Nous poursuivons notre exploration du Discours de mission de Jésus aux apôtres, rapporté dans l’Évangile de Matthieu. Après avoir examiné les thèmes de la gratuité et de la simplicité, nous abordons ici une autre dimension essentielle de l’envoi en mission : l’annonce de la paix. Jésus donne à Ses disciples des conseils pratiques qui soulignent l’importance du libre choix de l’homme face à la prédication du Royaume de Dieu. À travers ces instructions, se dessine une vision de la mission apostolique comme une invitation à la paix divine, reçue ou refusée librement.
Le salut de paix en mission
Jésus poursuit Ses instructions en disant aux disciples :
Dans quelque ville ou village que vous entriez, informez-vous s’il s’y trouve quelque homme digne de vous recevoir ; et demeurez chez lui jusqu’à ce que vous partiez. En entrant dans la maison, saluez-la ; et, si la maison en est digne, que votre paix vienne sur elle ; mais si elle n’en est pas digne, que votre paix retourne à vous. Lorsqu’on ne vous recevra pas et qu’on n’écoutera pas vos paroles, sortez de cette maison ou de cette ville et secouez la poussière de vos pieds. Je vous le dis en vérité : au jour du jugement, le pays de Sodome et de Gomorrhe sera traité moins rigoureusement que cette ville-là.
Mt 10:11-15
L’expression « que la paix vienne sur cette maison » était une salutation courante au temps de Jésus, comme en témoignent de nombreuses références dans l’Ancien Testament (Ju 6:23 ; 1 Sa 20:21 ; 1 Ch 12:18 ; Ps 121:8 ; Da 10:19).
Le concept de « paix », en hébreu shalôm (שָׁלוֹם), demeure jusqu’à aujourd’hui la formule de salutation la plus répandue dans la langue hébraïque. Ce terme possède une signification profonde, allant au-delà de la simple absence de conflit. Il désigne un état de complétude et de bien-être, comme le souligne l’Ancien Testament :
Le Seigneur bénira Son peuple par la paix.
Ps 29:11
Cette formule était adressée à toute la famille qui vivait sous un même toit. Dieu Lui-même est la source de cette paix, qui englobe l’harmonie avec soi-même, avec les autres, et avec Dieu. La bénédiction apostolique, exprimée par cette salutation, invite les familles à entrer dans cet ordre de paix divine.
Selon saint Jérôme, cette salutation de paix s’exprime dans différentes langues :
« Il a employé en termes voilés la salutation de l’hébreu et du syrien. Le grec dit ‘réjouis-toi’, le latin ‘salut’, l’hébreu et le syrien ‘Shalom lach’ ou ‘Salam lach’, c’est-à-dire : la paix avec toi. »
Saint Jérôme, Commentaire sur l’Évangile de saint Matthieu
Toutefois, lorsque cette paix est refusée, elle retourne aux apôtres, ce qui reflète la responsabilité de chaque individu à accueillir ou à rejeter la parole de Dieu. Si les habitants d’une maison ou d’une ville rejettent la mission des apôtres, Jésus leur ordonne de « secouer la poussière de leurs pieds », geste symbolique qui exprime le rejet et la rupture complète. Ce geste est mentionné dans l’Ancien Testament (Ex 52:2) et est utilisé ici par Jésus pour afficher le désaccord des disciples avec ceux qui rejettent l’Évangile.
L’évangéliste Matthieu souligne la gravité du refus en rappelant le sort de Sodome et Gomorrhe, villes détruites en raison de leur impiété. Jésus affirme que celles-ci seront jugées avec plus d’indulgence que les villes ayant rejeté le message du Royaume de Dieu.
Ce jugement eschatologique est mentionné dans d’autres passages des Évangiles (Mt 11:22, 24 ; Mc 6:11) et met en lumière l’importance de l’accueil ou du rejet de l’Évangile dans la destinée ultime de chacun. L’apôtre Pierre rappelle cette dimension du jugement dernier :
Les cieux et la terre sont gardés et réservés pour le feu, pour le jour du jugement et de la ruine des hommes impies.
2 P 3:7
La mission apostolique porte donc une dimension eschatologique : le rejet de l’Évangile a des conséquences qui dépassent le simple refus humain, car il engage l’âme dans une perspective de salut ou de perdition.
L’envoi des apôtres par Jésus avec la bénédiction de paix met en avant la liberté de l’homme face à la proclamation du Royaume de Dieu. Chacun est invité à accueillir cette paix divine qui apporte plénitude et réconciliation, mais aussi à prendre conscience de la responsabilité que représente ce choix. La paix annoncée n’est pas une simple tranquillité extérieure, mais une invitation à entrer dans l’ordre divin, un avant-goût du Royaume des Cieux.
Cet article fait partie de la série basée sur les six volumes de Jésus-Christ. Vie et Enseignement par le métropolite Hilarion Alfeyev. Retrouvez-nous chaque vendredi pour une nouvelle réflexion, ou procurez-vous le premier volume sur le site des Éditions des Syrtes.