Après un premier message en faveur de la liberté pour l’Église orthodoxe ukrainienne [sous l’omophore du métropolite de Kiev Onuphre, ndt], le métropolite de Berlin et d’Allemagne Marc a adressé un nouvel appel plus détaillé à ce sujet, à la lumière des récents événements :
« Chers Frères et Sœurs,
C’est avec douleur que nous sommes contraints de rendre compte des nouvelles persécutions de l’Église orthodoxe ukrainienne. Soupçonnée d’un manque de loyauté envers son État et son peuple, elle est soumise à des perquisitions brutales, ses biens sont confisqués et de nouvelles lois menacent d’interdire complètement son existence malgré même son histoire séculaire, sa contribution au développement spirituel de la nation et les millions de citoyens qui sont ses membres.
L’Église orthodoxe ukrainienne est l’Église la plus nombreuse (1) et historiquement la plus ancienne d’Ukraine et, comme la majorité du pays, elle fut liée pendant de nombreux siècles à la Russie. Sous les gouvernements russophobes qui ont suivi la « révolution orange », elle a subi une pression politique accrue, elle est injustement ciblée et qualifiée d’organisation politique pro-russe, malgré le fait qu’elle était et est une Église indépendante, dévouée au peuple ukrainien.
Sous prétexte des circonstances de la terrible guerre, les vrais chrétiens, bien qu’eux-mêmes citoyens de l’Ukraine, sont dénoncés comme ennemis de l’État ! Le but de certains politiciens, semble-t-il, est l’institutionnalisation forcée d’une nouvelle structure ecclésiastique nationaliste et politiquement contrôlée. Ces dernières semaines, les attaques contre la liberté de conscience et de religion en Ukraine ont connu une escalade :
1) Discrimination : le 22/11/2022, le parti de Petro Porochenko « Solidarité européenne » a soumis le projet de loi n ° 8221 (2), appelant spécifiquement à l’utilisation du terme « chrétien orthodoxe » uniquement à la soi-disant « Église orthodoxe d’Ukraine » [autocéphale, ndt], dont la création était le projet personnel de Porochenko lui-même, et qui est une entité hautement controversée dans le monde orthodoxe et pour de nombreuses raisons canoniquement illégitimes. Dans le même temps, toutes les institutions ecclésiastiques et religieuses qui pourraient être liées de quelque manière que ce soit à « l’Église orthodoxe russe » peuvent être interdites. Cela correspond à la rhétorique utilisée contre l’Église orthodoxe ukrainienne. Au cours des dernières années, plus de 500 lieux de culte de l’Église orthodoxe ukrainienne ont déjà été saisis et transférés à l’Église orthodoxe d’Ukraine » (généralement sous la pression des autorités locales et souvent par le recours à la violence de la part de groupes d’extrême droite).
2) Dénonciations, perquisitions : Depuis fin novembre, les perquisitions de bâtiments ecclésiastiques, de monastères et d’églises, menées par le Service de sécurité d’Ukraine (SBU) depuis octobre 2022 se sont massivement étendues dans de nombreux diocèses. Par exemple, La laure de la Sainte Dormition de Potchaïev, l’un des monastères de premier plan et des plus importants du point de vue historique dans le monde chrétien orthodoxe en général, a été saccagée pendant plus d’une semaine, laissant derrière le désordre et de grandes pertes matérielles. Au cours de ces perquisitions, les médias ont souvent publié de faux rapports selon lesquels de prétendues « preuves d’actions hostiles » de l’Église orthodoxe ukrainienne ont été découvertes. Le métropolite Mélèce de Tchernovtsy a été ouvertement informé le 25/11/2022 qu’il ne serait pas inquiété s’il passait à l’Église orthodoxe d’Ukraine [autocéphale, ndt]. Pendant ce temps, au cours d’une perquisition de 12 heures, il a déjà été déclaré par les médias comme « un ennemi de l’État ». De telles actions se sont produites des dizaines de fois depuis la fin du mois de novembre et se poursuivent sans relâche.
3) La menace d’interdiction : le 12/1/2022, des instructions ont été données par le président ukrainien Volodymyr Zelensky :
a) Le Parlement doit rédiger et adopter dans un délai de 2 mois une loi interdisant toutes les organisations religieuses susceptibles d’être liées à la Fédération de Russie.
b) Le Service de la politique ethnique de l’État et de la liberté de conscience doit être directement soumis aux organes exécutifs centraux de l’État, c’est-à-dire au gouvernement. Par conséquent, toutes les administrations locales doivent être soumises à ce département, du ressort duquel sont également les questions de liberté de conscience et de religion et les activités des organisations religieuses.
c) Au cours des 2 mois suivants, le gouvernement doit examiner « la présence des droits et l’observation de l’utilisation par les organisations religieuses de la propriété sur le territoire du monument historique et culturel national de la Laure des Grottes de Kiev ». Celle-ci, qui en 1926 a transformée en 1926 en un musée historique et culturel par les communistes, lors de la liquidation du monachisme, a été rétablie en monastère grâce aux efforts de l’Église orthodoxe ukrainienne légitime dans les années 1990. Maintenant, elle est à nouveau menacée par la séparation d’avec l’Église dans une certaine mesure, même si elle n’est pas complètement confisquée. En 1990, les fidèles devaient déjà résister à la saisie forcée par le parti nationaliste « Rukh ».
4) Un appel vidéo du président : Le même jour, le 12/1/2022, le président Zelensky a déclaré publiquement que le Conseil national de sécurité soutenait le projet de loi interdisant les organisations religieuses susceptibles d’être influencées par la Fédération de Russie (cf. projet de loi N°8221, mentionné plus haut).
5) Provocation et schisme : Le 12/2/2022, la susmentionnée « Église orthodoxe d’Ukraine » a enregistré une nouvelle entité juridique sous le nom officiel de « Laure de la Sainte Dormition – Grottes de Kiev (monastère masculin) » avec une adresse sise dans la même rue que la Laure des Grottes de Kiev, mais avec un numéro de rue différent, à savoir 14 au lieu de 15.
6) Sanctions contre des citoyens individuels : Le 12/3/2022, des sanctions ont été annoncées contre 7 évêques de l’Église orthodoxe ukrainienne en fonction, 2 évêques retraités et contre le protodiacre Vadim Novinsky. Les sanctions comprennent le gel des comptes, l’interdiction de voyager en Ukraine et l’interdiction de louer des biens publics gouvernementaux (y compris des structures religieuses).
Comment de telles actions correspondent-elles aux valeurs libérales-démocratiques, à la liberté religieuse ? Nous appelons tous nos concitoyens, l’Église et les hommes politiques à ne pas fermer les yeux, mais à élever leurs voix et à exiger le rétablissement et le respect des droits de l’homme élémentaires en Ukraine.
+ MARC, métropolite de Berlin et d’Allemagne
[1] À la lumière de la dynamique actuelle, il est difficile d’évaluer la fiabilité des statistiques. À en juger par les chiffres officiels du 20 octobre 2022, l’Église orthodoxe ukrainienne comptait 9 107 paroisses, l’Église orthodoxe d’Ukraine,
5 194. L’Église orthodoxe ukrainienne répertorie 12 148 paroisses pour la fin de 2022. Depuis la création de l’Église orthodoxe d’Ukraine au début de 2019, quelques 1 000 (?) églises ont été transférées de l’Église orthodoxe ukrainienne à l’Église orthodoxe d’Ukraine. Le nombre de ces transferts volontaires et le nombre de saisies forcées ne sont pas reflétés dans les statistiques. Dans le même temps, il est difficile de déterminer dans quelle mesure le nombre de paroisses correspond au nombre de paroissiens (Thomas Bremer: « Quelle église orthodoxe en Ukraine est-elle la plus grande ? »
En même temps, le nombre de monastères et de moines et moniales démontre les racines profondes auxquelles les gens adhèrent au sein de l’Église. En 2018, l’Église orthodoxe ukrainienne comptait plus de 200 monastères (plus de 4 600 moines et moniales). En revanche, l’Église orthodoxe d’Ukraine (à ce moment, officiellement le soi-disant « Patriarcat de Kiev ») avait quelque 63 monastères avec 230 moines et moniales. L’Église orthodoxe ukrainienne dispose de l’Académie théologique de Kiev, l’Académie théologique d’Oujgorod, l’Université théologique de Lougansk, l’Institut théologique de Tchernovtsy, 7 séminaires théologiques et 8 écoles religieuses professionnelles. Malgré le fait que depuis 2019, quelque 1 000 églises de l’Église orthodoxe ukrainienne aient été transférées sous l’autorité de l’Église orthodoxe d’Ukraine, souvent violemment, la plupart des ecclésiastiques et des fidèles ne soutiennent apparemment pas les changements imposés à l’Église.
[2] Le projet de loi est publié sur le site officiel de la Verkhovna Rada. Dans une lettre ouverte du Saint-Synode de l’Église orthodoxe d’Ukraine au président Zelensky, ce projet de loi et d’autres projets de loi sont : décrits en détail [traduction française ICI, ndt]