L’apôtre Paul et le «Jésus historique»

Paul fait figure d’exception parmi les disciples de Jésus. Il n’était pas un disciple de Jésus de son vivant, et durant les premières années après sa mort, il persécutait activement l’Église qu’il avait fondée.

La conversion miraculeuse de Saül (Ac 9:1-9) a radicalement transformé sa vie: il a reçu le baptême et s’est aussitôt consacré à l’œuvre d’évangélisation.

Les Épîtres de Paul représentent presque le tiers du volume total du Nouveau Testament. Mais dans quelle mesure ses textes peuvent-elles faire autorité lors de la reconstruction de l’image du «Jésus historique», si Paul n’a pas été témoin de sa vie et de ses miracles?

02 St Paul
ALFREDO DAGLI ORTI

La mission apostolique de Paul

Au début, les autres apôtres étaient méfiants à son égard (Ac 9:26), mais avec le temps, ils l’ont accepté comme l’un des leurs. Cependant, Paul devait constamment prouver qu’il appartenait à la communauté des apôtres.

S’adressant aux Corinthiens, il écrit:

«Ne suis-je pas apôtre? N’ai-je pas vu Jésus notre Seigneur? N’êtes-vous pas mon œuvre dans le Seigneur? Si pour d’autres je ne suis pas apôtre, je le suis au moins pour vous; car vous êtes le sceau de mon apostolat dans le Seigneur.»

1 Co 9:1-2

Paul voyait sa mission avant tout dans la prédication de l’Évangile aux païens. Il soulignait qu’il avait été appelé par Dieu lui-même à accomplir cette œuvre, et qu’il en avait été investi non par les autres apôtres, mais sur l’ordre direct de Dieu:

«Mais quand il plut à Dieu, qui m’a mis à part depuis le ventre de ma mère et qui m’a appelé par sa grâce, de révéler en moi son Fils pour que je l’annonce comme une bonne nouvelle parmi les non-Juifs, aussitôt, sans consulter personne, sans même monter à Jérusalem pour voir ceux qui étaient apôtres avant moi, je suis parti pour l’Arabie, puis je suis retourné à Damas. Trois ans plus tard, je suis monté à Jérusalem pour faire la connaissance de Céphas, et j’ai demeuré quinze jours chez lui. Mais je n’ai vu aucun autre des apôtres, sinon Jacques, le frère du Seigneur.»

Ga 1:15-19

À l’instar de Jean, Paul est désigné comme l’un des fondateurs de la théologie chrétienne.

Si les évangélistes synoptiques se soucient avant tout de décrire ce qu’ils ont vu et entendu, et si Jean, qui connaissait déjà ces descriptions, concentre son attention sur les idées théologiques qui en découlent, Paul, lui, poursuit un objectif différent. N’étant pas un acteur de l’histoire évangélique, il la pénètre et crée le fondement théologique sur lequel sera bâti pour tous les siècles à venir l’enseignement de l’Église sur Jésus comme Dieu incarné.

On ne saurait surestimer l’importance de Paul pour la théologie chrétienne. Certains vont jusqu’à considérer que c’est Paul qui a fait du christianisme une religion, en prenant pour base l’enseignement de Jésus et en prêtant à l’homme Jésus les traits du Fils de Dieu.

De nombreux chercheurs du Nouveau Testament ont exprimé cette opinion au cours des 19e et 20e siècles.

L’Église primitive reconnaissait également le rôle clé de Paul dans la formation de la doctrine chrétienne, le comparant par son importance au Christ lui-même. Au 4e siècle, Jean Chrysostome affirmait même qu’à travers Paul, le Christ a dit davantage de choses aux hommes qu’il n’avait eu le temps de le faire lui-même durant son ministère.

Les Épîtres de Paul: les textes les plus anciens de la littérature chrétienne

L'apôtre Paul et le «Jésus Historique»
Georges de La Tour, “Saint Paul”, 17e siècle

Ainsi, bien que Paul n’ait pas été témoin des événements de la vie terrestre de Jésus, ses écrits représentent un témoignage majeur de la manière dont la mission de Jésus était perçue par la première génération de chrétiens.

Selon une majorité de chercheurs, les Épîtres de Paul sont les textes littéraires les plus anciens de la littérature chrétienne qui soient apparus avant que les Évangiles n’aient reçu la forme de sources littéraires achevées.

L’épître la plus ancienne, adressée aux Galates, a probablement été écrite vers l’an 48 ou 49, c’est-à-dire avant le Conseil apostolique de Jérusalem. La majeure partie des autres épîtres est datée des années 50 et du début des années 60. Comme nous l’avons déjà dit, nulle part dans ses épîtres Paul ne cite les Évangiles comme sources écrites.

Même dans les cas où il n’a pu, semble-t-il, avoir connaissance des événements décrits uniquement par des témoins oculaires, il ne s’y réfère pas, mais invoque une révélation de Dieu:

«Car j’ai reçu du Seigneur ce que je vous ai enseigné; c’est que le Seigneur Jésus, dans la nuit où il fut livré, prit du pain, et, après avoir rendu grâces, le rompit, et dit: ceci est mon corps, qui est rompu pour vous ; faites ceci en mémoire de moi. De même, après avoir soupé, il prit la coupe, et dit: cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang; faites ceci en mémoire de moi toutes les fois que vous en boirez. Car toutes les fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne.»

1 Co 11:23-27

En même temps, Paul souligne qu’il est en parfaite unité avec les autres apôtres. L’Évangile qu’il prêche, l’Évangile de Jésus-Christ, est identique à celui que prêchaient les autres apôtres:

«Ainsi, que ce soit moi, que ce soient eux, voilà ce que nous prêchons, et c’est ce que vous avez cru.»

1 Co 15:11

Paul et le «Jésus historique»

Dans quelle mesure alors les épîtres de Paul peuvent-elles être considérées comme faisant autorité sur le «Jésus historique»? La réponse à cette question dépend pour beaucoup de ce que nous entendons par «Jésus historique».

Pour les chercheurs dont l’objectif était de dégager le «Jésus historique» des ajouts ultérieurs dus à l’Église, Paul était justement la cible principale de la critique. De leur point de vue, c’est précisément lui qui aurait transformé l’homme de Galilée en Fils de Dieu incarné.

Cependant, après examen, un tel point de vue se révèle superficiel et dénué de fondement: en effet, quiconque aborde sans parti pris le texte du Nouveau Testament ne peut que constater la profonde unité intérieure entre ce que dit Paul de Jésus et ce qu’en disent les quatre évangélistes.

Au-delà de la différence de destinataires et de la façon dont les accents sont répartis, l’image de Jésus dans les textes néotestamentaires ne se dédouble pas.

L’ensemble que forment les écrits néotestamentaires offre la représentation la plus complète de Jésus en tant que personne, de sa vie et de son enseignement.

L'apôtre Paul et le «Jésus Historique»
Andreï Roublev, Apôtre Paul, de la rangée Deësis, années 1410

Ainsi, les épîtres de Paul ont ceci de précieux pour la reconstruction de l’image de Jésus que, sans être une source première à part entière de renseignements sur sa vie, elles représentent cependant un matériau très riche pour comprendre comment ces renseignements se reflétaient dans l’esprit de la première génération de chrétiens. Les Évangiles eux-mêmes ne contiennent pas uniquement des informations sur la vie et les paroles de Jésus, mais aussi leur interprétation: cela est particulièrement vrai pour l’Évangile de Jean.

Les écrits de Paul donnent une idée assez complète de la façon dont la mission de Jésus était perçue quelque vingt ou trente ans après sa mort et sa Résurrection.

Cet article fait partie de la série basée sur les six volumes de “Jésus-Christ. Vie et Enseignement” par le métropolite Hilarion Alfeyev, disponible tous les vendredis sur cette page. Pour obtenir votre exemplaire du premier volume, “Début de l’Évangile”, visitez le site des Éditions des Syrtes.

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