Jean-Claude Larchet, « Mont Athos. Carnets 1974-2015 », Éditions des Syrtes, 2022, 292 pages, 15 euros.
Les livres sur le Mont Athos et certaines de ses figures monastiques présentes ou passées ne manquent pas. Dans son dernier ouvrage, « Mont Athos. Carnets 1974-2015 », Jean-Claude Larchet donne accès aux notes, souvent substantielles, qu’il a prises lors de ses treize séjours sur la Sainte Montagne, ce très haut lieu de l’orthodoxie dépositaire d’une tradition spirituelle plurimillénaire. Rappelons qu’il s’agit d’une république monastique indépendante, organisée dès le Xe siècle, ayant un statut d’autonomie au sein de la Grèce, et qui s’étend sur une quarantaine de kilomètres sur la majeure partie de l’une des trois péninsules de la Chalcidique, la plus orientale, l’Aktè, avec une superficie qui équivaut à un peu plus de trois fois celle de Paris. On suit ainsi le pèlerin dans toutes ses découvertes, ses rencontres, ses impressions et ses réflexions. Le texte est très vivant et pédagogique. Des explications, notamment historiques, sont aussi données au fur et à mesure sur les différents monastères, skites et calyves*, sur les grandes figures spirituelles, les pratiques de tel ou tel lieu, les icônes renommées que l’on y trouve ou encore les particularités géographiques. S’y ajoutent tout un développement sur le rôle du Mont Athos, du Moyen Âge à nos jours, dans l’introduction et les deux dernières parties du livre, « Mutations et permanence » et « La dimension prophétique du monachisme athonite pour le monde moderne ». C’est ainsi que le lecteur non seulement accompagne l’auteur dans ses pérégrinations et sa quête spirituelle, mais, plus encore, partage celle-ci et les précieux enseignements reçus.
En effet, des rencontres exceptionnelles avec quelques-uns des grands spirituels du Mont Athos de la deuxième moitié du XXe siècle, qui ont participé au renouveau de celui-ci, sont relatées tout comme les échanges qui ont eu lieu et que Jean-Claude Larchet a de suite consignés dans ses carnets. Il suffira juste de noter les noms de quelques-uns de ses interlocuteurs, dont certains ont été canonisés depuis, pour comprendre qu’il a bénéficié d’enseignements spirituels d’une incomparable qualité, en l’occurrence ceux de saint Éphrem de Katounakia et de saint Païssios, des pères Éphrem de Philothéou, Aimilianos de Simonos Pétra, l’Ancien Charalampos, l’Ancien Joseph le Jeune (aussi appelé Joseph de Vatopaidi), Georges de Grigoriou, Basile de Stavronikita, Euthyme de Kapsala et de bien d’autres.
L’essentiel de l’ouvrage porte sur la prière, notamment la prière personnelle et plus particulièrement la prière de Jésus**. L’auteur est ici un fidèle orthodoxe désireux d’approfondir sa foi et la pratique de la prière. Pour cela, il se rend auprès des grands spirituels athonites et pose des questions qui sont aussi, finalement, celles de tout fidèle. Les réponses sont toujours simples, concrètes, précises. En cela, ce livre est un aussi une mine d’enseignements précieux pour la pratique de la prière. Il est même à cet égard d’une richesse incroyable. Quelques pages ouvertes au hasard permettent au lecteur de le comprendre très vite ! A la question de la difficulté que l’on peut éprouver à prier en continu, le saint père Ephrem de Kanoutakia répond (p.63) : « Quand on prie peu, c’est difficile ; quand on prie beaucoup, c’est facile. Quand on prie peu, on a beaucoup de pensées ; quand on prie beaucoup, l’esprit devient paisible. » Concernant le lien entre la prière et le cœur, un sujet abordé dans plusieurs passages, l’Ancien Charalampos précise (p.160) : « Prier avec le cœur est une chose difficile ; il faut pour cela beaucoup d’exercice, beaucoup de prière. C’est en fait un don de Dieu. Dieu nous accorde cette grâce lorsqu’Il voit que notre volonté est entièrement tournée vers Lui, quand Il voit que nous nous dépensons beaucoup pour lui, que nous l’implorons de tout notre cœur. C’est une expérience indescriptible, qui fait soudain irruption dans le cœur. » Parmi les autres conseils donnés par l’Ancien Charalampos (p.169) : « Il faut surtout veiller à prier sans aucune forme d’imagination. Il ne faut imaginer le Christ ou la Mère de Dieu d’aucune manière. Les démons, s’ils voient que nous sommes portés à imaginer, nous apparaîtront sous des formes diverses – d’anges, du Christ ou de la Mère de Dieu – pour ensuite, par là, nous faire tomber. Il faut prier sans avoir dans l’esprit aucune image, absolument rien : seulement les mots de la prière et ce qu’ils signifient, à savoir que Jésus-Christ est Dieu et Seigneur, et que nous Lui demandons de nous sauver. »
Un livre qui sera donc très utile pour toute personne désireuse de découvrir ou de mieux connaître le Mont Athos, ses traditions, la spiritualité qui s’y déploie depuis de nombreux siècles, mais aussi pour comprendre et approfondir la prière, son rôle, sa pratique. Une lecture qui s’avère à la fois captivante et très instructive que l’on ne saurait donc trop recommander.
Christophe Levalois
* : La skite est un établissement, plus ou moins grand, ou un ensemble de calyves, qui dépend d’un monastère. Les calyves, « cabanes », sont des petites maisons, avec un moine avec quelques disciples. Elles sont appelées kellia (« cellules », singulier : kellion), lorsqu’elles sont plus grandes et comprennent une chapelle et des terrains agricoles, quelques moines y vivent.
** : « Seigneur Jésus-Christ, fils de Dieu, aie pitié de moi pécheur ! » Cependant, l’Ancien Charalampos conseille (p.166, mais aussi Ephrem de Katounakia et d’autres, p.148-149) la formule plus courte « Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi ! » En effet, dit-il, « car l’esprit l’assimile plus vite, la retient et la garde plus facilement ; surtout pour les débutants. »