Entretien avec le métropolite Mélèce de Tchernovtsy et Bucovine, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures de l’Église orthodoxe ukrainienne

Le métropolite Mélèce de Tchernovtsy et Bucovine, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures de l’Église orthodoxe ukrainienne a bien voulu accorder un entretien à Orthodoxie.com.

Votre Éminence,

Merci d’avoir accepté de nous accorder une interview pour notre public francophone. Le Concile local de l’Église orthodoxe ukrainienne du 27 mai dernier a apporté des décisions importantes pour l’Orthodoxie en Ukraine, mais aussi pour l’Orthodoxie en général. À cet égard, nous aimerions vous poser quelques questions.

1. Parmi les décisions prises lors de ce Concile, il y a celle de supprimer dans les statuts de l’Église orthodoxe ukrainienne toutes les dispositions qui établissaient un lien entre celle-ci et l’Église orthodoxe russe. Ces dispositions ont été ôtées des statuts. En particulier, vous avez supprimé des statuts les paragraphes selon lesquels l’Église orthodoxe ukrainienne, « est unie aux Églises orthodoxes locales par l’intermédiaire de l’Église orthodoxe russe » (paragraphe 3 des anciens statuts). D’après vous, comment l’Église orthodoxe ukrainienne manifeste-t-elle et réalise maintenant son unité avec les autres Églises locales ?

L’unité avec les autres Églises locales est réalisée au moyen de la commémoration dans la prière des primats de ces Églises, par Sa Béatitude le métropolite Onuphre, pendant la liturgie. Aujourd’hui, notre Église a de facto un statut autocéphale, qui guide ses activités, sans avoir pour le moment un statut formel autocéphale.

2. Dans le protocole N°58 de la réunion du Saint-Synode de l’Église orthodoxe russe fut rappelé le canon 15 du Concile prime-second qui dispose : « C’est pourquoi, si un prêtre ou un évêque ou un métropolite osait se séparer de la communion de son patriarche et ne commémorait pas son nom, comme cela fut établi et fixé, pendant la divine célébration des mystères, et si, avant qu’un concile d’évêques ne le cite à son tribunal et ne le condamne définitivement, il provoquait un schisme, celui-là le saint concile a décidé qu’il soit complètement dépouillé de toute dignité sacerdotale, dés qu’il sera convaincu d’avoir commis cette iniquité». Selon l’opinion de Moscou, la décision de ne plus commémorer le patriarche Cyrille pendant la sainte liturgie d’une part, et de changer d’autre part les statuts en dehors du cadre des procédures canoniques, qui comprennent la résolution du Concile local de l’Église orthodoxe russe, peuvent conduire à de nouvelles divisions dans l’Église. Quelle sont vos réponses à ces objections d’ordre canonique ?

Plusieurs canons du Concile Prime-Second sont consacrés à la question de la commémoration de la hiérarchie, à savoir les canons 13, 14 et 15. Ces règles prescrivent justement la forme de commémoration que Sa Béatitude le Métropolite Onuphre a annoncée au Concile. À savoir que le prêtre commémore seulement son évêque, l’évêque – seulement le métropolite et le métropolite – seulement le patriarche. En particulier, à la fin du canon 14, il est dit que «ni le prêtre ne doit négliger son évêque, ni l’évêque son métropolite ».

Ainsi, l’ordre de commémoration déterminé par Sa Béatitude est plus conforme à ces règles que l’ordre qui était auparavant, lorsque le prêtre paroissial commémorait toute la hiérarchie, de l’évêque jusqu’au patriarche. Or, à présent, dans chaque diocèse de l’Église orthodoxe ukrainienne, les prêtres commémorent leur évêque, tous les évêques commémorent Sa Béatitude le métropolite de Kiev comme leur chef. Et la commémoration par Sa Béatitude [le métropolite de Kiev, ndt] du patriarche de Moscou ne fait que couronner ce système. Pour cette raison, il n’y a pas d’écart par rapport à la communion de prière avec le patriarche et, par conséquent, il n’y a pas non plus de schisme.

En ce qui concerne directement le 15e canon, c’est quelque peu différent, puisqu’il concerne la cessation de la commémoration du patriarche lorsque celui-ci apostasie la foi. À ce propos, c’est précisément à ce canon que s’est référé le Patriarcat de Moscou lorsqu’il fut contraint, en 1448, de proclamer l’autocéphalie et cessa de commémorer le patriarche de Constantinople, lequel avait signé en 1439 l’union avec Rome et, par conséquent, s’était écarté de la foi orthodoxe.

3. Plus concrètement, quelles seront les mesures concrètes entreprises par l’Église orthodoxe ukrainienne pour obtenir la reconnaissance du statut d’autocéphalie de la part des autres Églises orthodoxes locales ?

Comme je l’ai déjà dit, nous n’avons pas proclamé l’autocéphalie. Vous ne trouverez pas un tel mot dans les décisions de notre Concile. On y parle d’indépendance et d’autonomie complètes. En conséquence, la reconnaissance des Églises locales n’est pas requise. Nous restons en communion avec elles. Il n’est pas exclu que le statut d’autocéphalie d’un point de vue formel soit la prochaine étape du développement de notre Église. À présent il ne reste plus que la question du mot « autocéphalie », puisque nous avons déjà tous les droits d’une Église autocéphale.

Les relations entre notre Église et les autres Églises locales sont fraternelles, chaleureuses et bienveillantes. Sur la base de ma propre expérience personnelle de communication avec elles, je peux dire que si nous soulevons la question du statut autocéphale de l’Église orthodoxe ukrainienne, alors au moins dix Églises locales seront prêtes à nous reconnaître immédiatement. Le problème ne se posera que pour les Églises qui se sont déjà engagées dans la reconnaissance d’une autre structure ukrainienne, non canonique. Ces mêmes Églises locales qui n’ont pas péché contre l’ecclésiologie orthodoxe par cette reconnaissance seront prêtes à reconnaître notre Église dans son nouveau statut, lorsqu’une telle question sera posée.

4. Votre attitude envers le Patriarcat de Constantinople a-t-elle changé depuis le 27 mai ? Le patriarche de Constantinople n’est-il toujours pas commémoré par Mgr Onuphre ?

Notre attitude n’a pas changé, puisque la cause de la rupture de la communion eucharistique n’a pas été écartée. Même aujourd’hui, notre primat ne commémore pas les primats des Églises locales qui ont reconnu les schismatiques. Aussi, si la cause qui a conduit à l’interruption de la communion est écartée, la communion sera alors restaurée.

5. Des actions concrètes sont-elles entreprises en vue d’un rapprochement avec l’Église orthodoxe d’Ukraine (Patriarcat de Constantinople), afin d’arriver à une véritable unité locale ?  Quelles sont vos conditions pour la réalisation de cette réunification ?

Le Concile de notre Église a exposé sa position et s’est dit prêt à un tel dialogue. Cependant, tant que l’autre camp s’empare de nos églises et, avec l’aide des autorités locales, enregistre nos paroisses en sa faveur, ce qui s’accompagne de conflits, l’on ne peut véritablement parler d’un début de dialogue. Il me semble que le début d’un tel dialogue devrait être précédé d’au moins une courte période de tranquillité et de calme interconfessionnel.

6. Pouvez-vous nous dire combien de paroisses ont quitté votre juridiction depuis la guerre et vers quelles juridictions sont-elles allées ?

Depuis le début de la guerre, les partisans de l’Église orthodoxe d’Ukraine ont saisi environ 250 de nos églises, alors qu’il n’y a eu que 53 transferts. La réalité est que de tels « transferts » se produisent souvent sur le papier – les autorités locales les aident à effectuer le réenregistrement juridique. Cependant, les vrais croyants restent fidèles à notre Église. De même, la grande majorité de nos prêtres refusent de passer à l’Église orthodoxe d’Ukraine.

7. Lors du Concile local du 27 mai, l’Église orthodoxe ukrainienne a décidé de créer ses propres paroisses dans la diaspora. Avez-vous des informations concernant le nombre des Ukrainiens dans la diaspora ?

Nous utilisons les statistiques fournies par des structures étatiques ou internationales. Elles parlent de 7 millions de réfugiés et prévoient qu’environ 2,5 à 3 millions d’Ukrainiens resteront à l’étranger. Un tel nombre de réfugiés est comparable à la population de certains pays européens. Bien entendu, la migration des personnes est un défi pastoral pour l’Église, et nous essayons d’y répondre.

8. Combien de paroisses avez-vous déjà ouvert dans la diaspora et dans quels pays ?

Depuis le début de la guerre, nous avons déjà ouvert une dizaine de paroisses, et cette statistique évolue rapidement. Il y en a autant en cours d’organisation. En même temps, nous nous orientons selon les demandes de nos fidèles, en fonction des lieux de leur séjour à l’étranger. Des paroisses sont ouvertes dans de nombreux pays européens – au Danemark, en Allemagne, en Suisse, aux Pays-Bas et dans d’autres pays.

9. Le gouvernement ukrainien vous aide-t-il pour l’ouverture de ces paroisses ?

Non. Nous faisons cela indépendamment.

10. Envisagez-vous d’ouvrir des paroisses en France ?

Oui. Nos fidèles qui y séjournent se tournent vers nous avec de telles requêtes.

11. Pour finir, comment concevez-vous vos relations avec l’Église orthodoxe russe dans le futur ?

Il ne faut pas oublier que nous sommes membres d’une seule Église du Christ et que les relations entre nos Églises doivent être amicales et fraternelles, comme il convient aux chrétiens. J’aimerais qu’il y ait une réconciliation entre nos peuples et entre nos États après la fin de la guerre. Aujourd’hui, cela semble irréaliste, de même qu’une réconciliation entre les Allemands et les Polonais, entre les Allemands et les Français semblait irréaliste après la Seconde Guerre mondiale. Cependant, cette réconciliation a eu lieu. Et cela s’est fait, soit dit à ce propos, avec la participation active des confessions chrétiennes de ces pays. J’espère que le temps viendra où il y aura la même réconciliation entre nos peuples.

Pour lire l’entretien en russe, cliquez ICI !

Propos recueillis par le père Jivko Panev et Veronica Cibotaru

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