Alexandre Siniakov, Sois le berger de mes agneaux, Desclée de Brouwer, 2022, 189 pages, 17,90 euros.
Les deux précédents ouvrages du père Alexandre Siniakov, recteur du Séminaire orthodoxe russe en France, avaient été très remarqués : Comme l’éclair part de l’Orient (Salvator, 2017) a reçu le prix du livre de spiritualité 2018 ; Détachez-les et amenez-les moi (Fayard, 2019) a obtenu le prix littéraire 30 millions d’amis en 2019. Ce nouveau livre est dans la continuation du second. La relation avec les animaux est au centre de l’ouvrage. Comme les précédents, l’écriture y est d’une grande qualité. Les péripéties quotidiennes, remarquablement narrées, sont toujours l’occasion d’une transmission d’informations, sur les animaux, et d’enseignements reçus par l’expérience ainsi que de réflexions qui mettent en lien ce vécu avec le cheminement spirituel chrétien.
C’est un parcours vraiment étonnant, et pour le moins rare, que relate le père Alexandre. Déjà pasteur d’une communauté humaine, il est aussi devenu le berger d’une communauté animale voyant cela comme un « signe de la fécondité spirituelle » (p.175) de son ministère ecclésial. Il rapporte ainsi d’emblée (p.10) tout en établissant la trajectoire de l’ouvrage : « J’étais l’ami de mon troupeau. Voici comment, à l’épreuve du temps, du monde et de la mort, je suis devenu son berger. » Il relate ce qu’il apprend dans cette relation, y compris spirituellement. À cet égard, le sous-titre de l’ouvrage, « Une spiritualité en harmonie avec la nature et les animaux », n’est pas usurpé. Il nous introduit au passage dans la compréhension du monde animal, en particulier celui des chevaux. On fait ainsi la connaissance de plusieurs équidés, de leur histoire, de leur psychologie, de leur personnalité. Des ânesses et un berger du Caucase sont aussi évoqués tout comme des volailles et des chèvres. Il raconte également comment il a installé tout ce petit monde, vite rejoint par des nouveaux venus, dans une ferme située dans le nord de la Sarthe.
Les derniers chapitres sont une sorte d’acmé du livre. Ils sont marqués par la douloureuse confrontation avec la mort, mais aussi par le surgissement inattendu d’une vie naissante, un « signe vivant de la Résurrection » (p.184). Mais avant ce printemps, la mort s’est emparée de plusieurs membres de cette communauté, le berger du Caucase, un poulain et Obéron, le jeune, splendide et prometteur cheval akhal-téké. Le père Alexandre nous donne un récit poignant de toutes ces morts. Jusqu’à l’heure du grand passage, et même après, il a accompagné les animaux, le jour et souvent la nuit. Il témoigne de la survenue funeste et de son affliction dans de fort belles pages qui offrent aussi une méditation profonde sur ce grand mystère : « Je pleurais sous un ciel si mutique qu’il semblait s’être retiré – moi, le prêtre, aussi désemparé qu’un incroyant face à la réalité mystérieuse, absurde et fatale de la mort. De la vie je n’avais plus que cette sidération douloureuse que ne manque jamais de lui communiquer la mort. » (p. 137) C’est aussi pourtant là, dans cette crucifixion nous dit-il (p.155), qu’il trouve l’espérance et la résurrection (p.155) : « Le mélange de souffrance et de sérénité que nous procure le recueillement sur la tombe d’êtres aimés représente depuis, à mes yeux, l’expérience la plus authentique de l’espérance, qui consiste à voir la vie éternelle non pas au-delà mais au travers de la mort. »
Un livre prenant qui témoigne magnifiquement des belles et riches rencontres de l’auteur avec des animaux jusqu’à former, grâce à une découverte réciproque, un chemin partagé.
Christophe Levalois