Dumitru Stăniloae, Théologie dogmatique orthodoxe 1, éditions du Cerf – éditions Apostolia, 486 pages, 29 euros.
Le père Dumitru Stăniloae (1903-1993) est « sans aucun doute le plus grand théologien roumain » a écrit le patriarche Daniel de Roumanie (préface à Théologie ascétique et mystique de l’Église orthodoxe, Cerf, 2011). Théologien, enseignant, auteur d’une œuvre considérable, dont une traduction roumaine de la Philocalie en douze volumes, il fut emprisonné de 1958 à 1963 par le régime communiste. Il a été canonisé par l’Église orthodoxe roumaine en juillet dernier et le jour de sa fête a été fixé au 4 octobre. Plusieurs de ses ouvrages ont été traduits en français, en plus de celui cité ci-dessus, notamment Spiritualité et communion dans la liturgie orthodoxe (Artège-Lethielleux, 2017), Prière de Jésus et expérience du Saint Esprit (Desclée de Brouwer, 1991), Le génie de l’orthodoxie (Desclée de Brouwer, 1986), Dieu est amour (Labor et Fides, 1980).
En ce qui concerne ce nouvel ouvrage, traduit pour la première fois du roumain en français par le regretté père Jean Boboc, le père Marc-Antoine Costa de Beauregard, dans son avant-propos, n’hésite pas à dire qu’il s’agit d’un « monument de la culture, non seulement roumaine, mais universelle ». Il souligne également : « La théologie de saint Dumitru le Confesseur est une théologie du ressenti, une théologie existentielle, en fait une « théologie mystique », suivant l’expression utilisée pour la démarche patristique de la connaissance. » Pour sa part, l’éditeur, dans sa présentation, assure également avec raison qu’il s’agit d’une « théologie de l’amour » C’est le premier tome d’un ensemble qui en compte trois. Il est divisé en deux grandes parties. La première aborde l’enseignement chrétien orthodoxe sur Dieu et la « sainte Trinité, structure suprême de l’amour », la seconde « Le monde, œuvre de l’amour de Dieu, appelé à la déification ». La deuxième partie approfondit la création du monde visible et celle du monde invisible, en se penchant entre autres sur les anges, avant d’examiner « La chute des premiers parents et ses conséquences ».
Les textes de la Théologie dogmatique proviennent, pour la plupart, de cours professés par le père Dumitru. Si le volume est considérable, des centaines de pages, l’écriture est limpide et ne présente aucune difficulté rendant ainsi l’enseignement accessible et profitable à tous. Toutefois, il demande une lecture lente et attentive pour en retirer au moins une partie de son inépuisable richesse.
S’il est difficile de rendre compte de l’ensemble de ce puissant et vaste fleuve qu’est l’œuvre du père Dumitru, dont l’ouvrage en question, il est néanmoins possible d’en donner à « goûter » quelques extraits, qui prennent alors la forme d’aphorismes, pour en avoir une idée un peu plus précise. C’est certainement le meilleur des témoignages ! Toutefois, le choix est à la fois difficile, car toutes les pages pourraient être citées, et facile, tout passage mérite d’être cité ! En voici donc quelques-uns :
« Nous nous sommes efforcés dans cette synthèse, comme dans les études précédentes, de découvrir la signification spirituelle des enseignements dogmatiques. Nous avons cherché à mettre en évidence leur vérité dans sa correspondance aux besoins profonds de l’âme qui cherche son salut et avance sur son chemin en communion la plus positive avec ses semblables : c’est par cette communion qu’elle parvient à une certaine expérience de Dieu, en tant que communion suprême et source de toute communion. » (p. 17)
« Même au cours de la vie terrestre, le croyant peut avoir l’avant-goût de l’expérience de la communion lumineuse à Dieu, dans laquelle, loin de percevoir la moindre limite et d’avoir le sentiment d’une quelconque monotonie ou d’ennui, il se sent au contraire en permanence comme à un commencement. » (p.165)
« Dieu a créé les hommes et le monde pour l’éternité. Mais l’éternité se gagne par un élan vers lui, qui se réalise dans le temps. Le temps est ainsi le milieu par lequel le Dieu éternel conduit les créatures vers le repos dans son éternité. » (p. 177)
« La lumière qui irradie des saints est justement cette transparence de la communication avec Dieu et avec les semblables, celle de la participation à Dieu. » (p.255)
« L’amour présuppose toujours deux je qui s’aiment ou un je qui aime et un autre qui reçoit l’amour, ou dont celui qui aime sait qu’il est conscient de son amour. Et cela, dans une réciprocité. Mais en même temps l’amour unit les deux je en proportion de l’amour qu’il y a entre eux, sans les confondre, car ceci mettrait fin à l’amour. » (p.273)
« Le monde est offert par Dieu à l’homme et il est offert à Dieu par l’homme. » (p.323)
« La véritable communion se développe par une attention dirigée vers les autres et vers le monde en tant qu’œuvre de Dieu. C’est une attention associée au refrènement des passions qui ne sont qu’élans sans fin vers le fini, et à l’entraînement aux vertus qui culmine dans l’amour des personnes, de Dieu comme Personne, et donc Absolu véritable. Cela ouvre la voie vers la contemplation, à la fois sobre et enivrante, de la profondeur de nos semblables et des significations du monde. » (p.386)
« Dieu personnel, créateur et providentiel, se montre avec une évidence incontestable dans le miroir non troublé de l’âme et toutes les bonnes intentions de l’homme se rencontrent avec celles que Dieu suggère intérieurement. Le naturel et le surnaturel ne forment pas deux niveaux distincts de la vie et de la réalité, et ils sont mêlés en même temps dans un seul ordre de vie claire et bonne. » (p. 395)
« L’homme n’est pas seul même lorsqu’il lui semble être complètement seul. Au contraire, c’est justement lorsqu’il se rassemble davantage en lui-même depuis la dispersion de l’attention par toutes sortes de réalités ou de souvenirs des réalités extérieures, qu’il s’ouvre à l’influence de présences spirituelles. » (p. 422)
« Ce n’est que dans le bien qui irradie sur les personnes humaines depuis la Personne suprême que celles-ci se sentent soutenues dans leur élan pour réaliser le bien entre elles par une communion toujours plus intense. » (p. 462)
Un monument, en effet, de la foi et de l’intelligence d’un saint théologien pour la foi et l’intelligence de tous.
Christophe Levalois