« C’est un professeur de marxisme qui m’a fait découvrir l’orthodoxie ! » Une interview de l’archiprêtre Jivko Panev sur le site d’information orthodoxe russe Pravmir

« C’est un professeur de marxisme qui m’a fait découvrir l’orthodoxie ! » Une interview de l’archiprêtre Jivko Panev sur le site d’information orthodoxe russe Pravmir

L’archiprêtre Jivko Panev, fondateur et directeur du site français Orthodoxie.com, et professeur à l’Institut de théologie Saint-Serge à Paris, a évoqué, dans une interview pour le site orthodoxe russe Pravmir.ru, sa venue à la foi dans la Yougoslavie communiste, comment il devint soudain macédonien pour les Serbes et serbe pour les Macédoniens, puis les questions de l’anticléricalisme en France et de la raison des guerres civiles. L’entretien a eu lieu dans le cadre de la « Première conférence internationale “Les médias électroniques et la pastorale orthodoxe” », qui s’est tenue du 7 au 9 mai 2015 à Athènes.

– Père Jivko, comment êtes-vous devenu croyant, alors que vous étiez né dans un pays socialiste ?

– Je suis originaire de Macédoine, l’ex-République yougoslave. Je suis né en 1961, mon père était officier de l’Armée yougoslave, notre famille était communiste. Mais lorsque j’ai étudié au lycée, j’ai commencé, à l’instar de toute la jeunesse, à rechercher le sens de la vie. Je lisais beaucoup de livres philosophiques, psychologiques, et ensuite j’ai ressenti une attirance pour les religions orientales, l’hindouisme, le bouddhisme. Et grâce à un professeur de marxisme, qui était secrètement croyant, j’ai connu l’orthodoxie. Il m’a donné à lire Dostoïevski, puis ensuite, des livres orthodoxes en langue serbe. J’ai commencé à m’intéresser à l’expérience spirituelle orthodoxe, à lire L’Échelle de saint Jean Climaque, la Philocalie… Il en a résulté que j’ai reçu le baptême à l’âge de dix-huit ans. J’ai achevé mes études de droit à la faculté de Skoplje et ensuite, je voulais étudier la théologie. J’ai demandé à mon père spirituel, le hiéromoine Amphiloque Radović, actuellement métropolite du Monténégro, de me donner sa bénédiction pour aller étudier au Séminaire Saint-Vladimir, en Amérique, parce que je connaissais l’anglais. Mais il m’a dit : « C’est mieux à Paris, il y a là-bas un très bon institut théologique. Et la France, malgré tout, est un pays catholique, qui nous est plus proche que les protestants en Amérique ». C’est ainsi que je suis arrivé en 1988 à l’Institut Saint-Serge. J’y ai reçu ma licence, puis ensuite la maîtrise et, simultanément, j’ai obtenu le DEA d’études grecques. Je suis également titulaire d’un MBA. La seconde année de mon séjour à Paris, j’ai été ordonné diacre par Mgr Amphiloque pour l’Église orthodoxe serbe. Or, dans les années 1990, a commencé la guerre civile en Yougoslavie. Jusque là, nous étions tous yougoslaves, et voici qu’en une heure, je me suis trouvé macédonien dans l’Église serbe et, pour mes compatriotes macédoniens, je suis devenu serbe. Il était fort difficile de revenir dans mon pays. C’est ainsi que je suis resté en France, où j’ai reçu une petite paroisse dans le sud de Paris, et où je suis devenu prêtre en 1994. Depuis lors, je célèbre dans cette paroisse qui se trouve sous la juridiction de l’Archevêché des églises orthodoxes russes en Europe occidentale, l’exarchat du Patriarcat œcuménique.

– L’Institut Saint-Serge, c’est une « légende », c’est là qu’ont enseigné les théologiens les plus connus ainsi que les prêtres de la première vague de l’émigration : l’évêque Cassien (Bezobrazov), l’archimandrite Cyprien (Kern), les archiprêtres Serge Boulgakoff, Georges Florovsky, Basile Zenkovsky, Nicolas Afanassiev, Anton Kartachev, Georges Fedotoff, Boris Vycheslavtsev, et d’autres encore. Quel est son rôle maintenant, a-t-il gardé sa position de leader ?

– Il est très important qu’il existe maintenant également. Nous avons la tradition et l’expérience du dialogue avec le monde occidental. Nous n’avons pas actuellement de grands théologiens comme ce fut le cas précédemment, mais nous nous efforçons de croître. Deux cents étudiants suivent actuellement nos cours, soit sur place, soit par correspondance, mais notre problème est matériel, parce qu’en France, depuis 1905, l’Église et l’État sont séparés. Celui-ci n’aide pas les institutions religieuses d’enseignement. Notre diaconie est possible grâce aux dons des fidèles orthodoxes, lesquels sont toutefois peu nombreux en France et, au demeurant, divisés en juridictions. Mais, par la grâce de Dieu, nous travaillons, nous nous efforçons de soutenir l’esprit de la théologie créative, qui est fidèle à la Tradition, mais se trouve en dialogue avec le monde occidental. Celui-ci aspire à trouver la lumière du Christ.

– Quelles sont, de votre point de vue, en tant qu’homme vivant en Europe, les perspectives du christianisme en général et de l’orthodoxie en particulier dans cette partie du monde ?

– En France comme, en général en Occident, la question de l’islamisme est particulièrement aiguë. La Révolution française voulait faire que l’identité chrétienne n’existe plus. Mais maintenant, avec l’arrivée de l’islamisme, les Français commencent à comprendre qu’il y a chez eux, comme dans toute l’Europe occidentale, des fondements chrétiens, une identité chrétienne qui est implicite dans la culture même et il faut que les gens en prennent conscience. Nous-mêmes, en tant qu’orthodoxes, ressentons, savons et croyons que nous avons la plénitude la tradition de l’Église chrétienne. Et c’est en cela que réside le sens de notre présence en Occident : que les occidentaux la transposent en eux, qu’ils disent : « Nous avons des racines communes et il faut que nous soyons à nouveaux unis, mais dans l’esprit de fidélité à la tradition orthodoxe. C’est l’Église qui a gardé la pureté de la foi apostolique ». C’est là le sens de notre existence. Aussi, pour répondre à votre question : « y a-t-il des perspectives en Europe pour le christianisme et l’orthodoxie ? », on peut dire : bien sûr, il y en a !

– Mais par ailleurs, le christianisme est tout-de-même évacué activement de la vie sociale. Les autorités interdisent de disposer des symboles religieux sur les bâtiments publics, on introduit dans la société des concepts tels que « season greetings » dans le monde anglo-saxon au lieu de « joyeux Noël », etc…

– Oui, il y a en France une telle tendance. Comme je l’ai dit, la Révolution française était déjà dirigée contre l’Église. Mais cela s’est produit parce que l’Église catholique était liée alors au pouvoir monarchique, et la situation du peuple français était mauvaise. Si tout allait bien pour lui, il n’y aurait pas eu de révolution. Il y a l’esprit du laïcisme qui est dirigé contre l’Église. Mais si l’on regarde en profondeur, il s’avère que cet esprit anti-ecclésial est dirigé contre le pharisaïsme, contre l’orgueil ecclésiastique. Effectivement, il y a des défauts chez nous, membres de l’Église et clercs ; il se peut que nous utilisions parfois le pouvoir qui nous est donné par Dieu à des fins personnelles et le peuple le sent. En fait, les gens cherchent la dignité du peuple de Dieu, la dignité de l’homme de se trouver devant la face de Dieu.

– Maintenant, beaucoup disent que dans l’Église orthodoxe, avec le temps, le concept du rôle du peuple de Dieu a été également altéré, « les premiers rôles » ont été attribués aux clercs, tandis que les simples paroissiens ne sont que des « spectateurs » lors des offices. Il n’en était pas ainsi dans l’Église proto-chrétienne…

– Depuis le début du christianisme, l’Église est l’assemblée des fidèles qui se réunissent en raison de leur foi une dans le Christ, afin de recevoir le don de l’Esprit Saint et d’offrir le Sacrifice non-sanglant. Tous les chrétiens ont le don de rendre grâce à Dieu : l’Eucharistie, c’est l’action de grâce. Mais il y a des dons particuliers chez ceux qui président ces assemblées de fidèles qui rendent grâce. C’est Dieu qui leur donne ce don particulier, mais par l’intermédiaire de l’assemblée. En effet, lorsqu’a lieu le sacre de l’évêque, celui-ci est institué uniquement pour les ouailles. C’est ainsi que nous avons un ministère commun, un ministère particulier, mais c’est le ministère de l’amour. Rien d’autre. L’évêque n’a aucun pouvoir monarchique, aucun pouvoir politique, il a un pouvoir d’amour, qui se manifeste par la célébration des saints mystères, en premier lieu de la liturgie. Ensuite, celui de la prédication des dogmes sur le fondement de la foi. Le prêtre sert l’évêque et il dirige le peuple de Dieu avec un cœur pur. C’est ce qu’écrit saint Hippolyte de Rome dans la prière d’ordination sacerdotale : l’évêque impose les mains sur la tête du futur presbytre et prie afin qu’il dirige le peuple de Dieu avec un cœur pur. Un « cœur pur », cela signifie que l’homme doit être sans égoïsme, qu’il vive pour les autres et les amène à Dieu. Ce ministère consiste en cela. Or, nous avons une nature humaine déchue, et nous avons l’aptitude de transformer ce ministère, ce service, en pouvoir. L’amour du pouvoir, c’est la première tentation. Satan s’est détaché de Dieu parce qu’il ne voyait pas Dieu comme amour, l’amour d’une Personne envers une autre Personne. L’être même de Dieu est l’amour parce qu’Il est Père, Fils et Saint-Esprit. Satan a cessé une fois de voir Dieu comme la communion des trois Personnes, et a commencé à Le voir comme un pouvoir monarchique, une monade. C’est pourquoi il a souhaité aller contre Dieu : si Dieu est le pouvoir, il faut ou bien fuir ce pouvoir, ou être un esclave, ou occuper le lieu du pouvoir. Et lorsque Satan tente Ève, que lui dit-il ? Il dit : Dieu ne veut pas que vous mangiez de l’Arbre de la connaissance, parce que si vous en mangez, vous deviendrez également des dieux, comme lui. Satan voulait représenter Dieu comme un pouvoir qu’Il voulait garder seulement pour Lui, sans le partager avec les autres. Cette tentation fut la cause de la première chute, celle de Satan, et de la deuxième chute, celle d’Adam et d’Ève. Nous faisons face aussi à cette tentation. Cela est vrai pour chaque homme, tant chez les prêtres que chez les laïcs. Mais si nous retournons à cet ordre dont nous avons parlé, chacun de nous a un ministère, un service commun, et un service particulier, mais nous ne devons pas oublier qu’il s’agit du ministère de l’amour.

– Dans votre conférence, vous avez décrit le monde actuel post-moderne, vous avez cité les réflexions des philosophes sur ses particularités. De toute évidence, le monde dans lequel nous vivons est l’un des plus complexes. Comment l’homme peut-il garder son calme intérieur, lorsqu’il est entouré par une telle vitesse, une telle quantité de l’information ?

– Comment vivre à l’époque du post-modernisme ? Il est difficile de vivre, mais il était difficile de vivre aussi lors du modernisme, et encore lors du classicisme. Ce monde est celui de Dieu et on ne peut vivre en celui-ci que par l’obéissance. Lorsque nous parlons de l’obéissance, nous pensons immédiatement à la vie monastique, mais comment vivre dans le monde ? Il y a un très bon écrivain, Tito Colliander, qui disait que chacun, dans la vie spirituelle, a son obédience : si nous sommes moines, l’obédience monastique, si nous sommes journalistes, l’obédience journalistique. Si nous faisons quelque chose, en accomplissant la volonté divine, il faut que nous recevions de cela la paix. Nous ne cherchons pas la volonté de Dieu, nous parlons beaucoup de trop. Il y a le bruit, à cause de celui-ci nous n’entendons pas la voix de Dieu. Seule la voix de Dieu peut nous donner cette paix. Mais comment entendre la voix de Dieu, lorsque nous n’avons pas de paix et qu’il n’y en a pas non plus près de nous ? Il faut prier, afin que Dieu nous envoie la paix, afin que nous soyons obéissants. C’est la première chose. La deuxième : le post-modernisme, c’est malgré tout l’esprit du temps. Le post-modernisme n’est qu’une partie de la tendance du monde occidental contemporain. Le monde occidental répand ses tendances sur toute la planète. Le sentiment surgit en l’homme qu’il peut atteindre même l’immortalité sans Dieu. Cela s’appelle le transhumanisme : agir de telle façon que, grâce aux biotechnologies, nanotechnologies, à la pharmacologie, la cybernétique, l’homme s’améliore. C’est « l’humanisme plus » : l’homme peut devenir dieu sans Dieu. Mais c’est une tentation diabolique, parce que si l’homme devait même devenir immortel, cela ne le rendrait pas ainsi dans une pleine mesure. Même s’il pouvait vivre mille ans grâce aux remèdes médicaux et aux biotechnologies, si on le tuait, il mourrait. Ici, la tentation se trouve simplement dans l’orgueil. Actuellement, les plus grandes firmes, telles que Google, Yahoo, Apple, dépensent des sommes énormes pour ces technologies, parce que les dirigeants de ces compagnies sont des adeptes du transhumanisme. Ils recherchent l’immortalité. Ils ont le sentiment que seule l’immortalité peut nous donner la béatitude. Mais celle-ci, sans celle qui est éternelle, est impossible, tandis que la béatitude éternelle, c’est Dieu.

– D’après l’expérience de votre patrie, vous savez ce que c’est que la guerre civile. Pendant cette dernière décennie, nous avons observé beaucoup de guerres semblables. Pourquoi, à votre avis, il y a si peu de paix autour de nous ? D’où proviennent les guerres civiles ?

– L’amour du pouvoir est la source de toutes les guerres. Chaque conflit, chaque guerre provient de l’amour du pouvoir. Je veux avoir le pouvoir absolu, mais pourquoi ? Parce que nous sommes maintenant mortels. Si je peux accaparer le pouvoir, toutes les ressources seront chez mois. C’est la peur de la mort. Et c’est bien que nous ayons peur de la mort, car la mort, ce n’est pas quelque chose de naturel. Même le Christ en avait peur ! Rappelez-vous que dans l’Évangile de Jean, lorsque le Christ s’approcha de la tombe de Lazare, il fut soudain épouvanté. En grec, littéralement, « il ressentit un stress profond ». Que cela signifie-t-il ? Que le Christ même a compris que la plus grande horreur était la mort. Mais comment vaincre la mort ? Ou bien par l’immortalité, la résurrection du Christ, ou bien en ayant de l’argent, de la nourriture ou des richesses. Lorsqu’il n’y a pas de foi en Dieu, on pense que la richesse protège. Mais les ressources sont limitées. Si j’ai tout, tu n’auras rien, alors tu diras : « Pourquoi en est-il ainsi ? C’est injuste ! Je prends les armes et passons au conflit armé ! » Selon moi, il en a toujours été ainsi. Depuis la chute d’Adam et d’Ève, depuis Caïn et Abel, et jusqu’à maintenant, nous nous trouvons constamment dans les conflits. Et que fait le Christ ? Il dit : « Vous voulez le pouvoir absolu, parce que vous pensez que Dieu est le pouvoir ». Dieu est devenu homme ! Il a vécu comme un homme, Il est mort comme un homme, mais Il est ressuscité comme Dieu-homme. Il nous donne la possibilité de vaincre la mort. « Le Christ est ressuscité des morts, par la mort, Il a terrassé la mort et à ceux qui gisaient dans les tombeaux, Il a donné la vie ». Nous tous, qui gisons dans les tombeaux, attendons la Résurrection du Christ.

Entretien réalisé par Maria Korkova

Source : Pravmir

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