Dans cet article, nous poursuivons notre analyse des principaux adversaires de Jésus, en nous concentrant sur deux groupes influents : les pharisiens et les sadducéens. Bien que souvent en désaccord entre eux, ces deux sectes ont joué un rôle clé dans les tensions religieuses et politiques de l’époque. Tandis que les pharisiens, proches du peuple, cherchaient à imposer leur interprétation stricte de la loi mosaïque, les sadducéens, issus de l’élite sacerdotale, exerçaient leur autorité dans les hautes sphères du pouvoir religieux. Quel regard portaient-ils sur Jésus et Son enseignement ? Comment leur opposition a-t-elle influencé le déroulement des événements évangéliques ?
En effet, à l’époque de Jésus, il existait en Palestine plusieurs sectes (ou partis) dont deux sont mentionnées dans les Évangiles : les pharisiens et les sadducéens.
Les Pharisiens et leur rôle à l’époque de Jésus
Le terme pharisien (Φαρισαῖοι) viendrait de l’araméen פרישיא prīšāyē, qui signifie « séparés ». On sait peu de choses sur les pharisiens de l’époque de Jésus. La source principale d’information dont nous disposons sur ce groupe, outre les textes néotestamentaires, est constituée par les ouvrages de Flavius Josèphe, qui écrit notamment ceci :
« Les pharisiens méprisent les commodités de la vie, sans rien accorder à la mollesse ; ce que leur raison a reconnu et transmis comme bon, ils s’imposent de s’y conformer et de lutter pour observer ce qu’elle a voulu leur dicter. Ils réservent les honneurs à ceux qui sont avancés en âge et n’osent pas contredire avec arrogance leurs avis. Ils croient que tout a lieu par l’effet de la fatalité, mais ne privent pourtant pas la volonté humaine de toute emprise sur eux, car ils pensent que Dieu a tempéré les décisions de la fatalité par la volonté de l’homme pour que celui-ci se dirige vers la vertu ou vers le vice. Ils croient à l’immortalité de l’âme et à des récompenses et des peines décernées sous terre à ceux qui, pendant leur vie, ont pratiqué la vertu ou le vice, ces derniers étant voués à une prison éternelle pendant que les premiers ont la faculté de ressusciter. C’est ce qui leur donne tant de crédit auprès du peuple que toutes les prières à Dieu et tous les sacrifices se règlent d’après leurs interprétations. »
Flavius Josèphe, Antiquités judaïques.
Les Sadducéens et leur influence
Le terme sadducéens (Σαδδουκαῖοι) vient de l’hébreu צדוקים ṣədûqîm ou bien de l’araméen צדוקיא. Il est peut-être lié au nom du grand prêtre Sadoq. Selon une autre interprétation attestée dans la tradition rabbinique, le terme « sadducéen » serait lié au nom d’un autre Sadoq, disciple d’Antigone de Sokho.
À propos des sadducéens, Flavius Josèphe note que, selon leur doctrine, « les âmes meurent en même temps que les corps ». D’après lui, « le souci des sadducéens consiste à n’observer rien d’autre que les lois. Disputer contre les maîtres de la sagesse qu’ils suivent passe à leurs yeux pour une vertu ». L’historien souligne que « leur doctrine n’est adoptée que par un petit nombre, mais qui sont les premiers en dignité », et que leur influence est négligeable : « lorsqu’ils arrivent aux magistratures, contre leur gré et par nécessité, ils se conforment aux propositions des pharisiens parce qu’autrement le peuple ne les supporterait pas ».
La doctrine des sadducéens s’oppose ainsi radicalement à celle des pharisiens, en particulier sur la question de l’immortalité de l’âme et de la résurrection des morts. Contrairement aux pharisiens, les sadducéens ne reconnaissent pas d’autorité aux traditions orales et s’en tiennent exclusivement aux textes écrits de la Torah. Cette position leur vaut d’être considérés comme une élite aristocratique, détachée des préoccupations religieuses du peuple.
Flavius Josèphe ajoute à ces deux écoles philosophiques mentionnées dans les Évangiles une troisième : celle des esséniens. Il la décrit comme un groupe composé exclusivement d’hommes vivant en communautés isolées, qui partagent leurs biens, ne se marient pas, et dont le nombre s’élève à plus de quatre mille membres. Les esséniens reconnaissent l’immortalité de l’âme et pratiquent la pureté cultuelle du temple de Jérusalem, car ils « ne font pas de sacrifices parce qu’ils pratiquent un autre genre de purifications ».
L’existence des esséniens est confirmée par les manuscrits qumrâniens découverts dans des grottes au bord de la mer Morte entre 1947 et 1956. De nombreux spécialistes estiment que ces manuscrits, qui contiennent des extraits de l’Ancien Testament et des textes originaux, appartenaient à la communauté des esséniens. Certains chercheurs entrevoient un lien entre les esséniens et Jean-Baptiste, mais aucune preuve documentaire ne vient confirmer cette hypothèse.
La doctrine des esséniens n’est pas mentionnée dans les Évangiles. En revanche, Jésus a souvent polémiqué avec les pharisiens et les sadducéens sur certains aspects de leur doctrine.
La « maison de Hillel » et la « maison de Shammaï »
Jésus est quelquefois intervenu comme arbitre dans les débats que menaient entre eux les représentants de diverses tendances ou écoles à l’intérieur du parti pharisien. À son époque ce genre de débats survenaient notamment entre les disciples de Hillel et de Shammaï, deux éminents rabbins du milieu pharisien qui avaient fondé chacun une école d’interprétation de la Torah (la loi mosaïque).
Dans leurs interprétations, les deux rabbins prenaient en compte aussi bien les sources écrites qu’orales, considérant ces dernières comme tout aussi importantes que les premières, et ils reconnaissaient aux docteurs de la loi le droit de l’interpréter. Cependant, les deux rabbins divergeaient sensiblement sur des questions touchant à la mise en pratique des principes de la Torah.
Hillel (qui avait environ soixante ans de plus que Jésus) était assez libéral dans son interprétation de la loi : il autorisait beaucoup de choses que les autres maîtres, notamment Shammaï, interdisaient. Ce dernier (plus jeune que Hillel d’une génération seulement) se distinguait par son rigorisme et un plus grand respect de la lettre dans son interprétation de la Torah.
Les deux maîtres étaient encore en vie au moment de la naissance de Jésus : Hillel est mort quand Jésus était adolescent, Shammaï, à peu près au moment où Jésus a commencé à prêcher. Certains préceptes de Jésus portant sur des thèmes moraux, en particulier ceux qui sont rapportés dans l’Évangile de Matthieu, sont le reflet direct des débats sur l’interprétation de certaines règles de la loi mosaïque que menaient les représentants des deux écoles, de la « maison de Hillel » et de la « maison de Shammaï ».
Les Pharisiens et les Sadducéens : partis religieux ou politiques ?
Si l’on peut parler, avec une assez grande certitude, des esséniens comme d’un mouvement religieux, les groupes des pharisiens et des sadducéens, eux, tenaient à la fois du mouvement religieux, de l’école philosophique et du parti politique.
L’emploi du terme secte pour ces groupes est assez conventionnel (le terme αἱρέσεις que Flavius Josèphe applique à leur égard ainsi qu’aux esséniens peut être traduit pas « hérésies », « sectes », « mouvements », « écoles », « partis »). La capacité des pharisiens et des sadducéens à former entre eux des coalitions est confirmée aussi bien par Flavius Josèphe que par l’histoire évangélique.
Les esséniens, en revanche, étaient opposés aux deux mouvements. L’image des pharisiens qui se dessine à partir de l’ensemble des sources dont nous disposons est celle d’un parti organisé :
« Les pharisiens émergent alors en tant que parti organisé de membres attachés à une interprétation de la loi mosaïque qui leur est propre, qu’ils mettaient eux-mêmes en pratique et qu’ils essayaient de faire adopter par les autres. Partout où il était possible d’influencer les dirigeants, les pharisiens étaient en pression pour promouvoir leurs idées. De plus, les pharisiens étaient suffisamment au fait des us et coutumes de ce monde pour participer à des conseils et former des coalitions avec leurs adversaires si la situation l’exigeait ou bien si des objectifs communs pouvaient se dégager. De ce fait, ils fonctionnaient comme un ‘groupe d’intérêt politique’. D’un autre côté, la concurrence avec les groupes rivaux était féroce et, exacerbées par la ferveur de la conviction religieuse, leurs accusations réciproques n’en étaient que plus violentes. »
Green, J. B., McKnight, S., & Marshall, I. H. (éd.), Dictionary of Jesus and the Gospels, InterVarsity, 1992, p. 611.
Cet article fait partie de la série basée sur les six volumes de Jésus-Christ. Vie et Enseignement par le métropolite Hilarion Alfeyev, disponible tous les vendredis sur cette page. Pour obtenir votre exemplaire du premier volume, Début de l’Évangile, visitez le site des Éditions des Syrtes.
