Une décision de la cour d’appel égyptienne menace l’existence du monastère Sainte-Catherine du Sinaï, le plus ancien monastère chrétien en fonctionnement au monde. Fondé au VIe siècle par l’empereur byzantin Justinien, ce joyau du patrimoine mondial orthodoxe fait face à une confiscation de ses biens par l’État égyptien et à l’expulsion possible de ses moines.
L’histoire de cette crise remonte aux actions des Frères musulmans, qui avaient initié une série d’attaques juridiques contre le monastère. « L’histoire qui commença par l’animosité des Frères musulmans semble avoir ouvert la boîte de Pandore », analyse Maria Giachnaki dans son reportage pour ope.gr. Ces pressions judiciaires, entamées à l’époque où les Frères musulmans étaient au pouvoir, visaient à contester la propriété du monastère et de ses domaines au profit de l’État égyptien.
La décision rendue par la cour d’appel égyptienne transforme radicalement le statut du monastère. « Désormais la propriété du monastère et de tous ses éléments patrimoniaux passe à l’État égyptien », rapporte le site orthodoxia.info. Les moines « sont appelés à abandonner des immeubles spécifiques où l’accès ne leur est plus permis et ils demeurent au monastère pour l’accomplissement de leurs besoins religieux tant que le propriétaire, c’est-à-dire l’État égyptien, le leur permet ». La décision reconnaît les moines « comme de simples locataires qui demeurent là seulement pour accomplir leurs obligations cultuelles et tout le reste appartient à l’État égyptien et est géré par la Société archéologique », précise le père Porphyre, représentant de l’archevêque du Sinaï.
Selon des sources bien informées citées par ope.gr, « la cause fondamentale de ce qui arrive est l’exécution d’un grand projet touristique dans la région du monastère du Sinaï, qui domine là depuis le VIe siècle après J.-C., qui trouve des obstacles dans la présence chrétienne ». L’objectif serait « l’exploitation touristique du monastère et sa transformation en musée », comme l’explique un moine interrogé : « Ils nous présentent que nous sommes des invités dans notre propre maison ».
Face à cette crise, le gouvernement grec s’est mobilisé au plus haut niveau. Le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis « porta la question au plus haut niveau, demandant à chaque occasion au président Sissi d’intervenir en faveur des moines ». Lors de la visite officielle du président égyptien Abdel Fattah al-Sissi à Athènes en mai dernier, les deux dirigeants avaient trouvé un accord. Mitsotakis avait alors déclaré : « Je veux vous remercier particulièrement pour votre intérêt personnel — je le souligne, votre intérêt personnel — que vous avez manifesté pour la protection du monastère et de son caractère gréco-orthodoxe ». Les négociations menées en décembre entre le secrétaire général aux Cultes du ministère grec de l’Éducation, Georges Kalantzi, et le gouverneur du Sinaï du Sud, Khalid Moubarak, avaient abouti à « un projet d’accord » accepté par les pères du monastère. Cependant, « cinq fois par la faute de l’Égypte la signature de l’accord » fut reportée, selon ope.gr.
Le porte-parole du gouvernement grec, Pavlos Marinakis, a réaffirmé que Kyriakos Mitsotakis « reste fidèle à l’engagement qu’il a reçu publiquement et en privé du président d’Égypte lors du conseil suprême de coopération des deux pays à Athènes pour le maintien du caractère cultuel gréco-orthodoxe du monastère et attend immédiatement la signature de l’accord correspondant ». L’archevêque d’Athènes et de toute la Grèce, Mgr Jérôme, a exprimé sa « tristesse immense et une colère légitime », qualifiant la décision de « scandaleuse » et de « violation brutale des libertés humaines et particulièrement religieuses ». Il a lancé un appel pressant : « Je condamne sans réserve toute tentative de changement du régime qui s’applique depuis 15 siècles dans la région en question et j’adresse un appel au gouvernement grec responsable et personnellement au Premier ministre Kyriakos Mitsotakis d’agir immédiatement comme il convient ».
Les autorités égyptiennes tentent de justifier leur décision. Le Dr Abdel Rahim Rihan, archéologue et membre de la Commission d’histoire et d’antiquités du Conseil suprême de la culture d’Égypte, a déclaré : « Nous considérons cette décision historique au bénéfice du patrimoine mondial et pour les moines du monastère Sainte-Catherine, car elle garantit leur droit de bénéficier du monastère et des espaces religieux et archéologiques de la région ».
Les moines vivent dans l’incertitude. Le moine Michel, qui « vit au Sinaï depuis 30 ans », explique que « la décision nous reconnaît l’usufruit et nous pouvons cultiver les domaines et demeurer au monastère », tout en admettant : « Nous n’avons pas vu la décision mais elle nous fut annoncée par nos avocats ». L’archevêque du Sinaï, Mgr Damien, « se trouve en Égypte et son rôle est crucial puisqu’il est le seul qui a le droit de séjour permanent dans le pays ». Les autres moines « demeurent là avec des visas qui vont de neuf mois à un an » et « risquent d’être expulsés » si aucune solution n’est trouvée. Un moine confie à ope.gr : « Les choses ne sont pas simples, elles sont très difficiles. Elles sont limites pour nous ici ». Face à cette situation, les moines préparent une mobilisation internationale : « Nous irons jusqu’en Amérique pour parler avec les gouvernants là-bas. Nous mobiliserons tout le monde. Les États orthodoxes et les autres États européens ».
Cette crise dépasse le cadre strictement religieux. Comme le souligne une source diplomatique citée par ope.gr : « La question est maintenant combien les Égyptiens comprirent que la question est une ligne rouge pour la Grèce ». L’affaire met à l’épreuve les relations bilatérales entre deux pays alliés et pose la question du respect des minorités religieuses en Égypte. Le père Porphyre résume l’ampleur du problème : « Où que tu t’adresses à l’étranger, il est impensable de croire qu’un établissement du VIe siècle n’a pas de patrimoine immobilier, ils te diront que tu es fou ».
La situation juridique n’est pas définitivement close, puisqu’« il existe la possibilité de recours à la Cour de cassation correspondante d’Égypte », mais « les choses selon les estimations ne sont pas très optimistes ». Une source diplomatique avertit : « Si le gouvernement grec n’exige pas que le compromis à l’amiable soit fait et signé, comme il a été convenu, cela sera une défaite nationale, religieuse et mondiale ». L’archevêque Jérôme conclut de manière dramatique : « Je ne veux pas et ne peux pas croire, enfin, qu’aujourd’hui l’Hellénisme et l’Orthodoxie vivent encore une « prise » historique. Cela, nous ne pouvons pas le permettre ». Cette crise du monastère Sainte-Catherine illustre les tensions contemporaines autour du patrimoine religieux au Moyen-Orient et teste la capacité des diplomaties grecque et égyptienne à préserver un héritage commun vieux de quinze siècles.