Emmanuel ou Jésus : le nom prophétisé ou celui révélé par l’ange ?

Le prénom « Jésus » (יֵשׁוּעַyēšû‘), forme abrégée de יְהוֹשֻׁעַyəhôšûa‘ signifie en hébreu littéralement « le Seigneur est le salut ». De plus, il a la même consonance que le mot hébreu יָשַׁעyāšû‘ā qui signifie également « le salut ». Ainsi, les paroles que l’on trouve chez Matthieu c’est Lui qui sauvera son peuple de ses péchés rappellent explicitement le sens de ce prénom.

Chez Matthieu et Luc, le prénom « Jésus » est présenté comme le nom qu’avait indiqué l’ange avant qu’il ne fût conçu dans le sein de sa Mère (Lc 2:21). Cependant, chez Matthieu, l’ange révèle ce prénom à Joseph dans son rêve, tandis que, chez Luc, l’ange le révèle à Marie avant même qu’elle ne soit enceinte.

Le prénom Jésus figure près de cent cinquante fois dans l'Évangile de Matthieu, ce qui est à peu près autant que dans les évangiles de Marc et de Luc pris ensemble.

Les lecteurs d’aujourd’hui ne comprennent sans doute pas pourquoi la prophétie de l’attribution du nom Emmanuel ne s’accomplit pas dans celle du nom Jésus. On le comprend mieux si l’on se replace dans le contexte de la conception biblique du nom.

Dans l’Ancien Testament, le nom n’était pas simplement un mot donné par convention pour désigner une personne ou un objet, ni simplement une combinaison de sons et de lettres permettant de distinguer une personne d’une autre. Dans la langue de la Bible, le nom indique les caractéristiques fondamentales de celui qui le porte, il révèle son essence profonde.

Dieu est désigné par de multiples noms, dont un seul, יהוה Yahwê (Yahvé, Jéhovah, Seigneur) est considéré comme son nom propre. Ce Nom s’identifie quasiment à Dieu lui-même et représente quelque chose de sacré, que l’on entoure d’une vénération particulière. Après l’exil, les Juifs iront jusqu’à cesser de prononcer ce Nom à voix haute en signe de dévotion.

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Autel de la Cathédrale Notre-Dame-de-Kazan, Saint-Pétersbourg

La théologie vétérotestamentaire du nom se reflète pleinement dans le Nouveau Testament. Les apparitions de l’ange à Zacharie, à Marie et à Joseph dans les Évangiles de Matthieu et de Luc ont un lien direct avec cette théologie du nom. Dans les trois cas, le message est composé de deux parties: l’ange commence par annoncer la naissance d’un fils, puis il indique le nom qu’il faudra lui donner.

L’ange dit à Zacharie : Ne crains point, Zacharie ; car ta prière a été exaucée. Ta femme Élisabeth enfantera un fils, et tu lui donneras le nom de Jean (Lc 1:13). L’ange se présente six mois plus tard à Marie pour lui apporter un message analogue: Ne crains point, Marie, car tu as trouvé grâce devant Dieu. Et voici, tu deviendras enceinte, et tu enfanteras un Fils, et tu Lui donneras le nom de Jésus (Lc 1:30-31). Enfin, l’ange apparaît en songe à Joseph et lui dit: Elle enfantera un Fils, et tu Lui donneras le nom de Jésus (Mt 1:21).

Le fait que l’ange attribue son nom à Jésus a une signification particulière. Le nom même de Jésus contient le Nom sacré de Yahvé, qui acquiert une connotation supplémentaire: ce n’est ni la grandeur, ni la puissance, ni la gloire de Yahvé qui sont soulignées, mais sa force salvatrice.

On peut dire que la bonne nouvelle du Nouveau Testament commence par l'apparition d'un nouveau Nom de Dieu, génétiquement lié au Nom sacré de Yahvé, mais qui annonce l’avènement d’une ère nouvelle dans les relations entre Dieu et le genre humain.

Désormais, pour les hommes, Dieu n’est plus un Dieu jaloux, qui punit l’iniquité des pères sur les enfants jusqu’à la troisième et la quatrième génération (Ex 20:5), mais Celui qui sauvera Son peuple de ses péchés (Mt 1:21).

Le nom Emmanuel, qui signifie littéralement Dieu est avec nous, n’a pas la même consonance que le nom Jésus, mais il lui est sémantiquement lié: l’évocation de Dieu est présente dans les deux noms, différents par leur forme, mais proches par leur contenu. Voilà pourquoi leur coexistence dans un seul et même récit ne gênait en rien ni l’évangéliste Matthieu, qui écrivait pour ceux qui connaissaient l’hébreu, ni ses premiers lecteurs.

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Sauveur Emmanuel avec des anges, 12e siècle, Galerie Tretiakov, Moscou

Il convient d’ajouter qu’au temps de Jésus, de nombreux Juifs avaient deux noms, le second représentant plutôt un surnom qu’un nom propre. Pour Jésus, ce second nom dans les évangiles est le surnom de Christ (Oint), avec lequel il est entré dans l’histoire.

Le nom Emmanuel s’est cependant maintenu dans la tradition de l’Église, notamment dans certains hymnes liturgiques, ainsi que dans l’iconographie. On appelle Sauveur Emmanuel un type iconographique où Jésus est représenté sous les traits d’un adolescent aux cheveux longs: présent parmi les fresques des catacombes romaines et les mosaïques de Ravenne, il était également largement répandu à Byzance et en Russie.

Cet article fait partie de la série basée sur les six volumes de “Jésus-Christ. Vie et Enseignement” par le métropolite Hilarion Alfeyev, disponible tous les vendredis sur cette page. Pour obtenir votre exemplaire du premier volume, “Début de l’Évangile”, visitez le site des Éditions des Syrtes.

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