Dans l’Évangile de Jean, Jésus et Jean-Baptiste exercent brièvement leur ministère en parallèle, attirant chacun des disciples et suscitant des interrogations. Quelle était la nature de leur relation?
L’Évangile de Jean indique que durant un certain temps, jusqu’à ce que Jean soit emprisonné, Jésus et le Précurseur ont exercé leur activité de façon parallèle:
Après cela, Jésus, accompagné de Ses disciples, se rendit dans la terre de Judée; et là Il demeurait avec eux, et Il baptisait. Jean aussi baptisait à Énon, près de Salim, parce qu’il y avait beaucoup d’eau; et on y venait pour être baptisé.
Jn 3:22-23
Ce récit montre que dans un premier temps, Jésus a emprunté à Jean la forme extérieure de sa prédication et qu’Il faisait la même chose que Jean, mais dans un autre lieu. Toutefois, on ne saurait pour autant en conclure que Jean «aurait guidé» Jésus.
L’évangéliste poursuit ainsi: Le Seigneur sut que les pharisiens avaient appris qu’Il faisait et baptisait plus de disciples que Jean. Toutefois Jésus ne baptisait pas Lui-même, mais c’étaient Ses disciples. Alors Il quitta la Judée, et retourna en Galilée (Jn 4:1-3).
La mention énigmatique de la réticence de Jésus à partager avec Jean le même territoire de prédication pourrait laisser supposer une certaine rivalité entre le groupe de disciples de Jésus et celui de Jean, du moins aux yeux des observateurs extérieurs.
Rivalité entre disciples de Jésus et de Jean?
Un autre épisode du quatrième Évangile confirme l’idée que les disciples de Jean étaient mécontents de l’activité indépendante de Jésus et de ses disciples:
Or, il s’éleva de la part des disciples de Jean une dispute avec un Juif touchant la purification. Ils vinrent trouver Jean, et lui dirent: «Rabbi, Celui qui était avec toi au-delà du Jourdain, et à qui tu as rendu témoignage, voici, il baptise, et tous vont à Lui. » Jean répondit: «Un homme ne peut recevoir que ce qui lui a été donné du ciel. Vous-mêmes m’êtes témoins que j’ai dit: Je ne suis pas le Christ, mais j’ai été envoyé devant Lui. Celui à qui appartient l’épouse, c’est l’époux; mais l’ami de l’époux, qui se tient là et qui l’entend, éprouve une grande joie à cause de la voix de l’époux; aussi cette joie, qui est la mienne, est parfaite. Il faut qu’Il croisse, et que je diminue. Celui qui vient d’en haut est au-dessus de tous; celui qui est de la terre est de la terre, et il parle comme étant de la terre. Celui qui vient du ciel est au-dessus de tous, il rend témoignage de ce qu’il a vu et entendu, et personne ne reçoit Son témoignage. Celui qui a reçu Son témoignage a certifié que Dieu est vrai; car Celui que Dieu a envoyé dit les paroles de Dieu, parce que Dieu ne Lui donne pas l’Esprit avec mesure. Le Père aime le Fils, et Il a remis toutes choses entre Ses mains. Celui qui croit au Fils a la vie éternelle; celui qui ne croit pas au Fils ne verra point la vie, mais la colère de Dieu demeure en lui»
Jn 3:25-36
On perçoit un mécontentement non dissimulé dans les propos des disciples de Jean. Cependant, dans la réponse qu’il donne, Jean s’en tient à la même position que lorsque Jésus était venu sur les rives du Jourdain. Il se réfère à son précédent témoignage sur Jésus et le réitère.
Si l’on envisage le texte commençant par «Celui qui vient du ciel est au-dessus de tous» comme étant la suite du discours direct du Précurseur, Jean ne montre pas simplement qu’il sait ce que fait et ce qu’enseigne Jésus. Il reproduit presque mot pour mot les thèmes principaux de l’enseignement de Jésus, tels qu’ils seront reflétés dans les chapitres suivants de l’Évangile de Jean.
Le Précurseur se définit comme venant de la terre, par opposition à Jésus, qui vient d’en haut ou bien du ciel. Il parle du témoignage de Jésus que personne ne reçoit; à l’évidence, en ce début du ministère de Jésus, sa prédication suscitait déjà une réaction de rejet de la part des Juifs.
Enfin et surtout, Jean-Baptiste énonce l’enseignement de l’unité du Fils et du Père. Ici, il parle non plus comme un prophète de l’Ancien Testament, mais comme un théologien du Nouveau, annonçant aux hommes la venue du Fils de Dieu dans le monde.
Es-tu Celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre?
Après son arrestation, depuis son lieu de réclusion, Jean a continué à s’intéresser à l’œuvre de Jésus.
L’Évangéliste Matthieu décrit l’événement suivant:
Jean, ayant entendu parler dans sa prison des œuvres du Christ, Lui fit dire par ses disciples: Es-tu Celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre? Jésus leur répondit: Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et ce que vous voyez: les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, et la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres. Heureux celui pour qui Je ne serai pas une occasion de chute.
Mt 11:2-6
Quel est le sens de ce récit? Pouvons-nous supposer que Jean, dans sa prison, ait douté de la dignité messianique de Jésus? Peut-être lui a-t-il semblé à un moment donné qu’il s’était trompé, et que Jésus n’était pas celui pour qui il devait préparer la voie?
On ne peut exclure qu’un homme emprisonné et attendant la mort ait manifesté une faiblesse humaine de cet ordre. Dans ce cas, les paroles de Jésus «heureux celui pour qui Je ne serai pas une occasion de chute» sonnent comme un avertissement sévère à l’adresse de Jean:
«Jean est en prison, entre les quatre murs d’une forteresse en pierre, et le Seigneur permet qu’il traverse la plus terrible des épreuves. La foi de plus grand de ceux qui sont nés d’une femme subit les attaques du tentateur. La voix ennemie tente de semer le doute dans son âme: ‘Tu vois bien que Jésus n’est pas du tout le Messie. Il est même impuissant de te faire sortir de ta prison’. Jean le Précurseur vivait dans l’attente d’un Messie conquérant, de l’Oint du Seigneur, de Celui qui libérerait Israël de tous ses ennemis. Il attendait le Fils de l’homme annoncé par Daniel, arrivant sur les nuages célestes pour juger les impies et les détruire du souffle de Ses lèvres. C’est ce Messie que Jean prêchait aux foules dans le désert: un Juge muni d’une hache, qui dès à présent couperait tous les arbres stériles, un Vanneur céleste muni d’une pelle qui séparerait le blé de l’ivraie. Et rien de tel ne se passe. Le Christ l’aurait-Il trompé? Dieu l’aurait-Il trompé?… Le Christ ne répond pas de façon directe à la question posée. Il ne dit pas: ‘Je suis Celui qui doit venir’. Il veut que celui qui a posé la question y réponde lui-même.
Alexandre Chargounov, Evanguelie dnia.
Mais il existe une autre interprétation. Elle revient à considérer que ce n’est pas Jean personnellement qui a douté de la dignité messianique de Jésus, mais ses disciples: c’est pourquoi il les a envoyés auprès de Lui, afin qu’ils obtiennent eux-mêmes une réponse de sa part.
D’après Jean Chrysostome, «si saint Jean s’informe ainsi sur Jésus, ce n’est pas qu’il ne sût qui Il était ou qu’il en doutât». Cependant, comme ses disciples «ne savaient pas encore qui était Jésus-Christ, et qu’ils avaient de Lui une opinion médiocre, et une très grande, au contraire, de saint Jean, qu’ils regardaient comme plus qu’un homme, ils ne pouvaient souffrir de voir la réputation de Jésus-Christ croître de jour en jour et celle de saint Jean diminuer, selon la parole de celui-ci. C’est ce qui les empêchait de croire en Jésus-Christ; leur envie était comme un mur qui leur fermait la voie pour aller à Lui». C’est pourquoi Jean envoie deux de ses disciples auprès de Jésus pour obtenir une explication.
Jésus, «pénétrant dans la pensée de saint Jean», ne leur répond pas tout de suite par l’affirmative, mais leur suggère de tirer eux-mêmes leurs conclusions sur la base de ses œuvres.
Cet article fait partie de la série basée sur les six volumes de “Jésus-Christ. Vie et Enseignement” par le métropolite Hilarion Alfeyev, disponible tous les vendredis sur cette page. Pour obtenir votre exemplaire du premier volume, “Début de l’Évangile”, visitez le site des Éditions des Syrtes.