La presse française [1][2] , grecque et américaine a signalé le décès, le 18 juin dernier, à l’âge de 87 ans, de l’écrivain orthodoxe René-Nicolas Ehni.
Né en 1935 dans une famille paysanne du Sundgau, une belle région du sud de l’Alsace proche de la Suisse, René Ehni fut, dans les années 60 et 70 du siècle dernier, un écrivain en vue.
Monté à Paris en 1953 pour suivre les cours de l’école de théâtre de la rue Blanche, il fréquente les milieux existentialistes et collabore à la revue Les temps modernes. Il publie en 1964, aux éditions Julliard, son premier roman, La gloire du vaurien, qui suscite l’enthousiasme de la presse et est activement soutenu par Simone de Beauvoir. Il écrit ensuite des pièces de théâtre – jouées, avec un grand succès, au Théâtre de Lutèce et au Théâtre de Chaillot – et des romans publiés par l’éditeur Christian Bourgois. Très marquées par la mentalité soixante-huitarde, ces œuvres traduisent une distance critique par rapport à la société occidentale de l’époque et à son intelligentsia de gauche (voir la critique, dans le journal Le Monde, de sa pièce Que ferez-vous en novembre ?) et lui valent une réputation de provocateur. Le site de l’INA conserve un reportage réalisé sur Nicolas Ehni dans les années 70, dans son village d’Eschentzwiller : « René Ehni sous le tilleul », qui témoigne de sa radicalité. Il uitte ensuite Paris pour se consacrer, dans sa région natale, à la lutte contre le nucléaire et à la défense de la culture régionale.
En 1980, à l’occasion d’un tour des Balkans il s’arrête au Mont Athos, et se convertit à l’Orthodoxie au monastère de Grigoriou, en même temps que son compagnon de voyage le Docteur Louis Schittly, l’un des fondateurs, avec Bernard Kouchner, de l’ONG « Médecins Sans Frontières ». René prend au baptême le nom de Nicolas, et Louis celui de Grégoire. Louis-Grégoire Schitlly a rapporté cet épisode dans ses Mémoires, dont nous avons fait ici la recension. Avec son épouse Anastasia, sociologue d’origine suisse, Louis-Grégoire construira dans l’enceinte de leur ferme de Bernwiller une charmante petite église orthodoxe, dont les icônes des fêtes de l’iconostase seront peintes par Léonide Ouspensky ; la petite communauté, dont fait partie René-Nicolas, augmentée de quelques membres grâce au rayonnement de ses fondateurs, s’y réunira, bénéficiant de temps à autre de la présence de prêtres, venus de Strasbourg ou du Mont Athos.
Les romans de René-Nicolas Ehni, tout en gardant un style baroque, flamboyant et foisonnant, mêlant à la langue française des mots et expression du dialecte alsacien qu’il aime parler, portent dès lors, une inspiration orthodoxe, visible en particulier dans Côme, confession générale, qui connaît un certain succès et vaut à l’auteur d’être invité une fois de plus à l’émission Apostrophes de Bernard Pivot. Cette inspiration orthodoxe, bien que discrète, rend cependant de plus en plus difficile la publication de ses livres suivants par son éditeur Christian Bourgois qui a des orientations idéologiques peu compatibles avec le christianisme ; restant séduit par le style unique et à certains égards génial d’Ehni et défendant le caractère parfois illisible de sa prose, il le publiera encore sporadiquement (2000, 2008), mais l’auteur devra désormais, en dehors d’un roman publié chez Denoël en 2002, se replier sur une petite maison d’édition alsacienne, La Nuée Bleue.
Animant un atelier de théâtre à Mulhouse, ville proche du village où il réside, il y fait la rencontre d’une jeune actrice de religion musulmane, qui se convertit à l’Orthodoxie et avec laquelle il se marie. Pour différentes raisons, il décide, en 1991, de s’expatrier en Crète, à Plaka Apokorouno dans la région de La Canée. Ses deux enfants seront ainsi éduqués dans une ambiance grecque et orthodoxe, tandis que la famille vivra très modestement de la récolte d’olives. Nicolas continuera à écrire, et recevra régulièrement la visite de journalistes grecs ou français, venu l’interviewer ou enregistrer des reportages, son destin exceptionnel et sa personnalité baroque faisant de lui ce que les professionnels de l’audio-visuel appellent « un bon client ».
On peut revoir en particulier les reportages réalisés par l’Université de Lorraine : « Le mariage de Nicolas », et « Le prophète en son pays ». On peut lire aussi l’interview réalisée en 1981 par Tasos Michalas pour la chaîne de télévision nationale grecque ERT, en grec ou en traduction anglaise, ainsi qu’un article du journal Libération : « Le pope club de Réné-Nicolas Ehni » et un autre article, plus complet sur la biographie, paru dans le journal L’Alsace : « Echentzwiller, le paradis perdu de Nicolas Ehni »
Dans un discours prononcé à l’Université Aristote de Thessalonique, Nicolas Ehni disait : « Nous ne sommes pas devenus orthodoxes parce que nous avons lu les écrits de saint Denys l’Aréopagite, mais parce que nous avons rencontré des gens qui ont vécu ce qu’écrivait saint Denys l’Aréopagite. »
Toute l’évolution intérieure de Nicolas Ehni l’amenait à cette conclusion : « L’Orthodoxie est le monde réel ; l’Orthodoxie est le sens du monde ».
Jean-Claude Larchet