Le 28 septembre 2024, dans le petit village de Chavenon, dans l’Allier, 200 personnes, clergé et fidèles orthodoxes, habitants de la commune, représentants du culte catholique et de l’État, ont participé à cette fête grandiose. La nouvelle église consacrée témoigne du patrimoine spirituel orthodoxe et révèle un programme de fresques unique dédié aux Pères du désert.
« La consécration de cette nouvelle église est un événement exceptionnel. A partir d’aujourd’hui, ce lieu saint fait partie de la vie de notre diocèse. Il nous faut prier et le sauvegarder. Réjouissons-nous et rendons grâce à Dieu et à tous ceux qui nous ont aidés ». Dans son homélie, prononcée de sa voix douce et inspirée, Monseigneur Nestor (Sirotenko), métropolite de Chersonèse et d’Europe occidentale, exarque du patriarche de Moscou en Europe occidentale, s’est réjoui de la solennité de la fête devant 200 personnes venues participer ou assister à la consécration de cette nouvelle église orthodoxe dans le lieu-dit « Saint-Hubert », à Chavenon, une commune de 150 habitants dans l’Allier (Auvergne). Cette consécration est l’aboutissement du projet de podvorié (dépendance) du monastère féminin de l’Icône de la Mère de Dieu Znaménié (du Signe) dans le Cantal – un projet mené pendant 18 ans par l’archimandrite Barsanuphe (Ferrier) (1935-2018) assisté de l’higoumène Anastasie (Jomard). Un nombre important de prêtres, hiéromoines, diacres, sous-diacres, moniales, de représentants de l’Église catholique et de l’État, de fidèles orthodoxes et d’habitants du village étaient présents.
La naissance d’une nouvelle église
« J’ai vraiment cru que c’était le ciel sur la terre ! », s’exclame une fidèle, au sortir de l’office. « C’est une grande joie pour nous de savoir qu’à l’avenir nous allons prier dans cette magnifique église », ajoute une autre orthodoxe, venue avec sa fille. Le rite de la consécration du nouvel autel, la naissance d’une église, rappelle celui du saint baptême. Les portes royales étant fermées, l’évêque, assisté de quatre des prêtres, tous revêtus d’un tablier blanc, a invoqué la grâce et la venue de l’Esprit Saint pour sanctifier l’autel. Selon le typikon, ils ont versé le céromastic [1]sur les quatre colonnes de l’autel, puis érigé le plateau de celui-ci et l’ont fixé avec quatre clous et quatre pierres. Ensuite, ils ont lavé l’autel avec de l’eau bénie, puis réalisé son ablution avec un mélange de vin rouge et d’eau de rose. Enfin, ils l’ont oint du saint chrême, l’ont habillé, et y ont déposé l’antimension, le saint Évangile et la précieuse croix. Pendant ce temps, le chœur d’hommes dirigé par le hiérodiacre Denis (Volkov) chantait des tropaires et des psaumes.
Après l’encensement, l’aspersion et la bénédiction de l’église, Monseigneur Nestor a ouvert la procession autour de l’église en portant au-dessus de sa tête les reliques des saints martyrs, suivi du clergé et des fidèles. L’église étant située dans le bocage bourbonnais, le hiérarque a apporté des reliques, notamment celles d’un saint local, saint Bénigne de Dijon (IIe siècle), martyr gallo-romain et disciple de saint Polycarpe de Smyrne. Selon le rite, il a déposé ces reliques dans un coffret qu’il a placé au sein de l’autel, pour rappeler le témoignage des martyrs de l’Église du Christ.
La dédicace, un choix très personnel de Monseigneur Nestor
« Dans notre époque, nous avons besoin des moines qui témoignent d’une forme de sacrifice que le monde est encore capable de livrer. Comme tous les lieux monastiques, ce lieu est fragile mais vital », a insisté l’Exarque, vêtu, comme le clergé, d’ornements verts, la couleur des saints moines.
C’est « tout naturellement » que Monseigneur Nestor a choisi de dédicacer ce nouvel autel du podvorié à saint Barsanuphe appelé « le Grand Starets » et saint Jean dit « Le Prophète », célèbres startsi, pères spirituels de Palestine au VIe siècle. « Quand j’étais très jeune, j’ai lu la correspondance de ces saints pères ascètes du désert avec leurs enfants spirituels et j’ai été très frappé par les réponses de Saint Barsanuphe le Grand et Saint Jean. C’est pour moi l’un des joyaux de la littérature ascétique que je lis toujours aujourd’hui. Ces lettres qui ont été sauvegardées constituent un héritage du cœur de la spiritualité orthodoxe et sont toujours d’une grande actualité. Ces écrits ne sont pas réservés aux moines et peuvent aider spirituellement tout le monde, que l’on soit jeune, en famille, ou âgé », a confié Monseigneur Nestor. Avant de préciser, sous forme d’hommage : « cette dédicace est aussi la commémoration du Père Barsanuphe, fondateur de ce lieu, qui est invisiblement présent aujourd’hui ; Lui qui a tellement fait et créé pendant sa vie, qui a construit plusieurs églises lui-même. Ce moine était un homme exceptionnel, de droiture et de foi. Nous recevons son héritage et restons dans la direction qu’il a tracée pour ce lieu ».
Une immersion d’envergure auprès des saints ascètes du désert
Cette direction, l’archimandrite Barsanuphe, dont le saint patron est saint Barsanuphe de Gaza, l’a tracée en 2006, après que le monastère de l’Icône de la Mère de Dieu Znaménié a reçu en legs cette maison de maître située à Chavenon. « A l’époque, le monastère Znaménié était entouré de dizaines de Géorgiens en situation d’exil, dans des conditions très difficiles mais à la recherche de sources d’énergie spirituelle. Père Barsanuphe a pensé que ces nouveaux immigrés pourraient être accueillis dans ce lieu à vocation spirituelle, y travailler à la gloire de Dieu et être aidés spirituellement », raconte Mère Anastasie. Avec persévérance, avec l’aide de Dieu, de son père spirituel, de Monseigneur Nestor, des moniales du monastère, des Géorgiens, le soutien du maire et des habitants, elle a surmonté les difficultés rencontrées pour mettre en œuvre ce projet initié en 2006.
C’est l’archimandrite Barsanuphe qui a conçu l’architecture russo-byzantine de l’église avec des proportions des églises russes des XIIe et XIIIe siècles. C’est lui également qui a dessiné le programme de fresques sur les saints Pères et Mères du désert qui déploie la dédicace choisie par le Métropolite Nestor. Et révélation il y a. En pénétrant dans cette église d’un blanc immaculé, haute de 28 mètres, coiffée d’un bulbe en cuivre surmonté d’une croix, on est saisi par la beauté majestueuse des fresques. Dans la nef, sur les quatre murs, sur fond jaune, de part et d’autre du Saint Prophète Elie, une frise de trente saints Pères et Mères du désert représentés à une échelle plus qu’humaine. Statures hiératiques, visages impassibles, douceur des regards, force intérieure de ces grands chercheurs de Dieu qui ont incarné les vertus évangéliques et devant lesquels nous prions et venons chercher paix et secours. Aux côtés de Saints Barsanuphe et Jean de Gaza, on découvre notamment Abba Dorothée, Saint Macaire le Grand, Abba Agathon, Saint Sabas, Saint Isidore de Péluse, Saint Arsène le Grand, Saint Nil du Sinaï, Saint Ephrem le Syrien, Sainte Synclétique, Sainte Kira, Sainte Thaïs.
Au-dessus des saints moines et moniales, des fresques sur fond bleu, encore plus monumentales, constituent une véritable catéchèse. Sur le mur nord, de part et d’autre de l’Échelle de saint Jean Climaque, figurent saint Guérasime avec le lion, et saint Sisoès se lamentant devant le tombeau d’Alexandre le Grand sur la vanité de la gloire terrestre. Sur le mur sud sont notamment représentés saint Antoine Le Grand et saint Paul de Thèbes, saint Onuphre le Grand, et saint Pacôme rencontrant l’ange. Sur le mur est, les stylites saint Siméon et saint Daniel entourent saint Jean le Précurseur. Sur le mur ouest, la Mère de Dieu trône sur le Mont Athos et saint Zosime donne la communion à sainte Marie l’Égyptienne. Sur les voûtes sont peintes des fresques sur le thème de la manifestation de Dieu, Un en trois Personnes : la Sainte Trinité, la Nativité du Christ, le Baptême du Christ et la Transfiguration. La coupole est ornée d’une croix géorgienne.
Cet ensemble de fresques d’une grande valeur artistique est l’œuvre de l’iconographe russe Alexandre Alexandrovitch Belachov et de l’atelier iconographique des Sœurs du monastère, réalisée ces cinq dernières années. Alexandre, issu d’une famille d’artistes célèbres en Russie, a peint de nombreuses églises, a accepté avec une grande simplicité de venir travailler en France dans le podvorié.
Un esprit d’ouverture
« Ce projet de construction d’une église orthodoxe a été très bien accueilli par le village. Depuis des années, nous avons noué d’excellentes relations avec le Maire, la Préfecture et les habitants. Les villageois apprécient beaucoup Alexandre, un homme très ouvert. Certains l’ont même vu à l’oeuvre, travaillant sur l’échafaudage », témoigne Mère Anastasie. L’iconographea noué une grande amitié avec l’Higouménia et est proche de la communauté des Sœurs et des fidèles du monastère Znaménié.
Ce 28 septembre, après la consécration de la nouvelle église, Monseigneur Nestor a procédé à la tonsure hypodiaconale de Ioann (Gibert), lecteur et marguillier de la paroisse de Clermont-Ferrand.
Le Métropolite a ensuite présidé la Divine Liturgie pontificale assisté d’un nombre important de clercs, dans un « esprit de synaxe », comme il l’a précisé : l’archiprêtre Nicolas (Rehbinder), recteur de l’église cathédrale des Trois-Saints-Hiérarques à Paris ; le prêtre Ioann (Dimitrov), recteur de la paroisse des Nouveaux-Martyrs et Confesseurs de l’église russe à Vanves, desservant les communautés monastiques de Marcenat et Grassac, qui a été chargé par le métropolite d’organiser et de coordonner toute la cérémonie de la consécration ; le hiéromoine Amphiloque (Besson), Higoumène de la Fraternité monastique Saint-Michel-Archange à Lissac (Auvergne) et le hiéromoine Maxime (Morice) de la même communauté ; le prêtre Éric (Prat), recteur de l’église du Christ Sauveur à Vichy (tous les trois de l’Archevêché des églises orthodoxes de tradition russe); le prêtre Marc (Andronikof), de l’église des Trois-Saints-Hiérarques à Paris ; les clercs de la cathédrale de la Sainte-Trinité à Paris : le prêtre Daniel (Naberejny), le hiéromoine Irénée (Gribov), le diacre Roman (Onica) et les hypodiacres Kyrille et Herman. La beauté des chants en slavon et en français a contribué à l’esprit de paix, de prière et de joie spirituelle de la fête.
Dans l’assemblée était également présents le Père Gilles (Zuang), recteur de la paroisse de Saint-Marien à Montluçon et le Père diacre Jérémy de l’église du Christ Sauveur à Vichy. Les évêques catholiques romains de Clermont-Ferrand et de Moulins, invités à cet événement solennel, étaient pour le premier excusé, pour le second, représenté par Roger Delaunay, délégué à l’œcuménisme. Jean-Marc Giraud, le sous-préfet de Montluçon représentait Madame Pascale Trimbach, préfet de l’Allier. Claude Riboulet, Président du Conseil départemental de l’Allier était aussi présent. François Tarian, Maire de la commune de Chavenon, était venu avec nombre de ses concitoyens, tous sympathisants de ce lieu monastique, ainsi qu’avec d’autres maires des environs.
A la fin de l’office, Monseigneur Nestor a chaleureusement félicité et remercié Mère Anastasie et évoqué leur relation de « de confiance réciproque ». Il a souhaité que « Dieu lui donne encore des forces d’inspiration et de joie d’être au service de l’église, au service des fidèles, et au service des sœurs ». L’Higouménia du monastère lui a offert une icône de saint Barsanuphe le Grand, peinte par l’atelier des Sœurs.
Après la Liturgie, les quelque deux cents personnes ont partagé des agapes fraternelles dans la salle polyvalente de Chavenon mise à disposition par Monsieur le Maire qui s’est réjoui de la « la chaleur humaine vécue dans la commune grâce à ce projet ». Après un magnifique concert de chant en slavon proposé par le chœur dirigé par le hiérodiacre Denis, les participants ont dégusté le buffet traiteur préparé par Alona, une fidèle géorgienne du monastère et quelques autres femmes géorgiennes.
Consécration d’une nouvelle église, commémoration du Père fondateur, révélation du patrimoine spirituel de la tradition orthodoxe… Gageons que l’église consacrée aux saints Barsanuphe et Jean de Gaza sera l’un des trésors du patrimoine bourbonnais.
Raïssa Charmois, le 30 septembre 2024
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[1] Le terme « céromastic » est formé à partir du latin « cera » (cire) et « mastic », une résine naturelle utilisée dans la fabrication de divers produits. Dans le rite orthodoxe de la consécration d’une église, la « céromastic » (ou kèromastique en grec) joue un rôle particulier et symbolique. Ce matériau est utilisé pour sceller les reliques des saints dans l’autel de l’église. Ce matériau assure non seulement la protection physique des reliques, mais symbolise également l’inviolabilité de l’autel et la permanence de la présence divine dans l’église.