En ce Vendredi saint, alors que les chrétiens méditent sur la Passion du Christ, il est opportun de contempler la personne de Jésus à travers les traits de son caractère. Comment les Évangiles en parlent-ils ? Et comment les grands penseurs chrétiens, d’époques et de traditions diverses, ont-ils cherché à cerner la singularité de Sa personne ? Cet article propose un aperçu de leurs réflexions – de l’Antiquité à l’époque moderne – pour mieux saisir, au cœur de ce jour de silence et de mystère, ce que signifie dire que Jésus est pleinement homme et pleinement Dieu.
Un examen approfondi des traits humains de Jésus paraît important d’un point de vue non seulement historique, mais aussi théologique. Notre position de départ est la conviction que Jésus est Dieu et que tous Ses traits humains sont intrinsèquement liés à Sa nature divine.
Il est difficile, voire impossible, de dresser un portrait psychologique de Jésus, de se faire une idée de Ses traits de caractère, des particularités de Sa personnalité humaine à partir des mentions disparates faites dans les Évangiles sur Ses émotions ou Ses réactions face à l’attitude de Son entourage.
De nombreux auteurs, anciens comme récents, ont tenté de brosser ce portrait, de caractériser Jésus en tant que personne. En voici quelques exemples.
« Notre Pédagogue (…) ressemble à Dieu le Père, dont Il est le Fils : Il est sans péché, sans reproche, sans passions dans son âme, Dieu sans souillure sous l’aspect d’un homme, serviteur de la volonté du Père (…). Pour nous, Il est l’image sans tache : de toutes nos forces, il faut essayer de rendre notre âme semblable à Lui. Mais Il est, Lui, totalement affranchi des passions humaines, et, à cause de cela, parce qu’Il est seul sans péché, Il est seul juge. Nous donc, autant que nous le pouvons, efforçons-nous de pécher le moins possible (…) »
Clément d’Alexandrie
« Des hommes qu’Il avait comblés de mille bienfaits, à qui Il avait fait du bien, non une ou deux fois, mais plusieurs, L’ont appelé démoniaque et insensé, et non seulement Il ne s’est pas vengé, mais encore Il n’a point cessé de leur faire du bien. Et que dis-je, de leur faire du bien ? Il donne Sa vie pour eux, et Il prie Son Père pour ceux qui L’ont crucifié. Ces exemples, que nous donne le divin Sauveur, suivons-les donc aussi nous-mêmes, car c’est véritablement être disciple de Jésus-Christ que d’être doux et patient. »
Saint Jean Chrysostome
« Tous les caractères épurés par la lutte et par des crises violentes, Paul, Augustin, Luther, en ont conservé des cicatrices indélébiles, et leur figure garde quelque chose de dur, d’âpre et de sombre. Rien de pareil chez Jésus : il nous apparaît d’emblée comme une belle nature qui n’a qu’à suivre sa propre loi, à se reconnaître et à s’affermir dans sa conscience, sans jamais avoir eu besoin de transformer et de recommencer une vie nouvelle. »
David Friedrich Strauss
« En Jésus-Christ, c’est l’image de Dieu qui est venue parmi nous sous la forme de notre vie humaine perdue, dans une même forme charnelle que le péché. Dans Sa doctrine et dans Ses actes, dans Sa vie et dans Sa mort, Son image nous est révélée (…). C’est l’image de Celui qui entre dans le monde du péché et de la mort, prend sur Lui toutes les peines de l’humanité, s’en remet docilement à la colère et au jugement de Dieu contre les pécheurs et obéit à Sa volonté dans la souffrance et la mort avec une dévotion inébranlable, l’Homme né dans la pauvreté, l’ami des publicains et des pécheurs, l’Homme des peines, rejeté par l’homme et abandonné de Dieu. Voici Dieu fait homme, voici l’homme à l’image nouvelle de Dieu. »
Dietrich Bonhoeffer
« Ce qui frappe avant tout, ce sont l’intégrité et l’harmonie exceptionnelles de la personnalité et du caractère du Sauveur (…). Il convient de noter la pureté étonnante et irréprochable de Sa personne morale, Son humilité et Sa douceur absolues, Sa patience inépuisable, Son courage invincible et la fermeté inébranlable de Sa volonté spirituelle (…). Le caractère du Christ est complet et universel, commun à l’humanité entière, et représente l’idéal moral de tous les temps et de tous les peuples. Ce caractère est sans égal par la force de son influence bienfaisante sur l’histoire de l’humanité. Le Christ est l’archétype et la préfiguration de tout ce qui est parfait ; les rayons de Sa personnalité rejaillissent sur les grands saints, mais tous ces saints sont pareils à des étoiles en comparaison du Soleil. »
Ivan Mikhaïlovitch Andreïev
« Les évangélistes dépeignent le Christ comme quelqu’un de profondément humain. Ils ont vu des larmes dans Ses yeux, ils L’ont vu s’affliger, s’étonner, se réjouir, embrasser des enfants, admirer des fleurs. Son discours respire l’indulgence pour les faiblesses de l’homme, mais Il ne tempère jamais Ses exigences. Il peut parler avec une tendre bonté, mais Il peut aussi être sévère, et même acerbe. Dans Ses paroles perce quelquefois une ironie amère… Habituellement doux et longanime, Jésus est impitoyable envers les hypocrites ; Il chasse les marchands du temple, fustige Hérode Antipas et les docteurs de la loi, reproche à Ses disciples leur manque de foi. Il est calme et contenu, mais parfois Il est saisi d’une sainte colère. Cependant, la discorde intérieure lui est étrangère. Jésus reste toujours Lui-même (…). Tout en se trouvant au cœur de la vie terrestre, Il semble demeurer en même temps dans un autre monde, en union avec Son Père. Ses proches voyaient en Lui un homme qui ne désire qu’une chose : accomplir la volonté de Celui qui L’a envoyé. Le Christ est très éloigné de l’exaltation morbide, du fanatisme frénétique caractéristique de nombreux promoteurs et fondateurs de religions. La lucide clairvoyance est l’un des principaux traits de Son caractère. Lorsqu’Il parle de choses inhabituelles, lorsqu’Il exhorte à accomplir des actes difficiles et encourage à la bravoure, Il le fait sans faux pathétisme ou dolorisme factice. Il pouvait converser tout simplement avec des passants près d’un puits ou à un repas de fête, mais Il a pu aussi prononcer les paroles qui ont frappé tout le monde : Je suis le Pain de vie. Il parle d’épreuves et de combat, et Il apporte partout la lumière, bénissant et transfigurant la vie. »Alexandre Men
« Jésus était un Homme très dynamique, un Homme qui appréciait la vie dans toutes ses dimensions (…). Jésus est un Maître qui possède la pureté d’esprit nécessaire à une bonne compréhension de la réalité, tout en gardant une certaine distance par rapport à elle (…). Ses paroles montrent souvent qu’Il a observé les hommes et les choses ; Ses remarques sont hautes en couleur, très imagées, parfois paradoxales et pleines d’humour perspicace. »
Puig I Tarrech
Nous avons sélectionné à dessein des citations tirées d’ouvrages d’auteurs appartenant à des époques différentes et à des traditions culturelles et spirituelles différentes : un écrivain religieux d’Alexandrie du IIIᵉ siècle, un Père antiochien de l’Église du IVᵉ siècle, un théologien rationaliste allemand du XIXᵉ siècle, un éminent théologien et pasteur luthérien allemand, mort dans un camp de concentration hitlérien, deux apologètes russes orthodoxes du XXᵉ siècle, un laïc et un prêtre, enfin un spécialiste catalan contemporain du Nouveau Testament.
Chacun d’eux dévoile l’image de Jésus à sa manière, et chacun de leurs jugements contient une part de vérité. Tandis que les écrivains religieux anciens mettaient l’accent sur la nature divine de Jésus, sur Son obéissance à la volonté du Père, Son impeccabilité et l’absence en Lui de toute passion, Son humilité et Sa douceur, à l’époque moderne l’accent s’est reporté sur Ses qualités humaines qui témoignent d’une personnalité harmonieuse, dépourvue de toute dualité interne, une personnalité fascinante et unique, vivant dans une communion pleine et entière avec Dieu.
Nous ne chercherons pas ici à commenter ces analyses ni à dresser un portrait psychologique de Jésus. Nous avons simplement souhaité mettre en lumière certaines perceptions marquantes issues de différentes époques et cultures. Dans nos prochains articles, en nous laissant inspirer par ces visions de théologiens, nous relirons les Évangiles pour laisser émerger, avec simplicité et profondeur, une image intérieure du Christ — telle qu’elle se donne à voir dans les textes sacrés.
En cette Semaine Sainte qui nous conduit vers la lumière de Pâques, que cette méditation sur les traits du Sauveur éclaire nos cœurs et nous prépare à accueillir, dans la joie, Celui qui a vaincu la mort par l’amour.
Cet article fait partie de la série basée sur les six volumes de Jésus-Christ. Vie et Enseignement par le métropolite Hilarion Alfeyev, disponible tous les vendredis sur cette page. Pour obtenir votre exemplaire du premier volume, Début de l’Évangile, visitez le site des Éditions des Syrtes.
