Cet article continue la série des textes basée sur les six volumes de “Jésus-Christ. Vie et Enseignement” par le métropolite Hilarion Alfeyev que vous trouverez tous les vendredis depuis cette page. Au fil de cette série, nous nous immergerons dans l’univers de la vie et des enseignements de Jésus-Christ, fidèlement conservés au sein de la religion chrétienne et notamment dans la tradition orthodoxe. Ensemble, nous entreprendrons un voyage de redécouverte de la personnalité de Jésus qui a une influence profonde sur notre monde et qui continue de le modeler à travers les âges.
Il existe encore de nos jours des auteurs qui nient obstinément l’historicité de Jésus. Leur argument principal reste, comme auparavant, l’absence supposée de preuves du séjour de Jésus sur terre. Je me limiterai à une citation célèbre tirée du livre d’un ancien pasteur baptiste américain, Robert Price, devenu aujourd’hui théologien athée: «Peut-être le Jésus historique a-t-il existé, mais nous ne le saurons jamais, à moins que quelqu’un ne retrouve son journal ou son squelette.»
Mais disposons-nous des journaux autographes d’Homère, de Platon, d’Aristote, d’Alexandre le Grand, ou de nombreuses autres figures historiques que nous connaissons grâce à des œuvres littéraires et dont personne ne remet en cause l’existence? Les ossements de ces personnages, ou des objets personnels de leur quotidien, ont-ils été conservés? Pourquoi, s’agissant de Jésus, faudrait-il appliquer de telles exigences?
«Peut-être le Jésus historique a-t-il existé, mais nous ne le saurons jamais, à moins que quelqu’un ne retrouve son journal ou son squelette.»
Robert Price
Ceux qui recherchent des preuves de cet ordre pour se convaincre de l’existence réelle de Jésus ne pourront pas les trouver. Il est impossible de découvrir ni les ossements de Jésus, car il est ressuscité, ni son journal, car, pour autant qu’on le sache, il n’a laissé aucun écrit de sa main. Nous sommes ici de nouveau confrontés au caractère paradoxal du christianisme.
Nous ne parlerons pas ici de la résurrection de Jésus, événement qui n’a pas eu de témoins directs et dont même ses disciples les plus proches ont douté (Mt 28:17). Mais pourquoi Jésus n’a-t-il pas pu laisser un document écrit, quel qu’il soit, confirmant qu’il avait réellement existé?
Au cours de son séjour parmi les hommes, Jésus, pourquoi n’a-t-il pas trouvé quelques jours ou quelques heures pour griffonner un écrit à transmettre aux générations, qui pourrait servir de preuve matérielle de son séjour sur cette terre?
La prédication orale de Jésus
On ne peut qu’imaginer l’extraordinaire dévotion avec laquelle les adeptes de Jésus vénéreraient tout petit fragment de papyrus sur lequel auraient été tracées ne serait-ce que quelques lettres de sa main. Cependant, il ne nous a laissé aucun fragment. N’a-t-il pas pu, ou n’a-t-il pas voulu?
Apparemment, il ne l’a pas voulu, puisqu’il n’utilisait qu’un seul moyen de communication: la prédication orale. De toute évidence, il a décidé de confier la tâche de transmettre sa prédication à ses disciples, qu’il avait choisis au tout début de son ministère. C’est à eux qu’il a destiné ses paroles les plus importantes, celles qu’il préférait que la foule n’entende pas; il leur parlait ouvertement, sans détour, alors qu’avec les autres, il parlait en paraboles (Mc 4:11; Lc 8:10).
Les disciples de Jésus nous ont transmis aussi bien ce qu’ils ont entendu de sa bouche lorsqu’ils étaient seuls avec lui, que les enseignements et paraboles qu’il a adressés au commun du peuple.
En même temps, la prédication orale comporte certains risques inévitables: les paroles du prédicateur peuvent être vite oubliées, incorrectement transmises ou faussement interprétées. Jésus a-t-il réussi à éviter ces risques? Dans quelle mesure ses disciples ont-ils transmis ce qu’ils ont entendu de sa bouche? Quelle est la crédibilité des récits consacrés à son œuvre ?
De la prédication orale aux sources écrites
Pour ce qui est de l’historicité de Jésus, les sources écrites, qui n’appartiennent certes pas à Jésus lui-même, mais à ses disciples les plus proches, en constituent la preuve principale et la plus objective. Sans conteste, aucun manuscrit de sa main, ni même de celle de ses disciples, c’est-à-dire des auteurs des Évangiles, ne nous est parvenu. Même lorsque, à l’évidence, l’auteur de l’Évangile a écrit le texte lui-même (comme c’est le cas pour l’Évangile de Luc, qui commence par une déclaration écrite adressée au destinataire), la probabilité que le manuscrit autographe se soit conservé pendant une si longue période est proche de zéro.
Il est fort vraisemblable qu’au moins certains des apôtres n’ont pas écrit eux-mêmes leur texte sur le papyrus, mais l’ont dicté à leurs disciples. Pierre, par exemple, termine ainsi sa Première épître : “Par Silvain, que je considère comme un frère digne de confiance, je vous écris ces quelques mots pour vous exhorter” (1 P 5:12). De toute évidence, Sylvain a écrit l’épître sous la dictée de Pierre.
«De nombreux auteurs de l’Antiquité ne prenaient pas la plume eux-mêmes: à cette époque, écrire était un art difficile que l’on confiait à des professionnels.»
Richard Bauckham
D’ailleurs, même s’il avait un secrétaire, l’auteur ne cessait d’être l’auteur et de se considérer comme tel.
La Tradition de l’Église a pérennisé ce mode de création d’un texte écrit dans l’iconographie de l’évangéliste Jean: l’apôtre y est représenté avec son disciple Prochore à qui il dicte le texte de l’Apocalypse.
Pourtant, Jean est un des auteurs du Nouveau Testament qui, très vraisemblablement, a écrit ses textes de sa propre main. En témoignent notamment les explicit de deux de ses épîtres: “J’ai bien des choses à vous écrire; je n’ai pas voulu le faire avec du papier et de l’encre, mais j’espère me rendre chez vous et vous parler de vive voix, pour que notre joie soit parfaite” (2 Jn 1:12, cf. aussi 3 Jn 1:13-14).
Quant à Paul, il termine certaines de ses épîtres par les mots suivants: “La salutation est de ma main à moi, Paul” (1 Cor. 16:21; cf. aussi Col 4:18; 2 Th 3:17). Cela peut indiquer que Paul écrivait lui-même tout le texte, ou bien qu’il avait lu et approuvé de cette façon le texte écrit par son secrétaire sous sa dictée.
L’historicité de Jésus à travers les sources écrites
Le seul moyen de reproduire des textes écrits, jusqu’à l’invention de l’imprimerie, était de les recopier à la main. C’est de cette façon que furent diffusés, durant de nombreux siècles, les poèmes d’Homère, les traités de Platon, d’Aristote et d’autres philosophes de la Grèce antique, des livres d’histoire et des œuvres de littérature; ainsi furent également conservés et reproduits les livres de l’Ancien Testament. Aucun manuscrit autographe écrit de la main d’Homère, de Socrate, de Platon, d’Aristote, de Moïse, du prophète Isaïe ou de quelques autres auteurs de l’Antiquité ne nous est parvenu. Est-ce là une raison pour douter de leur existence?
Qui plus est, nous connaissons certains d’entre eux uniquement parce qu’un auteur nous en a livré un portrait. Socrate, par exemple, n’a laissé aucun écrit, et tous ses propos nous sont parvenus dans les récits de Platon. Néanmoins, rares sont ceux qui doutent de l’historicité de Socrate, et plus rares encore ceux qui prétendraient que Platon est un personnage inventé.
Cependant, tandis que le nombre de manuscrits d’Homère qui nous sont parvenus ne dépasse pas les quelques centaines, et que dix siècles séparent les plus anciens de l’époque présumée de la vie du poète, on répertorie plus de cinq mille six cents manuscrits grecs du Nouveau Testament exploités par les chercheurs actuels. En outre, les plus anciens, datant du début du 1er siècle, quelques dizaines d’années seulement les séparent de l’époque des événements qui y sont décrits. Par exemple, le papyrus P52, contenant un fragment de l’Évangile de Jean, fut créé vers l’an 125.
Plusieurs dizaines de papyrus porteurs du texte évangélique remontent au 3e siècle, et des codices avec le texte complet du Nouveau Testament, au 4e siècle.
Par la quantité de manuscrits conservés, comme par la proximité dans le temps entre leur création et l’époque des événements qui y sont décrits, aucune autre œuvre de la littérature antique ne soutient la comparaison avec les Évangiles et les autres livres du Nouveau Testament.
Le nombre de manuscrits existants pourrait à lui seul être une preuve suffisante de l’historicité des personnages et des événements dont il est question dans leurs pages…
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