? Qu’existe-t-il et que faut-il faire ?
– Actuellement, malheureusement, nous n’avons ni terrain, ni constructions. L’ancien terrain de la Mission ecclésiastique russe, se trouve dans le centre de Séoul, dans le quartier de Jong-ro, dont l’acquisition a été réalisée en son temps par des fonds de l’Empire russe et des dons récoltés en Russie. Actuellement, il ne nous appartient pas. Par décision du saint patriarche Tykhon, en date du 4 novembre 1921, la mission en Corée a été soumise à l’archevêque de Tokyo Serge (Tikhomirov), aussi les terrains et les constructions ont été enregistrés au nom de la société propriétaire de l’Église orthodoxe du Japon. Par la suite, la communauté orthodoxe locale qui à ce moment était passée au Patriarcat de Constantinople, a reçu, par le tribunal, les droits sur tous les biens de la mission ecclésiastique russe en Corée et, après leur vente, elle a acquis un nouveau terrain à Séoul, dans le district de Mapo, où par la suite fut construite l’église Saint-Nicolas. Maintenant, notre nouvelle paroisse de la Résurrection a souscrit un bail pour un local, qui n’est pas très grand, dans le district de Yongsan, où ont lieu les offices. À Pâques, on y était à l’étroit, du fait que plus de 100 personnes étaient présentes à l’office. La paroisse de Séoul est constituée de ressortissants de Russie, Ukraine, Biélorussie, Kazakhstan, Ouzbékistan, États-Unis. Malgré le fait que les offices soient célébrés en slavon, des Coréens viennent également y assister. Une partie des Coréens, exprimant leur désaccord avec les agissements du Patriarcat de Constantinople en Ukraine, ou pour d’autres raisons, fréquentent notre paroisse à Séoul. Il y a un nombre assez important de paroissiens russophones qui vivent à Pusan. Pour eux aussi ont été organisés des offices un certain nombre de fois, dont à Pâques. Outre Séoul et Pusan, il y a d’autres villes où vit une population russophone compacte, il faudra y organiser une vie ecclésiale complète.
– Et qui célèbre les offices dans la nouvelle paroisse de la Résurrection ?
– Depuis le début, dans le processus de l’organisation de la paroisse à Séoul, des prêtres des paroisses de l’Exarchat patriarcal d’Asie du Sud-Est ont été rapidement envoyés en Corée. Maintenant, il nous faut trouver des prêtres à demeure. À Séoul également accomplit son ministère l’archiprêtre Paul Kang, qui est coréen et clerc de l’Église russe hors-frontières. Il y a encore un prêtre de Corée du Sud, le hiéromoine Paul (Choi) qui achève maintenant ses études à l’Académie ecclésiastique de Saint-Pétersbourg. J’espère qu’à l’issue de ses études, il reviendra ici et nous aidera.
– On sait qu’en Corée du Nord, l’église de la Sainte-Trinité à Pyongyang est en activité. Dites-nous quelques mots à son sujet.
– La décision de construire la première église orthodoxe en Corée du Nord a été prise par Kim Il Sun en 2002 après avoir visité l’église Saint-Innocent-d’Irkoutsk à Khabarovsk. Peu après fut construite l’église et, en 2006, la communauté de l’église de la Vivifiante Trinité fut reçue au sein de l’Église orthodoxe russe. Au mois d’août 2006, le métropolite de Smolensk et Kaliningrad Cyrille (l’actuel patriarche de Moscou) procéda à la consécration de l’église. Les prêtres de cette église ont fait leurs études dans les séminaires ecclésiastiques de Russie et ont été ordonnés par des hiérarques russes. Actuellement, cette église est principalement fréquentée par les collaborateurs des missions diplomatiques en poste à Pyongyang.
– Monseigneur, que voudriez-vous dire à nos lecteurs ?
– Par votre site, je voudrais m’adresser à tous les fidèles enfants de l’Église orthodoxe russe vivant en Corée en les appelant à se réunir autour de leur Église et de son Primat, et je voudrais également exprimer mon soutien à S.B. le métropolite de Kiev Onuphre et à toute l’Église orthodoxe d’Ukraine canonique qui, aujourd’hui, vivent des temps difficiles. Maintenant, alors que les paroisses en Corée viennent de se constituer, votre aide active est requise pour créer de nouvelles communautés. J’implore la bénédiction divine sur vous tous !