Georges Khodr, « Chrétien dans une société plurielle. Le témoignage d’un évêque arabe », édition établie par Olga Lossky, Éditions du Cerf, 2025, 223 pages, 22 euros.
Voici un ouvrage avec de fortes paroles, dont on pourrait faire un florilège, sur la foi, l’Église, les fidèles et ceux qui ne le sont pas, croyants d’une autre foi ou incroyants. Le métropolite orthodoxe libanais Georges Khodr, aujourd’hui centenaire (il est né en 1923), nous donne avec ce livre un puissant plaidoyer pour les lignes directrices qui ont animé ses engagements. C’est un livre tonique, décapant, vibrant, avec une formulation limpide et concise qui va à l’essentiel. C’est à la fois le témoignage d’un évêque chrétien orthodoxe et celui de toute une vie dans un contexte particulier.
Dans un pays autrefois prospère (la « Suisse du Moyen-Orient » disait-on), célèbre pour sa douceur de vivre, mais déchiré depuis des décennies par de multiples violences et de nombreuses tragédies, Mgr Georges pose la question de l’autre et de notre relation à celui-ci. Quelle reconnaissance réciproque ? Quels échanges ? Quel chemin en commun ? Il pose d’emblée cette réflexion fondamentale (p.11) : « Reconnaître l’autre, c’est reconnaître son droit à la différence, et à exprimer cette différence en toute liberté. » En effet, « tout homme est un mystère, et le fait de choisir Dieu ou de le renier et choisir la perdition est aussi un mystère. » Alors quel dialogue ? Il ne s’agit pas, nous dit le métropolite, d’imposer quoi que ce soit, ou de « rester rivé aux concepts, car tout concept de Dieu est une idole » (p.20), en effet « le dialogue suppose une convivialité réelle, une osmose créatrice, surtout à l’intérieur des sociétés plurielles » (p.21). Cette société plurielle aujourd’hui peut être observée pas seulement au Liban, mais aussi dans de nombreux pays, dont la France. À cet égard, le livre de Mgr Georges est un témoignage précieux pour éclairer les situations dans lesquelles la différence suscite l’incompréhension, parfois l’hostilité, implicite ou déclarée.
Pour aller vers l’autre, nous dit Mgr Georges, il est nécessaire de sortir des pesanteurs de l’histoire qui ont forgé une identité. En effet, il s’avère que celle-ci, par-delà sa légitimité, est souvent une fermeture et un prétexte à ne pas aller vraiment vers ceux qui ont une autre histoire. Le christianisme appelle à aller au-delà. « Nous ne pourrons revêtir le Christ que si nous sortons de notre histoire et remettons en cause, chacun pour sa part, cette identité que l’histoire nous a forgée » précise-t-il également (p.24). C’est pourquoi il aborde aussi la dimension universelle du Christ. Il souligne notamment : « Le Christ est voilé partout dans le mystère de son abaissement. Toute lecture des religions est une lecture dans le Christ » (p. 53). Mgr Georges s’est lui-même beaucoup engagé dans le dialogue avec les différentes traditions religieuses, principalement avec l’islam. Il consacre ainsi plusieurs pages aux convergences mystiques entre christianisme et islam.
On ne s’étonnera donc pas que Mgr Georges appelle à un renouveau (p.108 et suivantes) qu’il détaille au fil des pages.
À la lecture de ce livre, on repense à ce passage de l’Apocalypse (21, 5) : « Voici, je fais toutes choses nouvelles ». C’est ce souffle qui anime Mgr Georges et qu’il sait transmettre avec ardeur. Les dernières lignes de l’ouvrage sont une prière qui synthétise, dans cette élévation vers Dieu, toutes les pages précédentes. On y trouve notamment cette phrase (p.214) : « Mon Seigneur, apprends-moi à prier avec des mots nouveaux qui s’élèvent d’un cœur où tu habites. » Son livre en est une illustration.
Christophe Levalois