Le centre oublié de l’unité entre le monachisme des Églises d’Orient et d’Occident sur le mont Athos

À travers les forêts épaisses et impénétrables du mont Athos, non sans péripéties, notre expédition a tout de même réussi à atteindre les ruines abandonnées de l’ancien monastère bénédictin latin « Amalfion » (ou « Amalfinon »), fondé par des moines bénédictins d’Europe occidentale au 10e siècle.

Ce monastère athonite avait un statut bénédictin et un rite latin, et les moines signaient tous les documents athonites en latin. Autrefois, la vie spirituelle y régnait et on y priait en latin. Aujourd’hui, les forêts sont impénétrables et les habitants ne sont plus que des chacals sauvages, des serpents et des chauves-souris.

Comme tout était envahi par les arbres et les buissons épineux, nous avons dû nous frayer un chemin à l’aide d’une machette prêtée par les moines athonites. Vêtements déchirés et blessures sanglantes aux mains et aux pieds à cause des lianes et des buissons épineux, tel est le prix à payer pour ce voyage unique. Enfin, nous atteignons la tour d’Amalfion. Fatigués mais heureux…

De l’ancien majestueux monastère latin de la Montagne Sainte, il ne reste qu’une tour médiévale dont les murs sont percés de fenêtres à créneaux. C’est probablement de là que les moines se défendaient contre les attaques des pirates et des croisés. Les cloisons en bois entre les étages ayant pourri depuis longtemps, nous n’avons pu accéder aux étages supérieurs de la tour qu’à l’aide de cordes et d’un escabeau que nous avions apportés avec nous. Au milieu de la tour se trouve un puits, qui était la seule source d’eau pendant le siège du monastère. Tous les autres bâtiments du monastère n’ont pas été conservés. Au milieu de la forêt dense, seules des ruines peuvent être aperçues ici et là sous le sol et les buissons denses, attendant les chercheurs. Les recherches archéologiques qui seront menées ici à l’avenir révèleront beaucoup d’inconnues sur l’histoire du mont Athos, ainsi que sur les liens entre le monachisme de l’Église orientale et celui de l’Église occidentale.

Le monastère « Amalfion » (de la ville italienne d’Amalfi, d’où sont originaires les premiers moines de ce monastère de l’Athos) a été fondé dans les années 980 par le père Léon de Bénévent, qui est venu à l’Athos de la « terre romaine » avec six autres moines bénédictins. Les patrons du monastère latin du mont Athos étaient saint Athanase l’Athonite et saint Jean d’Iveron, et les monastères d’Iviron et de la Grande Laure ont considérablement soutenu et aidé ces moines latins au début de la formation de leur communauté monastique. Nous assistons donc à une véritable alliance entre les moines grecs, géorgiens et latins au cours de cette période sur la Sainte Montagne.

Les premières signatures de moines d’Europe occidentale (en latin) sur des actes athonites datent de 984 et 985. Le monastère athonite latin et ses premiers habitants sont mentionnés dans les hagiographies de saint Athanase, de saint Jean et de saint Euthyme d’Ibérie. L’ascète ibérique Gabriel, auquel est associé le miracle de l’apparition de la célèbre icône ibérique de la Mère de Dieu (début du XIe siècle), a été impressionné et inspiré par les actes du fondateur d’Amalfion, le père Leo de Bénévent.

On sait que l’un des moines d’Amalfion, Jean, est devenu en 997 le 29e abbé de la célèbre abbaye bénédictine du Mont-Cassin, en Italie, fondée au VIe siècle par saint Benoît de Nursie. L’auteur de la Chronique du monastère de Cassin, moine de cette abbaye et futur cardinal Léon d’Ostie (vers 1045 – 1117), raconte cette histoire en détail. Il rapporte que sur le mont Athos, saint Benoît de Nursie est apparu à Jean dans une vision, lui a remis le bâton d’abbé et lui a ordonné de retourner à l’abbaye de Mont-Cassin, où il a été rapidement élu abbé. Un autre ancien moine et abbé de l’abbaye de Mont-Cassin, le futur pape Victor IIII (vers 1026 – 1087), se souvient de cette histoire.

Le monastère latin « Amalfion » était dédié à la Vierge Marie et occupait une place importante dans la hiérarchie des monastères athonites, avec la Grande Laure, les monastères d’Iviron et de Vatopedi.

Il est intéressant de noter que les signatures de ces moines latins figurent sur l’acte athonite de 1016, où le monastère athonite de la Vieille Russie est mentionné pour la première fois, ainsi que sur l’acte de 1169 relatif au transfert du monastère de Saint-Panteleimon (ou « Rossikon ») aux moines de la Vieille Russie, et sur d’autres actes. Ainsi, les moines latins athonites ont eu une certaine relation avec la fondation et le soutien du monastère de Hilandar (« Xilurgu ») et, plus tard, du monastère de Saint-Pantéléimon.

Étant donné que les moines bénédictins d’Amalfi étaient très honorés pour leur ascétisme et leur droiture par saint Athanase d’Athos, ainsi que par les saints pères fondateurs du monastère ibérique et d’autres ascètes athonites, il n’est pas exclu que saint Antoine des Grottes de Kiev, qui revint plus tard à Kiev depuis la Sainte Montagne avec la bénédiction des moines athonites et fonda le monastère de des Grottes de Kiev, ait pu les connaître au mont Athos, à cette époque.

Lorsqu’en 1198, le fondateur de la dynastie régnante serbe et père de saint Sava de Serbie, le Grand Prince Stéphane Nemanja (plus tard moine Siméon ; 1113-1199), dans son discours à l’empereur byzantin, justifia la nécessité de fonder un monastère serbe séparé sur le mont Athos, il se référa à l’exemple de l’existence du monastère latin « Amalfion » pour illustrer le statut international de la république monastique sur la Sainte Montagne.

Les documents de 1169, 1198 et d’autres années montrent que le monastère latin « Amalfion » a continué d’exister même après le grand schisme de 1054, servant de pont d’unité spirituelle entre les monastères des Églises d’Orient et d’Occident plus de 200 ans plus tard.

Il est intéressant de noter que le pape Innocent III (1161 – 1216) a placé les monastères du mont Athos sous son patronage direct et, dans ses lettres de 1211 et 1214, les a protégés contre les empiètements des évêques latins et les attaques des croisés. Il est possible que ce patronage ait été rendu possible par la médiation des moines latins athonites.

Amalfion déclina et cessa d’exister en tant que monastère indépendant après 1287. On pense qu’il a beaucoup souffert des attaques et des pillages des croisés, après quoi il s’est délabré. L’empereur byzantin Andronic II Paléologue l’a remis à la Grande Laure, mais même après cela, la vie monastique s’est poursuivie dans les murs du monastère pendant plusieurs siècles encore, jusqu’à ce qu’il cesse finalement d’exister.

Le destin de ce monastère et de sa confrérie est une page unique et peu connue de l’héritage international et de l’histoire de la Sainte Montagne, ainsi que de l’unité spirituelle et des relations entre le monachisme des Églises d’Orient et d’Occident.

Nous aborderons ce sujet et bien d’autres en détail prochainement dans un film documentaire, que nous avons tourné sur le mont Athos en collaboration avec des amis journalistes français pour la chaîne chrétienne populaire française ‘KTO-télévision’, avec le soutien du Centre National du Cinéma et de l’Image Animée (CNC, Paris, France). Un grand merci à Alexey Vozniuk, au Père Guillaume, et à tous ceux qui ont participé à ce voyage unique.

Dr Serhii Shumylo,

Docteur en histoire, docteur en théologie (Th.Dr.),

Directeur de l’Institut international de l’héritage athonite ; chercheur au département des lettres classiques, de l’histoire ancienne, de la religion et de la théologie, Université d’Exeter (Royaume-Uni) ; chercheur à l’Institut d’histoire de l’Ukraine, Académie nationale des sciences d’Ukraine.

007. Protos Ioannis (9, nov. 991)

À propos de l'auteur

Photo of author

Kassiana Panev

Traductrice Interprète anglais-français niveau Master 2 et assistante d'émission pour Orthodoxie TV.
Lire tous les articles par Kassiana Panev

Articles populaires

Recension: Hiéromoine Grégoire du Mont-Athos, «La foi, la liturgie et la vie de l’Église orthodoxe. Une esquisse de catéchisme orthodoxe»

Ce catéchisme est particulièrement bienvenu pour les parents en attente, pour leurs enfants d’un catéchisme orthodoxe fiable, mais aussi pour ...

Jean-Claude Larchet, « “En suivant les Pères…”. La vie et l’œuvre du père Georges Florovsky »

Vient de paraître: Jean-Claude Larchet, « “En suivant les Pères… ”. La vie et l’œuvre du Père Georges Florovsky », ...

Le centre oublié de l’unité entre le monachisme des Églises d’Orient et d’Occident sur le mont Athos

À travers les forêts épaisses et impénétrables du mont Athos, non sans péripéties, notre expédition a tout de même réussi ...

Le métropolite Nestor a consacré la chapelle de la Nativité du Christ en Bourgogne

Le 1er septembre 2024, 10e dimanche après la Pentecôte, le métropolite de Chersonèse et d’Europe occidentale, exarque patriarcal d’Europe occidentale, ...

23 août (ancien calendrier) / 5 septembre (nouveau)

Clôture de la Fête de la Dormition de la Très-Sainte Mère de Dieu et toujours Vierge Marie ; saint Irénée, évêque ...

5 septembre

Saint prophète Zacharie

La vision du Patriarcat œcuménique sur la question de l’unité de l’Orthodoxie ukrainienne

À l’occasion du nouvel an ecclésiastique, qui, dans l’Église orthodoxe, est célébré le 1er septembre, la rédaction du site internet ...

Communiqué de la Xᵉ Synaxe du la Hiérarchie du Trône œcuménique

« Sur invitation et sous la présidence de Sa Toute-Sainteté le Patriarche œcuménique Bartholomée, la vénérable Hiérarchie du Trône œcuménique s’est ...

Le patriarche d’Alexandrie a envoyé une lettre à la hiérarchie du Trône œcuménique concernant l’intrusion russe en Afrique

Le patriarche d’Alexandrie, Théodore II, a envoyé une lettre au patriarche œcuménique  Bartholomée, ainsi qu’aux hiérarques du Trône œcuménique, dans ...

L’archevêque Jérôme sur les relations avec l’État : « Nous coopérons, mais nous avons aussi des principes que nous ne pouvons pas restreindre »

L’archevêque Jérôme d’Athènes et de toute la Grèce a rencontré, le 3 septembre, la ministre de la Culture, Lina Mendoni. ...

Les étudiants de Iași se sont rendus au monastère de Godoncourt pour rencontrer et peindre les saints de France

Le monastère de Godoncourt a accueilli, entre le 20 août et le 2 septembre 2024, le Camp de peinture « ...

4 septembre

Jour de jeûne Saint hiéromartyr Babylas, évêque d’Antioche, et avec lui les enfants martyrs : Urbain, Prilidien, et Épolonios, et leur ...

22 août (ancien calendrier) / 4 septembre (nouveau)

Jour de jeûne Après-Fête de la Dormition de la Très-Sainte Mère de Dieu et toujours Vierge Marie ; saints Agathonique, Zotique, ...

(Re)voir le documentaire « Être orthodoxe en Bretagne »

Le documentaire « Être orthodoxe en Bretagne » diffusé le dimanche 1er septembre dernier est visible pendant un mois, dans le monde entier, ...

(Re)voir le documentaire « Être orthodoxe en Bretagne »

Le documentaire « Être orthodoxe en Bretagne » diffusé le dimanche 1er septembre dernier est visible pendant un mois, dans le monde entier, ...

Discours inaugural de Sa Toute-Sainteté le patriarche œcuménique Bartholomée à la Synaxe de la hiérarchie du Trône œcuménique (1er septembre 2024)

Nous vous proposons la traduction du discours inaugural du patriarche œcuménique Bartholomée prononcé lors de l’ouverture de la Synaxe de ...

3 septembre

Saint Anthime, évêque de Nicomédie, martyr (302) ; sainte Phoebé, diaconesse de l’église de Cenchrée, port oriental de Corinthe (Ier ...

21 août (ancien calendrier) / 3 septembre (nouveau)

Après-Fête de la Dormition de la Très-Sainte Mère de Dieu et toujours Vierge Marie ; Saint Thaddée, apôtre (vers 44) ; ...