Tatyana Mikhailovna Goricheva, philosophe chrétienne et dissidente soviétique, est décédée aujourd’hui à l’âge de 78 ans. Figure de la résistance intellectuelle et spirituelle en URSS, elle nous lègue une œuvre philosophique et humaniste précieuse.
Née le 12 août 1947 à Leningrad, elle étudie d’abord la traduction technique de l’allemand puis la philosophie à l’Université de Leningrad, se consacrant à la philosophie occidentale contemporaine (Schopenhauer, Dilthey, Scheler, Husserl, Heidegger). En 1974, son intérêt pour la philosophie allemande la conduisit à échanger avec Martin Heidegger, qui confia peu avant sa mort le bonheur que lui avait procuré cette correspondance.
À 26 ans, une expérience mystique lors de la prière du Notre Père la convertit au christianisme. Avec son mari, le poète Viktor Krivouline, elle fit de leur appartement du 37 rue Kurlyandskaya un foyer de la « seconde culture » soviétique, éditant la revue samizdat religieuse et philosophique 37 et organisant des séminaires hebdomadaires où se réunissait l’intelligentsia créative de Leningrad.
En 1979, elle cofonde avec Yulia Voznesenskaya, Natalia Malakhovskaya et Tatyana Mamonova le premier magazine féministe indépendant de l’Union soviétique, Femme et Russie, qui dépeignait sans concession la situation des femmes. Cette audace lui valut d’être expulsé d’URSS le 20 juillet 1980, jour d’ouverture des Jeux olympiques de Moscou, sous la menace d’une arrestation.
Son exil de huit ans en Occident fut une période d’intense activité intellectuelle. Après un séjour en Allemagne, elle étudia à l’Institut catholique Saint-Georges de Francfort, puis à l’Institut de théologie orthodoxe Saint-Serge à Paris, tout en donnant de nombreuses conférences dans le monde entier. Elle crée à Paris les éditions Beseda et la revue du même nom, qui publient des auteurs soviétiques interdits dans leur pays
Retournée en URSS en 1988, avec la perestroïka, elle n’a cessé de bâtir des ponts entre Orient et Occident, entre tradition orthodoxe et pensée contemporaine. Elle milita également, dans les dernières décennies, pour la cause animale et écologique, en tant que vice-présidente de la Société russo-française de protection des animaux.
Philosophe du dialogue et de la résistance spirituelle, Tatyana Goricheva fut le visage de la pensée libre dans un monde où penser librement était un acte de courage. Son travail, à la frontière de la philosophie, de la théologie et de l’action sociale, continue d’éclairer la compréhension d’un christianisme vivant au milieu des turbulences du XXe siècle et au-delà.