La critique biblique: une époque commencée au XVIIIe siècle et toujours en cours dans l’histoire de l’interprétation des sources évangéliques

La critique biblique caractérise une période entière dans l’histoire de l’interprétation des sources évangéliques, s’étendant du milieu du XVIIIe siècle jusqu’à nos jours.

Cette approche repose sur une méthode historico-philologique du texte biblique, qui comprend trois étapes essentielles :

  • Analyse textuelle: cette étape consiste à reconstituer la forme la plus ancienne possible du texte en comparant les différents manuscrits disponibles;
  • Analyse linguistique: elle implique l’examen des autres textes manuscrits, non seulement bibliques mais aussi issus de l’Orient antique et de l’Antiquité classique, afin de mieux comprendre le contexte linguistique du texte biblique;
  • Analyse historique et culturelle: cette analyse prend en compte les connaissances historiques et les réalités du monde antique, incluant la vie quotidienne, les croyances et la conception du monde des hommes de l’époque.

La quête du «Jésus historique»

Le trait le plus marquant de cette période de l’histoire des recherches sur le texte évangélique est la quête du «Jésus historique» dont nous avons déjà parlé. Cette quête se poursuit encore aujourd’hui.

Au cours du développement de la critique moderne du Nouveau Testament, on a pu, à un moment donné, constater une nette tendance, de la part des chercheurs, à vouloir s’éloigner au maximum de l’interprétation religieuse du texte. Cette tendance a dominé dans la science néotestamentaire du milieu du 19e siècle jusqu’au milieu du 20e siècle, et elle a conduit, entre autres choses, à la création d’une école entière dédiée à la démystification de l’Évangile et à l’apparition de la conception selon laquelle Jésus était un personnage fictif.

Cependant, depuis la seconde moitié du 20e siècle, et surtout en ce début de 21e, une tendance contraire commence à se profiler nettement: les spécialistes travaillant dans le domaine de la recherche néotestamentaire se tournent de plus en plus souvent vers le commentaire traditionnel religieux des textes évangéliques comme vers une source capitale pour leur compréhension.

On peut dire que dans la science néotestamentaire actuelle s’opère une redécouverte de l’approche de la Bible dans son entier, et de l’Évangile en particulier, dans laquelle ces textes sont considérés comme faisant partie d’une Tradition séculaire: en-dehors de cette Tradition, ils perdent considérablement leur sens.

Le commentaire religieux et la critique biblique: faire les deux?

Les spécialistes contemporains prennent de mieux en mieux conscience d’une vérité élémentaire : au sein de l’Église précisément, le texte de l’Évangile continue de vivre non comme une pièce de musée, mais en tant que source vivante de foi et de morale. C’est pourquoi la plupart du temps le commentaire religieux du texte évangélique fournit précisément une clé qui permet une juste compréhension du texte, correspondant le plus fidèlement au sens que l’auteur a voulu y consigner.

Parallèlement, on observe au sein de l’Église un intérêt croissant pour la critique biblique, surtout pour les aspects qui ne sont pas en contradiction avec l’interprétation religieuse de la Bible, mais qui, au contraire, confirment sa justesse.

Dans le milieu orthodoxe en particulier, on est de plus en plus enclin à reconnaître qu’une attitude révérencieuse envers la Bible n’exclut nullement une analyse critique de son texte, critique non pas au sens d’une réfutation des vérités divinement révélées qu’il contient, mais au sens d’un examen comparatif réfléchi de ses différentes versions.

Comparer les manuscrits anciens entre eux, répertorier les variantes de lecture et établir le texte ayant le plus d’autorité ne contredit en rien la compréhension orthodoxe de l’Écriture sainte. Les éditions critiques des textes bibliques ne sont pas moins précieuses pour un chrétien orthodoxe qu’elles ne le sont pour un catholique, un protestant ou un chercheur profane.

En revanche, cela ne veut pas dire qu’il ne faille pas aborder l’exégèse biblique elle-même avec un esprit critique, de façon sélective, en rejetant les diverses conclusions et spéculations fondées uniquement sur des hypothèses idéologiques.

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Saint Philarète, Métropolite de Moscou, source: foma.ru

Au 19e siècle, saint Philarète de Moscou jugeait nécessaire d’aborder le texte de l’Écriture sainte de manière critique, et la traduction russe de la Bible effectuée sous sa direction tenait compte des résultats de la critique biblique de l’époque. Cependant, saint Philarète n’appréhendait nullement la critique biblique sans discernement: il travaillait de manière assidue sur les sources, et recourait à la littérature secondaire uniquement si son travail sur les textes l’exigeait.

Une vision stéréoscopique de Jésus-Christ

Le lecteur moderne de l’Évangile doit également se familiariser avec les résultats de la science biblique, afin de ne pas se perdre dans l’infinie diversité des interprétations existantes, dont certaines sont erronées, sectaires ou hérétiques.

En 1944, Anton Kartachev, historien de renom, éminent professeur de l’Institut de théologie Saint-Serge de Paris, et anciennement ministre des affaires religieuses du Gouvernement provisoire russe de 1917, écrivait à ce sujet:

«Le tournant marqué dans le cas présent par la science biblique représente un événement majeur dans l’histoire de la vie spirituelle de l’humanité (…). Dans la croisade missionnaire que l’Église russe aura immanquablement à mettre en œuvre à travers notre vaste patrie, elle ne saurait se contenter des moyens obsolètes provenant de l’arsenal de notre théologie attardée. Afin de frapper l’ennemi sur toutes ses positions en apparence avancées et scientifiques, nous devons nous-mêmes savoir manier l’arme de la technique scientifique nouvelle. Mais pour cela, il faut d’abord la pénétrer, l’assimiler et la transfigurer de façon créative, dans le giron de la théologie et de la vérité de l’Église. »

Anton Kartachev
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Anton Kartachev, source: wikipedia.org

Le chercheur orthodoxe qui explore aujourd’hui le Nouveau Testament ne peut méconnaître les résultats de la critique biblique, et nous nous y référerons constamment dans notre étude sur la vie et l’enseignement de Jésus. Toutefois, nous les aborderons avec un esprit critique, en infirmant ce qui nous semble ne pas correspondre à l’image de Jésus telle qu’elle se dégage lorsqu’on examine l’histoire évangélique, avec un regard impartial.

Par ailleurs, nous nous tournerons souvent vers la tradition du commentaire religieux de l’Évangile en recourant, si nécessaire, au vaste corpus des œuvres patristiques (à partir du 2e siècle), ainsi qu’aux travaux des théologiens contemporains.

Cela nous permettra d’obtenir une vision stéréoscopique de la personnalité aux multiples facettes de Jésus, et une interprétation à plusieurs niveaux de son enseignement.

Cet article fait partie de la série basée sur les six volumes de “Jésus-Christ. Vie et Enseignement” par le métropolite Hilarion Alfeyev, disponible tous les vendredis sur cette page. Pour obtenir votre exemplaire du premier volume, “Début de l’Évangile”, visitez le site des Éditions des Syrtes.

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