Tous les manuscrits du Nouveau Testament en langue grecque qui nous sont parvenus se répartissent en deux groupes, selon qu’ils sont écrits en onciale ou en minuscule.
L’écriture onciale ne contient que des lettres majuscules (elle tire son nom de l’once, petite pièce de monnaie dont la taille correspondait approximativement à une lettre). L’écriture minuscule ne contient que des minuscules.
Tous les manuscrits anciens du Nouveau Testament sont écrits en onciale; à partir du 9e siècle, les manuscrits écrits en minuscules commencent à prédominer.
Absence de ponctuation et d’espaces
Lorsqu’on écrivait, que ce soit en onciale ou en minuscule, on ne recourait pas aux nombreux procédés facilitant l’agencement du texte que nous utilisons aujourd’hui. On ne distinguait pas les lettres majuscules des minuscules: elles étaient toutes majuscules (dans l’onciale), ou toutes minuscules (dans la minuscule).
Le texte n’était pas divisé en paragraphes. La ponctuation n’existait quasiment pas: les phrases n’étaient pas séparées par des points, ni les parties de phrases par des virgules; il n’y avait pas de points d’interrogation ni d’exclamation, de guillemets ni d’autres formes d’organisation du texte qui nous sont familières. Qui plus est, le texte était écrit sans espaces entre les mots.
Un manuscrit ancien, c'est une suite ininterrompue de lettres, grandes ou petites. Les règles de césure n'existaient pas. De nombreux noms sacrés, ainsi que certains mots d'emploi fréquent, étaient écrits en abrégé.
Tout cela rendait difficile le déchiffrage d’un texte, et pouvait parfois conduire à des différences d’interprétation de certains passages de l’Écriture sainte et à l’apparition de variantes lorsqu’on recopiait le texte.
Développement de la lecture silencieuse
Les spécialistes expliquent l’apparition et la diffusion des manuscrits écrits en minuscules par le développement progressif, dans la tradition culturelle byzantine, de la lecture silencieuse.
Il convient de noter que, dans l’Antiquité, aussi bien chrétienne que classique, la lecture silencieuse n’était pas d’usage: les livres étaient lus uniquement à haute voix. Même seul, on lisait avec les lèvres, et non avec les yeux.
Rappelons-nous, à ce titre, ce récit extrait des Actes des apôtres:
Et voici, un Éthiopien, un eunuque (…) s’en retournait, assis sur son char, et lisait le prophète Ésaïe. L’Esprit dit à Philippe: Avance, et approche-toi de ce char. Philippe accourut, et entendit l’Éthiopien qui lisait le prophète Ésaïe. Il lui dit: Comprends-tu ce que tu lis?
Ac 8:27-30
Si l’eunuque, assis dans le char, avait lu le livre en silence, Philippe n’aurait pas entendu ce qu’il lisait.
On peut également se rappeler le récit des Confessions de saint Augustin (4e-5e siècles) où il raconte comment, en arrivant chez Ambroise de Milan, il trouvait ce dernier en train de lire en silence: cela surprenait chaque fois Augustin, mais il n’osait rien demander à son maître.
De manière générale, la culture livresque antique était foncièrement différente de celle à laquelle nous sommes habitués. Dans l’Antiquité, on avait une attitude révérencieuse, déférente, à l’égard de la parole écrite.
Aujourd’hui, lorsque nous prenons un journal, nous le parcourons en balayant des yeux des milliers, voire des dizaines de milliers de mots, sans souvent en approfondir le sens.
À l'époque où furent composées les Saintes Écritures, la parole écrite avait une grande valeur, pas seulement parce que la matière première pour écrire était coûteuse et le travail des copistes laborieux: de manière générale, il n'était pas d'usage d'écrire simplement pour exprimer sa pensée. Si l'on s'asseyait à une table, que l'on se munît d'un stylet, cela supposait qu'on avait à écrire quelque chose d'important, de significatif.
C’est pourquoi le rapport au livre était différent; c’est aussi pourquoi on ne lisait pas les livres en silence, mais seulement à haute voix, sans hâte, de manière réfléchie, avec déférence.
Cet article fait partie de la série basée sur les six volumes de « Jésus-Christ. Vie et Enseignement » par le métropolite Hilarion Alfeyev, disponible tous les vendredis sur cette page. Pour obtenir votre exemplaire du premier volume, « Début de l’Évangile », visitez le site des Éditions des Syrtes.