J’ai eu le privilège rare de rencontrer à deux reprises l’archevêque Anastase, cette figure colossale de l’Église orthodoxe, dont le départ vers la Lumière éternelle le 25 janvier 2025 m’a profondément ému. La première fois en avril 2024, c’était lors d’un repérage pour un documentaire consacré à sa vie ; la seconde, le 4 novembre 2024, jour de ses 95 ans, où nous l’avons longuement interviewé. Ces moments, gravés dans ma mémoire, m’ont révélé un homme à la fragilité touchante et à la grandeur insaisissable, un véritable aigle spirituel dont les ailes embrassaient le ciel entier.
Lors de notre dernière rencontre, son corps était marqué par la maladie, mais son esprit, d’une clarté prodigieuse, transcendait toute faiblesse. Assis face à lui, je percevais cette spiritualité authentique qui émanait de chaque mot, de chaque silence. Il m’a rappelé que l’Albanie, terre des aigles, portait en lui un symbole vivant : comme l’oiseau royal, il planait au-dessus des frontières, des langues et des divisions, porté par deux ailes puissantes.
La première de ces ailes était sa maîtrise de la théologie orthodoxe, une connaissance profonde, fruit d’une vie d’étude et de contemplation. Il en parlait non comme d’un savoir froid, mais comme d’un feu qui éclaire et réchauffe. La seconde, son engagement évangélique, s’enracinait dans les paroles du Christ à l’Ascension : « Allez, enseignez toutes les nations… » (Matthieu 28,19). Ce commandement, il l’a incarné jusqu’au bout, en Albanie comme en Afrique, bâtissant des églises, mais surtout des ponts entre les âmes.
Ce jour de son anniversaire, j’ai compris que sa force résidait précisément dans sa vulnérabilité. Comme saint Paul, il montrait que « quand je suis faible, c’est alors que je suis fort » (2 Corinthiens 12,10). Malgré la fatigue, son regard brillait d’une espérance inaltérable, et ses mains, souvent jointes pour la prière, semblaient bénir bien au-delà de la pièce où nous étions.
Il m’a confié, avec cette douce fermeté qui le caractérisait, que « la foi doit toujours se traduire en amour concret ». Cette phrase résume son combat : reconstruire une Église en Albanie meurtrie par des décennies d’athéisme d’État, oui, mais aussi nourrir les pauvres, dialoguer avec les musulmans, les catholiques, aimer sans calcul. Pour lui, chaque être était une nation à sanctifier, une étincelle à rallumer.
Aujourd’hui, alors qu’il a rejoint les hauteurs qu’il contemplait déjà, je repense à la manière dont il évoquait l’aigle : « Il ne craint pas les tempêtes, il s’en sert pour s’élever. » Mgr Anastase a traversé les tempêtes du siècle — guerres, régimes totalitaires, doutes — sans jamais ployer.
À ceux qui l’ont connu, à l’Albanie qu’il a tant chérie, et à tous ceux que son exemple touche, j’adresse mes condoléances fraternelles. Puissions-nous, comme lui, garder le regard fixé sur l’essentiel et les mains tendues vers l’autre. Le documentaire que nous avons réalisé pour présenter l’archevêque Anastase, sera diffusé le 16 février à 9h30 sur France 2. En attendant, vous pouvez voir un extrait ci-dessous :
Saint Anastase le Grand, prie pour nous !
Éternelle mémoire.
P. Jivko Panev