C’est le 18 juillet dernier, alors que s’étaient donné rendez-vous à Paris des athlètes venus des quatre coins du monde qu’a été ouvert officiellement un centre multiconfessionnel, au sein du village olympique en Seine-Saint-Denis. Environ 160 aumôniers de cinq religions différentes (christianisme, islam, bouddhisme, judaïsme et hindouisme) y ont été accrédités pour accompagner spirituellement durant les jeux les athlètes et leurs entraineurs.
Plus d’un an et demi auparavant, l’Assemblée des Évêques Orthodoxes de France (AEOF) avait souhaité une participation active des clercs et des laïcs à l’aumônerie orthodoxe prévue à cette occasion et ils en ont confié la responsabilité à l’aumônier national orthodoxe des Hôpitaux, Père Anton Gelyasov. Père Anton, en coopération avec les référents d’autres cultes, s’est occupé de dialoguer avec le comité international Olympique) (CIO) et le Comité d’Organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques (COJOP), de recueillir les candidatures des aumôniers et d’encadrer ceux qui ont été retenus après leur accréditation.
Nous avons échangé avec le Père Anatole Négruta qui était l’un des aumôniers orthodoxes du centre et avons recueilli ses propos.
– Père Anatole, pourquoi as-tu été aumônier au Village Olympique et Paralympique ?
Je me suis tout de suite porté candidat pour être aumônier au Village Olympique et Paralympique dès que l’information a circulé au sein de l’archevêché car pour moi la tenue des jeux olympiques à Paris où je réside, est un événement exceptionnel. À Paris, cela ne s’était pas produit depuis 1924, il y a cent ans et je ne voulais pas rater cela. D’autre part, je parle roumain, russe et ukrainien ce qui pouvait être utile et je suis fan de sport : j’aime en particulier le foot et j’ai longtemps pratiqué les arts martiaux, il va d’ailleurs falloir que je m’y remette maintenant ! Ensuite, j’ai suivi la formation d’aumônier dans les hôpitaux auprès des malades et pouvoir aussi être aumônier auprès d’athlètes m’a semblé être une belle opportunité pour témoigner de la présence du Christ dans toutes les circonstances de la vie auprès de tous les hommes
– Comment était définie la mission d’aumônier de ce village olympique ? Avez-vous eu des réunions de préparation ? entre orthodoxes, entre chrétiens, avec les autres religions ?
La présence de ces aumôniers est bien inscrite dans le cahier des charges des Jeux depuis les jeux de Munich en 1972. Les aumôniers assurent un rôle d’accompagnement et d’écoute auprès des athlètes qui participent aux Jeux olympiques et paralympiques, sans néanmoins faire de prosélytisme. Père Anton, notre responsable pour les orthodoxes, a participé à des réunions de préparation avec les autres religions et nous faisait passer les directives. C’est lui aussi qui tenait le planning des permanences car le centre était ouvert de 7h à 23h.
– Quelle était la part des aumôniers orthodoxes au village olympique par rapport aux autres confessions chrétiennes et comment se répartissait-ils entre juridictions orthodoxes ?
Au centre multiconfessionnel, chaque religion avait son propre espace. Pour les Chrétiens l’espace était commun entre catholiques, protestants et orthodoxes. Nous l’avons aménagé pour le mieux tous ensemble avec des icônes, un évangile du XVIIIème siècle apporté par les protestants, un crucifix etc. Les protestants, en particulier, étaient toujours très actifs, ainsi ils ont édité et distribué un évangile avec un livret de témoignages de sportifs et tous les matins, ils faisaient des lectures d’évangile. Les catholiques avaient, en outre, la possibilité d’assister tous les matins à la messe dans une chapelle non loin de là située en dehors du village. Nous avons eu beaucoup d’échanges fraternels tant avec les protestants que les catholiques et avons participé à des temps de prière ensemble.
Nous, aumôniers orthodoxes, étions 22 prêtres, issus de la plupart des diocèses orthodoxes présents en France mais il n’a jamais été question entre nous de patriarcats. On s’efface devant les divisions et nous étions tout simplement des prêtres orthodoxes témoignant de l’orthodoxie à l’écoute de tous les athlètes qui venaient vers nous, quels que soient leur nationalité et leur patriarcat de rattachement.
Nous avons aussi visité les espaces des autres confessions et avons entretenu de très bons rapports avec leurs aumôniers.
– Á quels types de demandes aviez-vous été confrontés ?
Les athlètes venaient nous demander des bénédictions et nous confier surtout leurs angoisses. Nous avions un rôle de consolateur en quelque sorte. Il faut savoir que tous se sont entrainés durement et ont préparé les épreuves pendant des années pour être sélectionnés, et les voilà maintenant à Paris souvent loin de leurs proches, de leur pays avec l’espoir de faire honneur à leur pays. Une pression terrible pèse sur eux aussi beaucoup sont stressés, ont peur d’être blessés, peur de de ne pas être à la hauteur … Nous avons beaucoup échangé avec des personnes qui souffraient de leurs échecs et se considéraient coupables et il nous fallait leur faire comprendre que la défaite fait partie de notre vie, qu’on peut aussi beaucoup apprendre d’une défaite et qu’il est toujours possible de rebondir ensuite et ainsi les réconforter.
L’un d’entre nous a eu de beaux échanges avec une sportive venue se confier avant une compétition, elle était très croyante et connaissait par cœur l’acathiste à la mère de Dieu. Nous avons aussi rencontré des champions et médaillés olympiques1 et surtout nous avons pu avoir de très riches et très profondes conversations avec un entraineur, orthodoxe mais non pratiquant qui enseignait à ses athlètes la nécessité de rester humble après la victoire et de pouvoir ainsi porter le fardeau de la gloire. Porter une croix en quelque sorte ! Tous ceux qui venaient au Centre avaient besoin de parler et s’interrogeaient sur le sens de la vie.
– Quel était l’ambiance au village ? comment se passaient les relations avec les autres religions, avez-vous noué des liens ?
Personnellement, j’ai trouvé que l’ambiance était bonne et joyeuse au village, cela m’a d’ailleurs été confirmé par des sportifs qui avaient participé aux jeux précédents. Nous (bien entendu, par respect pour la vie privée de tous, nous ne donnerons aucun nom) pouvions nous déplacer dans le village pour nos besoins opérationnels, mais nous n’avons pas pu visiter tous les autres espaces réservés aux résidents. Comme nous étions en soutanes avec notre croix bien visible, les personnes étaient curieuses et s’approchaient de nous, elles demandaient à prendre des photos avec nous et voulaient savoir où se trouvait le centre multiconfessionnel. Et l’on répondait en plaisantant : il est juste à côté …du centre de de contrôle antidopage donc on peut y venir après ou avant ! Ce qui était vrai !
L’ambiance a toujours été très fraternelle avec les autres religions et nous nous sommes vraiment respectés et avons appris à mieux nous connaître. Il est arrivé que des sportifs s’égarent dans le centre multiconfessionnel et se trompent d’espace mais tout de suite ils étaient réorientés vers les aumôniers de leur religion !
Enfin, nous avons eu une très belle rencontre inter-religieuse le 4 août sur le parvis de Notre Dame à la demande de Thomas Bach, Président du CIO sur le thème « « Comment le sport mobilise-t-il le meilleur pour l’homme et l’humanité ? ». Sur le parvis de Notre Dame car c’est à Notre-Dame qu’avait eu lieu une cérémonie inter-religieuse lors des Jeux de 1924 et parce que Notre Dame est un haut lieu spirituel cher à tous les croyants et nous attendons avec impatience sa réouverture! Les aumôneries du village olympique étaient donc présents avec Tony Estanguet, président de Paris 2024 et d’autres personnalités. Les responsables des aumôneries des cinq religions, pour nous Père Anton avec la bénédiction de l’AEOF, se sont exprimé et ont témoigné du climat d’unité, de paix et de la grande fraternité qui a régné entre eux pendant ces jeux.
– Quel bilan tires-tu de ton expérience ? as-tu eu le sentiment d’avoir été utile ?
C’est pour moi une expérience extraordinaire qui m’a beaucoup appris. Le monde a besoin de consolation surtout dans le contexte actuel de la guerre en Ukraine ainsi j’ai beaucoup parlé avec un sportif qui en souffrait et me demandait comment on pouvait expliquer évangéliquement les guerres.
– Es-tu prêt à recommencer l’expérience aux para-olympiques ?
Oui bien sûr, comme certains des aumôniers déjà présents qui continueront en fonction de leur emploi du temps. Et j’ai vraiment expérimenté le fait que, comme il a été dit pendant la cérémonie du 4 août, le sport peut être un vecteur de valeurs positives et d’unité entre les hommes et j’ajouterai, en tant que prêtre, grâce à Dieu auquel je rends grâce d’avoir pu vivre ces moments.
Propos recueillis par Madame Armelle LE GOFF, secrétaire de la paroisse de la Ste-Trinité à Paris