Dans la continuité de notre exploration des opposants de Jésus, nous nous concentrons cette fois sur l’un des premiers conflits théologiques rapportés dans les Évangiles : la polémique avec les scribes et les pharisiens. Ces derniers, fervents défenseurs de la pureté rituelle et des prescriptions mosaïques, reprochaient à Jésus Son attitude envers les publicains et les pécheurs. Pourquoi ce point de friction était-il si central dans leur opposition à Jésus ? Comment l’interprétation pharisienne de la loi différait-elle de l’enseignement du Christ ? Cet article revient sur les origines de cette confrontation et ses implications spirituelles.
Au premier stade du conflit entre Jésus et Ses adversaires, deux groupes surtout étaient actifs parmi ceux que nous avons énumérés : les scribes et les pharisiens. Les autres groupes (les principaux sacrificateurs, les anciens, les sadducéens) se manifesteront plus tard.
Les scribes et les pharisiens apparaissent ensemble et l’on peut supposer que de nombreux scribes appartenaient au parti des pharisiens.
Nous ne savons pas comment a commencé le conflit de Jésus avec les scribes et les pharisiens. Le premier épisode dans lequel ils apparaissent comme acteurs des événements est évoqué dans les trois Évangiles synoptiques. Le voici selon la version de Marc :
« En passant, Il vit Lévi, fils d’Alphée, assis au bureau des péages. Il lui dit : Suis-moi. Lévi se leva, et Le suivit. Comme Jésus était à table dans la maison de Lévi, beaucoup de publicains et de gens de mauvaise vie se mirent à table avec Lui et avec Ses disciples ; car ils étaient nombreux, et L’avaient suivi. Les scribes et les pharisiens, Le voyant manger avec les publicains et les gens de mauvaise vie, dirent à Ses disciples : Pourquoi mange-t-Il et boit-Il avec les publicains et les gens de mauvaise vie ? Ce que Jésus ayant entendu, Il leur dit : Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin de médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs (au repentir chez King James : to repentance). » (Mc 2, 14-17)
La version de Matthieu diffère en ce que Lévi est appelé Matthieu. De plus, les scribes n’y sont pas mentionnés (les seuls acteurs sont les pharisiens), le nom de l’hôte n’est pas précisé (bien qu’on puisse supposer que l’épisode se déroule dans la maison de Matthieu). À la fin, Jésus ajoute : Allez, et apprenez ce que signifie : Je prends plaisir à la miséricorde, et non aux sacrifices (Mt 9, 13).
Luc, qui suit Marc pour l’essentiel, ajoute que Lévi répond à l’appel de Jésus et, laissant tout, se leva et Le suivit. Il mentionne également que Lévi Lui donna un grand festin dans sa maison, et beaucoup de publicains et d’autres personnes étaient à table avec eux (Lc 5, 28-29).
Ainsi, le premier reproche fait par les pharisiens à Jésus est le suivant : pourquoi mange-t-Il avec les publicains et les pécheurs ? Pour comprendre le sens de cette accusation, il convient de rappeler que dans l’Ancien Testament, la sainteté et la pureté étaient conçues avant tout comme le fait de se tenir à l’écart de tout ce qui est impur, qui n’est pas saint.
Les sages du Talmud interprètent les paroles « pour que vous soyez saints, car Je suis saint » (Lv 11, 45) de la façon suivante : « De même que Je suis saint, vous êtes saints ; de même que Je suis réservé, vous êtes réservés ».
Les pharisiens considéraient qu’ils étaient à part des gens ordinaires, différents des autres (Lc 18, 11). Ils s’appliquaient tout particulièrement à observer la pureté rituelle, se gardaient soigneusement de toute forme de souillure au contact de quoi que ce soit d’impur, respectaient rigoureusement les règles d’hygiène et celles de régime alimentaire prescrites par la loi mosaïque. C’est sur la base de ces pratiques que s’est constitué le code de sainteté sur lequel les pharisiens ont bâti toute leur dévotion.
Les pharisiens craignaient par-dessus tout de se souiller au contact de quelque chose d’impur ou de personnes qu’ils jugeaient impures.
Jésus renverse la conception sur l’impureté qui était ancrée dans les mentalités de l’époque de Moïse, et Il fait observer que dans l’Ancien Testament, on présentait souvent l’impureté comme quelque chose d’extérieur à l’homme, et que l’homme était souillé s’il avait touché un objet désigné comme rituellement impur. Certaines catégories d’aliments étaient tenues pour impures : le Lévitique en donne la liste ; si un homme en mangeait, on considérait qu’il était souillé.
Jésus, au contraire, insistait sur le fait que les causes de l’impureté sont à chercher non pas à l’extérieur de l’homme, mais à l’intérieur. Jésus dit aux pharisiens :
« Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! parce que vous nettoyez le dehors de la coupe et du plat, et qu’au-dedans ils sont pleins de rapine et d’intempérance… Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! parce que vous ressemblez à des sépulcres blanchis, qui paraissent beaux au-dehors, et qui, au-dedans, sont pleins d’ossements de morts et de toute espèce d’impureté. » (Mt 23, 25-27)
L’opposition entre Jésus et les pharisiens ne relevait ni d’un simple conflit personnel, ni d’une polémique historique. Elle mettait en jeu deux conceptions du judaïsme et, plus largement, deux approches de la relation à Dieu. La foi authentique repose-t-elle sur une stricte observance des règles ou sur une transformation intérieure ? La réponse de Jésus demeure un appel intemporel : Je veux la miséricorde, et non le sacrifice (Mt 9,13).
Cet article fait partie de la série basée sur les six volumes de Jésus-Christ. Vie et Enseignement par le métropolite Hilarion Alfeyev, disponible tous les vendredis sur cette page. Pour obtenir votre exemplaire du premier volume, Début de l’Évangile, visitez le site des Éditions des Syrtes.
