Dans notre précédent article, nous avons évoqué les différents regards que des théologiens de traditions et d’époques variées ont portés sur la personnalité de Jésus. Aujourd’hui, à la lumière de ces interprétations et en ce jour qui précède la Résurrection, nous vous proposons une relecture de quelques scènes évangéliques. Sans analyse ni commentaire théologique, simplement pour laisser émerger, à travers les mots de l’Évangile, une image intérieure du Christ.
L’émotivité
Jésus était-Il capable d’émotion ? Que nous disent les Évangiles sur Son caractère humain, sur Ses réactions face à l’attitude de ceux qui L’entourent ?
Dans les Évangiles synoptiques, toutes les informations portant sur l’humeur ou les émotions de Jésus sont liées ou bien aux récits de miracles, ou bien au récit de la Passion. Dans l’Évangile de Jean, Jésus manifeste également des émotions lorsqu’Il accomplit des miracles (l’histoire de la résurrection de Lazare en offre un bon exemple), et dans les passages en lien avec les souffrances et la mort qui L’attendent. Cependant, dans le récit de Jean retraçant la passion du Christ, la dimension émotionnelle est réduite à son minimum.
Parmi les expressions dénotant une réaction émotionnelle de Jésus face aux événements, on peut retenir les suivantes :
- fut dans l’étonnement, s’étonna (Mt 8:10 ; Lc 7:9),
- fut ému de compassion (Mt 9:36 ; 14:14 ; Mc 6:34 ; Lc 7:13),
- ému de compassion (Mt 20:34 ; Mc 1:41),
- le renvoya sur-le-champ avec de sévères recommandations (Mc 1:43)
- promenant ses regards sur eux avec indignation (Mc 3:5)
- soupira (Mc 7:34), soupirant profondément (Mc 8:12),
- tressaillit de joie (Lc 10:21),
- pleura (Jn 11:35),
- frémit en Son esprit et fut tout ému (Jn 13:21).
Les verbes aima (Mc 10:21), aimait (Jn 11:5), lorsqu’ils expriment la disposition de Jésus à l’égard de personnes concrètes, ont également une connotation émotionnelle.
Les mentions succinctes que font les évangélistes des émotions ressenties par Jésus prouvent qu’Il était un homme vivant capable d’éprouver toute la gamme des sentiments humains, de la tristesse à la joie, de la colère à la compassion.
En même temps, comme le souligne le chercheur Stephen Voorwinde, « au moment même où les émotions de Jésus semblent les plus humaines, elles se révèlent, paradoxalement, être de nature divine » (Stephen Voorwinde, Jesus’ Emotions in the Fourth Gospel: Human or Divine?).
La surprise
Jésus était susceptible d’être surpris. C’est ce qu’indique le récit de la guérison du serviteur du centurion rapporté par Matthieu et Luc (Mt 8:10, Lc 7:9).
Les paroles du centurion ont surpris Jésus. L’étonnement est la réaction naturelle de l’homme devant quelque chose d’inattendu. Tout en étant Dieu, Jésus restait en possession de toutes les facultés humaines : tout en ayant le pouvoir de ressusciter les morts et de guérir les maladies, même à distance, Jésus pouvait être surpris par les paroles simples d’une personne venue Lui présenter une requête. Tout en étant capable de pénétrer les pensées d’une personne (Mt 9:4 ; 12:25 ; 16:7-8 ; Mc 2:8 ; Lc 5:22, 6:8 ; 9:47 ; 11:17, Jn 21:38), Jésus ne savait pas à l’avance tout ce qu’un homme allait pouvoir Lui dire.
Mais la surprise n’est pas toujours associée à des impressions positives : il arrive qu’elle soit associée à la déception. Racontant la venue de Jésus dans la ville de Son enfance et les échanges qu’Il a eus avec ses habitants, l’évangéliste note qu’Il s’étonnait de leur incrédulité, et qu’Il s’étonnait au point qu’Il ne put faire là aucun miracle, si ce n’est qu’Il imposa les mains à quelques malades et les guérit (Mc. 6:5-6).
La pitié et la compassion
La pitié et la compassion étaient des sentiments inhérents au caractère de Jésus.
Matthieu mentionne que voyant la foule, Il fut ému de compassion pour elle, parce qu’elle était languissante et abattue, comme des brebis qui n’ont pas de berger (Mt 9:36). Dans un autre épisode, Jésus se mit à guérir des malades lorsqu’Il vit une grande foule, et fut ému de compassion pour elle (Mt 14:14).
Ému de compassion devant deux aveugles, Jésus les guérit (Mt. 20:34). Ému de compassion, Jésus guérit le lépreux (Mc 1:41).
Le miracle de la multiplication des sept pains et des quelques petits poissons est précédé des paroles suivantes, que Jésus adresse aux disciples : Je suis ému de compassion pour cette foule ; car voilà trois jours qu’ils sont près de Moi, et ils n’ont rien à manger. Je ne veux pas les renvoyer à jeun, de peur que les forces ne leur manquent en chemin (Mt 15:32).
La joie
Il existe une opinion selon laquelle Jésus « gardait toujours une expression sérieuse sur Son visage », qu’Il « ne riait jamais, mais pleurait souvent ». Cette opinion sans cesse répétée s’appuie sur les paroles de Jean Chrysostome, qui condamnait non pas le rire en général, mais le rire immodéré :
« (…) On le trouve souvent pleurant, mais on ne le trouve point riant, Il ne souriait même jamais. Au moins nul des évangélistes ne l’a remarqué (…). Ce que je ne dis pas toutefois pour défendre absolument de rire jamais, mais pour bannir la dissipation. Et véritablement quel sujet avez-vous tant de vous réjouir, et d’éclater de rire, puisque vous êtes encore si redevables à la justice divine, puisque vous devez comparaître devant un tribunal si terrible, et rendre un compte exact de toutes vos actions ? »
Jean Chrysostome, Commentaire sur l’Évangile selon saint Matthieu, VI, 6.
Certes, les larmes de Jésus sont mentionnées dans les Évangiles, tandis que Son rire ne l’est jamais. Cependant, l’argumentum ex silentio n’est pas toujours une preuve suffisante pour légitimer une affirmation.
Les Évangiles ne contiennent aucun récit nous autorisant à supposer que Jésus ait jamais ri, mais plusieurs épisodes montrent qu’Il y a eu dans Sa vie des moments où Il s’est réjoui.
Par exemple, dans le texte tiré de l’Évangile de Luc que nous avons cité précédemment, et qui raconte comment les soixante-dix disciples sont revenus de la mission confiée par Jésus, le substantif « joie » et le verbe « se réjouir » sont employés à plusieurs reprises :
Les soixante-dix revinrent avec joie, disant : Seigneur, les démons mêmes nous sont soumis en Ton nom. Jésus leur dit : Je voyais Satan tomber du ciel comme un éclair. Voici, Je vous ai donné le pouvoir de marcher sur les serpents et les scorpions, et sur toute la puissance de l’ennemi ; rien ne pourra vous nuire. Cependant, ne vous réjouissez pas de ce que les esprits vous sont soumis ; mais réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans les cieux. En ce moment même, Jésus tressaillit de joie par le Saint-Esprit.
Lc 10:17-21
Dans cette scène la joie de Jésus vient en réponse à celle des disciples qui sont revenus. Nous voyons combien Jésus ressent Son unité avec les disciples, combien Il prend à cœur leurs joies et leurs peines. De plus, à Son entretien avec les disciples assiste Son Père, à qui Il s’adresse comme si Sa présence était tout aussi évidente pour les autres participants de la conversation.
Nous retrouverons une situation similaire lors du dernier repas de Jésus avec Ses disciples à la Cène. Il y sera également beaucoup question de joie (Jn 16:19-23), et Jésus interrompra également la conversation avec les disciples pour élever une prière au Père (Jn 17:1).
Comment l’évangéliste a-t-il su que Jésus avait « tressailli de joie » en apprenant les succès de Ses disciples ? Il n’existe qu’un seul moyen de connaître l’humeur d’une personne, c’est de la lire dans l’expression de son visage, dans ses yeux, dans son sourire. Le passage cité confirme non seulement que Jésus était capable de se réjouir, mais aussi que cette joie était manifeste.
Un sourire n’est assurément pas un rire. Si aucun témoignage n’indique que Jésus ait jamais ri, rien ne prouve non plus que « Jésus gardait toujours une expression sérieuse sur Son visage ». Considérait-Il le rire comme un vice ? Une fois tout au moins, dans le Sermon dans la plaine, Il a évoqué le rire comme une récompense : Heureux vous qui pleurez maintenant, car vous rirez (Lc 6:21, Segond 2).
D’un autre côté, Il dit dans le même sermon : Malheur à vous qui riez maintenant, car vous serez dans le deuil et dans les larmes (Lc 6:25). Le contexte général du discours nous permet d’affirmer que dans ces énoncés l’attention de Jésus ne portait pas sur le rire lui-même ; et si dans la seconde affirmation le rire est condamné, il ne l’est pas en soi, mais comme l’une des manifestations caractéristiques de la vie vécue selon les lois de ce monde, au même titre que la richesse et que la satiété.
Cet article fait partie de la série basée sur les six volumes de Jésus-Christ. Vie et Enseignement par le métropolite Hilarion Alfeyev, disponible tous les vendredis sur cette page. Pour obtenir votre exemplaire du premier volume, Début de l’Évangile, visitez le site des Éditions des Syrtes.
