La crypte de la basilique Saint-Seurin à Bordeaux renferme bien des trésors, parmi ceux-ci : le sarcophage de sainte Véronique. Durant un demi-siècle, cet espace souterrain de l’antique église était fermé. Il a rouvert à l’automne 2015. Ses visiteurs peuvent y apercevoir notamment l’ultime demeure terrestre de sainte Véronique derrière un petit autel en pierre (ma photographie ci-dessus). L’édifice lui-même remonte aux IVe-Ve siècle, à l’époque un modeste oratoire contigu à une nécropole chrétienne. Depuis, au fil des siècles, il a été reconstruit, restauré à plusieurs reprises, agrandi. On sait que Véronique (prénom composé du latin, vera, et du grec icona, « vraie icône », « image véritable »), identifiée comme étant la femme hémorroïsse des Évangiles, est connue à partir du VIe-VIIe siècle pour avoir essuyé le visage du Christ portant la Croix et ce visage, la Sainte Face, s’est imprimé sur le linge. Cela explique qu’elle est devenue la patronne des photographes. Comment son sarcophage est-il arrivé dans l’ancienne ville gallo-romaine de Burdigala ?
La tradition médiévale, que n’atteste aucun élément historique, raconte qu’au premier siècle, après la Dormition de la Vierge, Véronique, accompagnée d’Amadour, dont on a écrit à l’époque moderne qu’il était en réalité Zachée, quittèrent la Judée pour Rome, puis de là, avec saint Martial, gagnèrent l’Aquitaine en accostant à Soulac-sur-Mer ou non loin (il y a débat pour la localisation précise), à l’époque le port de Noviomagus, lequel a disparu vers 580 à la suite d’un séisme et de tempêtes qui ont modifié le littoral. Véronique serait restée là, élevant un oratoire à la Vierge à côté d’une source tandis qu’Amadour se rendit dans le lieu qui allait devenir Rocamadour. Véronique aurait été inhumée à Soulac. Dans l’église romane de cette pittoresque station balnéaire de la Gironde, au nom fascinant et peu commun, la basilique Notre-Dame-de-la-Fin-des-Terres, sont encore exposées des reliques (photographie ci-dessous) de sainte Véronique. Une chapelle lui est consacrée dans l’absidiole nord. Les parties les plus anciennes de cet édifice furent construites au XIIe siècle, cependant un document du Xe siècle fait mention d’un oratoire dédié à la Mère de Dieu sur ce lieu, celui-là même dont le récit légendaire attribue l’édification à sainte Véronique et un monastère bénédictin y est établi au XIe siècle. Soulac, lieu de vénération de sainte Véronique, devint à partir du XIIe siècle le point de départ d’un itinéraire secondaire du pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle, la « voie de Soulac », allant le long du littoral atlantique jusqu’à Irún. Cependant à cette époque, le tombeau de sainte Véronique n’y est plus. En effet, au IXe siècle, il a été transporté à Bordeaux, dans l’église Saint-Seurin, là où il se trouve toujours, pour le protéger des raids des Vikings.
Véronique, parfois nommée Bérénice, peut-être initialement, fêtée le 4 février par l’Église catholique et le 12 juillet par l’Église orthodoxe, n’est pas évoquée dans les Évangiles, mais dans deux textes apocryphes occidentaux tardifs compris dans le « Cycle de Pilate » (une série d’apocryphes en lien avec Ponce Pilate) pas avant le tout début du Moyen-Âge (une étude sur ce sujet). Son histoire s’est ensuite diffusée au Moyen-Âge (sur cette question) et de manière plus affirmée dans les derniers siècles de celui-ci, principalement en Occident. Au XIIIe siècle, Jacques de Voragine l’évoque dans son célèbre livre La Légende dorée.
C’est à partir du XIe siècle que le motif pictural bien connu, celui de Véronique montrant la Sainte Face, commence à être connu en Occident à tel point que son nom propre devient aussi le nom d’un type de représentation picturale : une véronique (ci-dessous une sainte Véronique de Hans Memling peinte vers 1475).
L’image du Christ qui est montrée est réputée achéiropoïète, « non faite de main d’homme ». Dans la tradition orthodoxe, l’image achéiropoïète par excellence est le Mandylion, aussi connu sous le nom d’icône d’Édesse, ou d’Image d’Édesse ou encore de Sainte Face d’Édesse. Selon une tradition chrétienne, qui remonte au VIe siècle, le Christ aurait envoyé au roi d’Édesse Abgar V son image sur un tissu. Par la suite, le linge aurait été caché, puis redécouvert au VIe siècle. Une tradition antérieure, du siècle précédent, racontée dans un livre écrit à Édesse, Doctrine de l’apôtre Addaï (explications) rapporte qu’un secrétaire du roi Abgar aurait réalisé un portrait de Jésus. Il est à noter que l’histoire d’une relation épistolaire du Christ avec le roi d’Édesse est quant à elle encore plus ancienne. Eusèbe de Césarée, historien des premiers siècles du christianisme, qui dit avoir consulté les archives de la ville d’Édesse, l’évoque au début du IVe siècle dans son Histoire ecclésiastique (livre I, chapitre XIII). Rappelons, d’un point de vue historique, que le roi d’Édesse Abgar VIII, qui régna de 177 à 212, est le premier roi à s’être converti au christianisme. Toujours est-il que depuis le VIe siècle, selon Léonide Ouspensky et Vladimir Lossky (dans Le Sens des icônes, Cerf, 2003) de nombreux mandylions ont été peints. En 944, l’empereur Romain Lécapène fit transférer la Sainte Face d’Édesse, ainsi que la lettre du Christ à Abgar, à Constantinople (une étude), transfert qui est fêté le 16 août. Le Mandylion a disparu lors du sac de Constantinople en 1204. Quant à la lettre du Christ à Abgar, dont nous connaissons le texte (voir par exemple ici), elle a disparu elle aussi quelques années auparavant.
Revenons à sainte Véronique. Tout cela amène à se poser la question, à laquelle il n’est d’ailleurs pas possible de répondre : qui fut déposé dans son sarcophage ? Sans doute une sainte femme. Sainte Véronique fut l’objet au Moyen-Âge d’une grande vénération à tel point que l’Église catholique l’a incluse dans la sixième station (sur 14) du Chemin de croix. Dans la crypte de la basilique Saint-Seurin, elle est en très bonne compagnie. A ses côtés le sarcophage de saint Seurin (ou Séverin) et les reliques de saint Amand, tous deux évêques de Bordeaux au Ve siècle, fêtés le premier le 23 octobre et le second le 18 juin, évoqués au VIe siècle par saint Grégoire de Tours, fêté le 17 novembre, dans son ouvrage In Gloria confessorum ainsi que par saint Venance Fortunat (fête le 14 décembre). D’autres sarcophages y ont été déposés et y sont toujours exposés comme celui de saint Delphin, fêté le 24 décembre, un des tout premiers évêques de Bordeaux au IVe siècle, qui présida un concile dans cette ville en 384, fut ami de saint Phébade d’Agen, baptisa saint Paulin de Nole et correspondit avec saint Ambroise de Milan. C’est donc vraiment un haut lieu qui mérite d’être visité pour s’y recueillir auprès de quelques-uns des grands témoins du christianisme occidental du premier millénaire.
Annexes
Dépliant de la mairie de Bordeaux sur la basilique Saint-Seurin.
Une visite commentée de la basilique Saint-Seurin.
Quelques photographies de la crypte de la même basilique sur un blog.
Un article sur l’église Notre-Dame-de-la-Fin-des-Terres à Soulac.
Un article en ligne de 1932, “De la véronique et de sainte Véronique“, qui évoque aussi le Mandylion.
Vidéos sur la basilique Saint-Seurin et sa crypte :
Présentation de l’ensemble de la basilique.
Sur la crypte.
Quelques explications sur les fouilles archéologiques dans la crypte en 2014.