Luc est le seul des évangélistes à mentionner qu’en plus des Douze, Jésus a par la suite choisi encore soixante-dix disciples :
Après cela, le Seigneur désigna encore soixante-dix autres disciples ; et Il les envoya deux à deux devant Lui dans toutes les villes et dans tous les lieux où Lui-même devait aller. Il leur dit : La moisson est grande, mais il y a peu d’ouvriers. Priez donc le Maître de la moisson d’envoyer des ouvriers dans Sa moisson. (Lc 10:1-2)
Ce groupe élargi de disciples joue un rôle clé dans l’annonce du Royaume de Dieu et participe pleinement à la mission confiée par Jésus. Mais qui étaient ces Soixante-dix disciples ? Quelle était la signification de leur mission, et en quoi se distingue-t-elle de celle des Douze ?
Le nombre des Soixante-dix : signification et variantes
Dans un grand nombre de manuscrits, il est question de soixante-douze et non de soixante-dix disciples. C’est la raison pour laquelle c’est le nombre « soixante-douze » qui figure dans le texte des éditions critiques modernes du Nouveau Testament (mais pas dans l’appareil critique, comme c’est l’usage pour les variantes ayant moins d’autorité), tandis que le numérique « douze » est mis entre crochets.
Cette solution a été retenue par l’Alliance biblique universelle sous l’influence de l’éminent spécialiste de critique textuelle biblique Kurt Aland : il considérait que « soixante-douze » correspondait à la forme originale, tandis que « soixante-dix » était le fruit d’une correction effectuée dans un souci d’harmonisation, par les copistes désireux de remplacer un nombre dénué de signification symbolique ou sacrée par un nombre qui en avait une.
Si le nombre « douze » correspond aux douze tribus d’Israël, le nombre « soixante-dix » correspond, lui, aux soixante-dix anciens que Moïse a choisis parmi les fils d’Israël (Ex 24:1 ; Nb 11:16, 24), ou encore aux soixante-dix descendants de Jacob (Ex 1:5 ; Dt 11:23).
La Tradition de l’Église, cependant, a conservé les noms de soixante-dix, et non de soixante-douze apôtres. On trouve parmi eux les évangélistes Marc et Luc, ainsi que d’autres personnes mentionnées dans les Épîtres de l’apôtre Paul ou représentant les destinataires de ces épîtres.
Ainsi, la désignation des Soixante-dix ne semble pas anodine : elle s’inscrit dans une continuité avec l’histoire biblique et préfigure l’universalité de la mission chrétienne. Mais quelle était précisément la tâche qui leur était confiée par Jésus, et comment se différenciait-elle de celle des Douze ?
Leur mission et leurs instructions
Le discours missionnaire que Jésus a adressé aux Soixante-dix reprend en grande partie les instructions données aux Douze (Mt 10:9-16 ; Lc 9:1-6) :
Partez ; voici, Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. Ne portez ni bourse, ni sac, ni souliers, et ne saluez personne en chemin. Dans quelque maison que vous entriez, dites d’abord : Que la paix soit sur cette maison ! Et s’il se trouve là un enfant de paix, votre paix reposera sur lui ; sinon, elle reviendra à vous. (Lc 10:3-6)
La mission des Soixante-dix comportait plusieurs principes fondamentaux :
- Dépendance totale à Dieu (ne pas emporter d’argent ni d’équipement superflu)
- Recherche de personnes réceptives à la Parole
- Annonce du Royaume et guérison des malades
- Acceptation des conditions de vie locales, sans chercher un confort personnel
Jésus insiste également sur la gravité du rejet de leur message, affirmant que Sodome sera traitée plus favorablement au Jugement que les villes qui refusent d’accueillir les disciples (Lc 10:10-12).
Luc insère dans le discours missionnaire aux Soixante-dix des reproches adressés aux villes de Chorazin, Bethsaïda et Capharnaüm qui n’ont pas cru en Jésus (Lc 10:13-15). Le discours se termine par les propos suivants :
Celui qui vous écoute M’écoute, et celui qui vous rejette Me rejette ; et celui qui Me rejette rejette Celui qui M’a envoyé. (Lc 10:16)
Retour des Soixante-dix
Luc rapporte que les soixante-dix disciples sont revenus auprès de Jésus pour rendre compte de leurs travaux : Les soixante-dix revinrent avec joie, disant : Seigneur, les démons même nous sont soumis en Ton nom. (Lc 10:17) Ce retour est marqué par une déclaration énigmatique de Jésus :
Je voyais Satan tomber du ciel comme un éclair. Voici, Je vous ai donné le pouvoir de marcher sur les serpents et les scorpions, et sur toute la puissance de l’ennemi ; et rien ne pourra vous nuire. Cependant, ne vous réjouissez pas de ce que les esprits vous sont soumis ; mais réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans les cieux. (Lc 10:18-20)
Cette parole établit un lien entre la mission des Soixante-dix et la victoire spirituelle du Christ. La chute de Satan peut être interprétée comme la confirmation que l’annonce du Royaume entraîne une défaite des forces du mal. Jésus rappelle cependant aux disciples que leur vraie joie ne doit pas être liée à leur pouvoir sur les démons, mais à leur participation à la vie éternelle. Enfin, Jésus exprime une profonde gratitude envers Dieu dans un moment de louange spontané :
Je Te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que Tu as caché ces choses aux sages et aux intelligents, et de ce que Tu les as révélées aux enfants. (Lc 10:21)
Jean Chrysostome explique que les « sages et intelligents » désignent ici les scribes et pharisiens, tandis que les « enfants » sont les disciples simples et humbles que Jésus a choisis. Cette opposition souligne que la compréhension du Royaume de Dieu ne dépend pas d’une érudition humaine, mais d’une disposition du cœur.
L’épisode des Soixante-dix montre que la mission confiée par Jésus ne concernait pas uniquement les Douze. Il s’agit d’un envoi plus large, préfigurant la mission universelle de l’Église. Leur retour joyeux et les paroles de Jésus sur la chute de Satan montrent que cette mission apostolique participe à la victoire du Christ sur le mal.
Cet article fait partie de la série basée sur les six volumes de Jésus-Christ. Vie et Enseignement par le métropolite Hilarion (Alfeyev). Retrouvez-nous chaque vendredi pour une nouvelle réflexion, ou procurez-vous le premier volume sur le site des Éditions des Syrtes.