Serhii Shumylo, historien et théologien, partage ses impressions sur le tournage en cours d’un documentaire inédit consacré au monastère bénédictin latin d’Amalfion, autrefois situé sur le Mont Athos. Ce film exceptionnel, dont l’idée originale revient à Alexey Vozniuk, qui en est également le scénariste et réalisateur, sera prochainement diffusé sur KTO – Télévision Catholique. Il s’agit d’un projet unique, tant par son sujet que par sa collaboration prestigieuse avec le Collège de France et l’Institut International de l’Héritage Athonite. Produit par Nomade Production, il promet de dévoiler des aspects méconnus et rarement explorés de l’héritage monastique du Mont Athos :
« Le centre oublié de l’unité entre le monachisme des Églises d’Orient et d’Occident sur le mont Athos.
À travers les forêts épaisses et impénétrables du Mont Athos, non sans péripéties, notre expédition a tout de même réussi à atteindre les ruines abandonnées de l’ancien monastère bénédictin latin « des Amalfitains », fondé par des moines bénédictins d’Europe occidentale au Xè siècle.
Ce monastère athonite avait un statut bénédictin et un rite latin, et les moines signaient tous les documents athonites en latin. Autrefois, la vie spirituelle y régnait et on y priait en latin. Aujourd’hui, les forêts sont impénétrables et les habitants ne sont plus que des chacals sauvages, des serpents et des chauves-souris.
Comme tout était envahi par les arbres et les buissons épineux, nous avons dû nous frayer un chemin à l’aide d’une machette prêtée par les moines athonites. Vêtements déchirés et blessures sanglantes aux mains et aux pieds à cause des lianes et des buissons épineux, tel est le prix à payer pour ce voyage unique. Enfin, nous atteignons la tour des Amalfitains. Fatigués mais heureux…
De l’ancien majestueux monastère latin de la Sainte Montagne, il ne reste qu’une tour médiévale dont les murs sont percés de fenêtres à créneaux. C’est probablement de là que les moines se défendaient contre les attaques des pirates et des croisés. Les cloisons en bois entre les étages ayant pourri depuis longtemps, nous n’avons pu accéder aux étages supérieurs de la tour qu’à l’aide de cordes et d’un escabeau que nous avions apportés avec nous. Au milieu de la tour se trouve un puits, qui était la seule source d’eau pendant le siège du monastère. Tous les autres bâtiments du monastère n’ont pas été conservés. Au milieu de la forêt dense, seules des ruines peuvent être aperçues ici et là sous le sol et les buissons denses, attendant les chercheurs. Les recherches archéologiques qui seront menées ici à l’avenir révèleront beaucoup d’inconnues sur l’histoire du Mont Athos, ainsi que sur les liens entre le monachisme de l’Église orientale et celui de l’Église occidentale.
Le monastère « des Amalfitains » (de la ville italienne d’Amalfi, d’où sont originaires les premiers moines de ce monastère athonite) a été fondé dans les années 980 par le père Léon de Bénévent, qui est venu à l’Athos de la « terre romaine » avec six autres moines bénédictins. Les protecteurs du monastère latin du Mont Athos étaient saint Athanase l’Athonite et saint Jean d’Iviron, et les monastères d’Iviron et de la Grande Laure ont considérablement soutenu et aidé ces moines latins au début de la formation de leur communauté monastique. Nous assistons donc à une véritable alliance entre les moines grecs, géorgiens et latins au cours de cette période sur la Sainte Montagne.
Les premières signatures de moines d’Europe occidentale (en latin) sur des actes athonites datent de 984 et 985. Le monastère athonite latin et ses premiers habitants sont mentionnés dans les hagiographies de saint Athanase, de saint Jean et de saint Euthyme d’Iviron. L’ascète Gabriel d’Iviron, auquel est associé le miracle de l’apparition de la célèbre icône de la Mère de Dieu d’Iviron (début du XIe siècle), a été impressionné et inspiré par les actes du fondateur du monastère des Amalfitains, le père Léon de Bénévent.
On sait que l’un des moines du monastère des Amalfitains, Jean, est devenu en 997 le 29e abbé de la célèbre abbaye bénédictine du Mont-Cassin, en Italie, fondée au VIe siècle par saint Benoît de Nursie. L’auteur de la Chronique du monastère du Mont-Cassin, moine de cette abbaye et futur cardinal Léon d’Ostie (vers 1045 – 1117), raconte cette histoire en détail. Il rapporte que sur le Mont Athos, saint Benoît de Nursie est apparu à Jean dans une vision, lui a remis le bâton d’abbé et lui a ordonné de retourner à l’abbaye de Mont-Cassin, où il a été rapidement élu abbé. Un autre ancien moine et abbé de l’abbaye de Mont-Cassin, le futur pape Victor IIII (vers 1026 – 1087), se souvient de cette histoire.
Le monastère latin « des Amalfitains» était dédié à la Mère de Dieu et occupait une place importante dans la hiérarchie des monastères athonites, avec la Grande Laure, les monastères d’Iviron et de Vatopedi.
Il est intéressant de noter que les signatures de ces moines latins figurent sur l’acte athonite de 1016, où le monastère athonite du Vieux-Rossikon est mentionné pour la première fois, ainsi que sur l’acte de 1169 relatif au transfert du monastère de Saint-Pantéléimon (ou « Rossikon ») aux moines de la Rus’, et sur d’autres actes. Ainsi, les moines latins athonites ont eu une certaine relation avec la fondation et le soutien de la skite russe « Xilourgou ») et, plus tard, du monastère de Saint-Pantéléimon.
Étant donné que les moines bénédictins d’Amalfi étaient très honorés pour leur ascétisme et leur droiture par saint Athanase du Mont Athos, ainsi que par les saints pères fondateurs du monastère d’Iviron et d’autres ascètes athonites, il n’est pas exclu que saint Antoine de la Laure des Grottes de Kiev, qui revint plus tard à Kiev depuis la Sainte Montagne avec la bénédiction des moines athonites et fonda la Laure de Kiev, ait pu les connaître au Mont Athos, à cette époque.
Lorsqu’en 1198, le fondateur de la dynastie régnante serbe et père de saint Sava de Serbie, le Grand Prince Stefan Nemanja (plus tard moine Siméon ; 1113-1199), dans son discours à l’empereur byzantin, justifia la nécessité de fonder un monastère serbe séparé sur le Mont Athos, il se référa à l’exemple de l’existence du monastère latin « des Amalfitains» pour illustrer le statut international de la république monastique sur la Sainte Montagne.
Les documents de 1169, 1198 et d’autres années montrent que le monastère latin « des Amalfitains » a continué d’exister même après le grand schisme de 1054, servant de pont d’unité spirituelle entre les monastères des Églises d’Orient et d’Occident plus de 200 ans plus tard.
Il est intéressant de noter que le pape Innocent III (1161 – 1216) a placé les monastères du Mont Athos sous son patronage direct et, dans ses lettres de 1211 et 1214, les a protégés contre les empiètements des évêques latins et les attaques des croisés. Il est possible que ce patronage ait été rendu possible par la médiation des moines latins athonites.
Le monastère des Amalfitains déclina et cessa d’exister en tant que monastère indépendant après 1287. On pense qu’il a beaucoup souffert des attaques et des pillages des croisés, après quoi il s’est délabré. L’empereur byzantin Andronic II Paléologue l’a remis à la Grande Laure, mais même après cela, la vie monastique s’est poursuivie dans les murs du monastère pendant plusieurs siècles encore, jusqu’à ce qu’il cesse finalement d’exister.
Le destin de ce monastère et de sa confrérie est une page unique et peu connue de l’héritage international et de l’histoire de la Sainte Montagne, ainsi que de l’unité spirituelle et des relations entre le monachisme des Églises d’Orient et d’Occident.
Nous aborderons ce sujet et bien d’autres en détail prochainement dans un film documentaire, que nous avons tourné sur le Mont Athos en collaboration avec des amis journalistes français pour la chaîne chrétienne populaire française ‘KTO-télévision’, avec le soutien du Centre National du Cinéma et de l’Image Animée (CNC, Paris, France). Un grand merci à Alexey Vozniuk, au Père Guillaume, et à tous ceux qui ont participé à ce voyage unique.
Dr Serhii Shumylo,
Docteur en histoire, docteur en théologie (Th.Dr.),
Directeur de l’Institut international de l’héritage athonite ; chercheur au département des lettres classiques, de l’histoire ancienne, de la religion et de la théologie, Université d’Exeter (Royaume-Uni) ; chercheur à l’Institut d’histoire de l’Ukraine, Académie nationale des sciences d’Ukraine.«