En date du 29 octobre, la mère higoumène du monastère de Pühtitsa (Estonie) a envoyé la lettre suivante, dont nous publions le texte in extenso, au ministre estonien de l’Intérieur, Lauri Läänemets. Le gouvernement estonien demande avec insistance au monastère, qui abrite une communauté de cent moniales et novices, de renoncer à son statut stavropégique, selon lequel la communauté dépend canoniquement du Patriarche de Moscou. Le ministre estonien de l’Intérieur, s’était déjà rendu le 24 avril 2024 au monastère pour formuler cette exigence, au titre de laquelle il avait demandé une réponse écrite.
« Monsieur le ministre Lauri Läänemets,
Par la présente, nous exposons notre position, liée à votre exigence insistante du retrait éventuel du monastère stavropégique de la Dormition de Pühtitsa de la juridiction du Patriarcat de Moscou avec renonciation au statut stavropégique du monastère. Conformément à l’accord conclu le 30 juillet 2024, nous avons pris l’engagement de fournir notre position écrite au plus tard à la fin du mois d’août 2024. Au mois d’août, nous avons déposé une requête visant à prolonger cette période jusqu’à la fin octobre 2024. Et nous vous sommes reconnaissants du fait que le ministère ait accueilli notre requête pour une affaire aussi importante pour nous. Ainsi, notre position est présentée selon les délais convenus.
Le monastère maintient son opinion précédemment exprimée, à savoir qu’il ne dispose pas des pouvoirs et droits de s’adresser indépendamment au patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie pour lui demander de lui ôter le statut stavropégique et lui accorder le transfert du monastère stavropégique féminin de la Dormition de Pühtitsa au sein du Patriarcat de Constantinople. Nous nous efforcerons ci-après d’expliquer le plus exactement possible notre position :
1. Nous considérons que pour comprendre notre position, il convient de comprendre les bases du choix spirituel qu’effectue toute personne entrant au monastère. En devenant moniale, la personne entre sur la voie de la vie monastique et devient membre de la confrérie spirituelle de ceux qui ont quitté le monde, tout ce qui est dans le monde, et ont suivi le Christ. Cette communauté spirituelle devient une école de service au Seigneur, dans laquelle l’homme, qui se connaît lui-même et connaît ses propres faiblesses, découvrira en lui la nécessité d’un repentir intérieur, croîtra dans ce perfectionnement spirituel, en raison duquel il est venu au monastère. C’est précisément vers ce but qu’est orienté tout le mode de vie monastique, dans lequel la prière incessante se conjugue avec une certaine mesure d’obédience de travail, c’est-à-dire du fardeau des travaux courants accomplis par les habitants du monastère. Le choix spirituel de la novice est la vie en Christ et la consécration de soi à Son service. Le mystère même du monachisme et les promesses données lors de la profession monastique au Seigneur Dieu (chasteté, obéissance, pauvreté), font qu’il est impossible aux habitantes du monastère de changer arbitrairement et de son propre chef le mode de leur vie. Partant de cela, dans le contexte de la question présente, l’attribution aux sœurs se trouvant dans l’obéissance du droit de l’expression de leur volonté dans le choix de juridiction, se trouve en contradiction directe tant avec le concept même du monachisme, que des promesses fondamentales effectuées quant au renoncement au monde. Le ministre Läänemets a confirmé, lors de la rencontre qui a eu lieu au monastère le 24 avril 2024, que l’État n’avait aucun reproche à adresser quant à l’activité du monastère. Dans ses explications, le représentant du ministère a mentionné à plusieurs reprises que la rhétorique du Patriarche Cyrille suscitait des craintes et incitait l’État à entreprendre des démarches décisives envers l’Église orthodoxe estonienne du Patriarcat de Moscou et envers le monastère. Mais, comme cela est écrit dans le livre de vie (Ez. 18,20) : « L’âme qui pèche, c’est celle qui mourra. Le fils ne portera pas l’iniquité de son père, et le père ne portera pas l’iniquité de son fils » ; « On ne fera point mourir les pères pour les enfants, et l’on ne fera point mourir les enfants pour les pères ; on fera mourir chacun pour son péché » (Dt, 24, 16).
Dans l’orthodoxie, le patriarche est avant tout un homme, un homme mortel, qui dispose d’un pouvoir défini, en quelque sorte un chef temporaire. Au niveau ecclésial, tous les évêques sont égaux dans leur rang, de même que les prêtres. L’office divin, qui est au centre de la vie de l’Église est toujours le même, que ce soit le patriarche qui y participe ou un évêque, d’un diocèse insignifiant selon les critères humains. L’Église orthodoxe n’attribue pas au Patriarche des pouvoirs particuliers comme c’est le cas du pape de Rome pour les catholiques, à savoir être le garant, le gardien de la vérité ecclésiale, qui ne fait pas d’erreur lorsqu’il se prononce ex-cathedra. Le patriarche peut faire erreur, et tout ce qu’il dit peut ne pas être la vérité. L’apôtre Paul, a mis en garde les presbytres d’Éphèse : « Prenez donc garde à vous-mêmes, et à tout le troupeau sur lequel le Saint-Esprit vous a établis évêques, pour paître l’Église du Seigneur, qu’il s’est acquise par son propre sang. Je sais qu’il s’introduira parmi vous, après mon départ, des loups cruels qui n’épargneront pas le troupeau, et qu’il s’élèvera du milieu de vous des hommes qui enseigneront des choses pernicieuses, pour entraîner les disciples après eux » (Ac 20, 28‐30). Ainsi, l’apôtre n’appelle pas à quitter l’Église, mais à ne pas croire certaines personnes qui entrent dans l’assemblée ecclésiale, mais avec des buts tout autres que le salut et le cheminement à la suite du Christ. « Car il s’élèvera de faux Christs et de faux prophètes ; ils feront de grands prodiges et des miracles, au point de séduire, s’il était possible, même les élus » (Mt 24, 24). Et si les hommes d’Église ne font pas l’œuvre de Dieu, leur action est inutile : « Si cette entreprise ou cette œuvre vient des hommes, elle se détruira; mais si elle vient de Dieu, vous ne pourrez la détruire. Ne courez pas le risque d’avoir combattu contre Dieu » (Ac 5, 38-39). En raison de l’abondance des sermons du patriarche, des articles écrits et prononcés lors de toutes les réunions, l’Église ne peut déterminer en une seule fois l’état intérieur de son âme comme « un prédateur détruisant l’Église ». Lui-même, à sa guise, participe à des réunions non ecclésiastiques, il dit beaucoup, il peut faire des erreurs ou être trompé. Le Patriarche, comme toutes les autres personnes de l’Église, n’est pas garanti contre les chutes. Toutefois, l’Église ne périt pas à cause de la chute de certaines personnes. Si le patriarche actuel accomplit des actes contraires à Dieu, ceux-ci seront vite détruits, et il cessera d’être membre de l’Église du Christ. Prenant en compte ce qui précède, l’Église prie non pas pour le patriarche comme tel, mais pour que le Seigneur Lui-même dirige son cœur, afin qu’Il ne se détache pas de Dieu dans sa vie intérieure, de la même façon que le monastère de Pühtitsa prie pour le pouvoir et l’armée de la République d’Estonie. Si le patriarche prend l’initiative du passage du monastère sous l’administration d’un autre Patriarche, ce sera pour le monastère un simple changement d’administration. Mais le monastère ne peut pas de lui-même écrire au Patriarche pour lui demander sa sortie de l’Église, dans la mesure où ce sera un acte de volonté propre de renonciation du monastère aux circonstances et devoirs que le Seigneur lui a fixées, ce sera une renonciation à la vie en Christ.
2. L’un des contre-arguments de notre position sont des renvois aux événements historiques du siècle passé lorsque, selon l’opinion des représentants du ministère, le monastère disposait déjà d’une pleine indépendance relativement à la question juridictionnelle. Or, l’histoire du monastère de Pühtitsa ne connaît pas d’exemples de changement juridictionnel non autorisé par le monastère et ses habitantes. Afin d’obtenir la confirmation de cette affirmation, le monastère s’est adressé au collaborateur du département de l’information du diocèse de Tallin, l’archiprêtre Igor Prekup. Ce choix n’est pas fortuit. Le père Igor Prekup est connu pour ses travaux scientifiques concernant l’histoire de l’Église orthodoxe estonienne. L’un de ses travaux est le livre «Õigeusu probleemid Eestis. Arhimandriit Grigorios D. Papathomase raamatust „Õnnetus olla väike kirik väikesel maal“» (Tallinn, 2013, ülempr. Nikolai Balašov, ülempr. Igor Prekup). Nous reproduisons ci-après des extraits de son analyse historique du 4.10.2024. Le texte entier est joint en annexe.
La communauté monastique de Pühtitsa a été instituée par décision du Saint-Synode de l’Église catholique-orthodoxe gréco-russe en 1891 [appellation de l’Église orthodoxe russe avant la révolution, ndt]. La communauté fut inaugurée solennellement la même année en la fête de la Dormition de la Mère de Dieu par le hiérarque diocésain de Riga, l’évêque Arsène (Briantsev). Peu à peu furent construites les églises du monastère et les autres bâtiments. Par décision du 19 août 1892, le Saint-Synode a élevé la communauté au rang de monastère féminin cénobitique.
Au début, le monastère se trouvait au sein du diocèse de Riga sur le territoire du vicariat de Revel. Le 30 mars 1917, la partie septentrionale de la province de Livonie a été rattachée à celle d’Estonie. Suite aux modifications administratives territoriales, s’en sont suivies les changements territoriaux ecclésiastiques : dans ces limites s’est élargi le vicariat de Revel, à la tête duquel a été placé l’évêque estonien, futur hiéromartyr Platon (Kulbusch), auquel fut confié provisoirement la direction de tout le diocèse de Riga. Après son assassinat par les bolcheviques le 14 janvier 1919, le conseil diocésain provisoire estonien administra la vie ecclésiale du vicariat de Revel et prit l’orientation ferme de la réception de l’autocéphalie. L’Administration ecclésiale suprême (présence unie du Saint-Synode et du Conseil ecclésial supérieur) du Patriarcat de Moscou est allé à la rencontre du désir des orthodoxes en Estonie, d’abord sur la base du vicariat de Revel, instituant le 19 novembre 1919 un diocèse indépendant estonien puis ensuite, le 10 mai 1920, en lui accordant un statut autonome en tant qu’Église orthodoxe estonienne. C’est ainsi qu’au cours de la période susmentionnée, le monastère de Pühtitsa s’est trouvé successivement dans le diocèse de Riga, ensuite dans le diocèse d’Estonie qui en a été détaché en 1919, lequel a été transformé en Église autonome, qui à cette époque figura non moins qu’une année dans les documents internes comme « Orthodoxe-Apostolique ». Comme on peut le comprendre de ce qui précède, depuis le moment de la création du monastère et jusqu’aux années vingt du siècle passé, la juridiction du monastère n’a pas changé sur l’initiative de ses moniales, mais dans le cadre de certains changements historiques qui ont eu une incidence sur tout le diocèse estonien. Étant donné que les changements administratifs se sont produits sur la base de la décision du Conseil diocésain estonien provisoire pour tous ceux qui se trouvaient sur le territoire du vicariat de Revel, le monastère a également adopté le changement de juridiction en tant que décision de la hiérarchie supérieure. A partir de 1923, la direction de l’Église apostolique orthodoxe d’Estonie avec, à sa tête, l’archevêque Alexandre (Paulus) s’est adressée au Patriarche Meletios de Constantinople pour lui demander l’octroi de l’autocéphalie. Le Patriarche ne la donna pas, mais reçut l’Église dans sa juridiction, reconnaissant le statut qui lui avait été précédemment accordé et justifiant la non-canonicité de ce passage (absence de congé canonique de la part de l’Église-Mère) par les désordres ecclésiastiques et politiques en Russie. Le 30 mars 1941, l’Église apostolique orthodoxe d’Estonie, et avec elle le monastère de Pühtitsa, revint dans le sein du Patriarcat de Moscou. Le changement de juridiction a été établi très simplement : « À l’occasion de l’entrée de l’Estonie dans l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques et du changement de la structure étatique, la nécessité a surgi de changer également l’organisation de l’Église orthodoxe d’Estonie et de rétablir la communion qui existait préalablement avec l’Église de Moscou ». Il est ensuite mentionné que « la question de la réunion avec l’Église de Moscou a été discutée au Synode et résolue positivement » (Appel du Synode de l’Église apostolique orthodoxe estonienne au Conseil diocésain de Narva du 25 septembre 1940, EIA 1655, OP. 2, D 2629). Et il n’y a aucune référence à la nécessité, ne serait-ce que pour la forme, de coordonner cette question avec le Patriarche de Constantinople (il est question du retour dans le sein de l’Église-Mère). Étant donné que Pühtitsa faisait partie du diocèse de Talinn sous l’administration directe du métropolite Alexandre (Paulus), le changement de juridiction se produisit dans ce cas non pas sur la volonté du monastère, mais comme l’exécution d’une décision administrative de l’autorité supérieure. Lors de l’invasion de l’armée allemande nazie, le chef de l’Église orthodoxe apostolique estonienne (à ce moment, après la réunification, transformée à nouveau en diocèse d’Estonie), le métropolite Alexandre (Paulus) tenta de faire sortir l’Église dont il avait la charge, de l’Exarchat baltique du Patriarcat de Moscou. Mais il n’y réussit qu’avec les monastères et paroisses qui lui étaient directement soumises. Les autorités allemandes d’occupation, donnant leur préférence à l’Exarchat balte dirigé par le métropolite Serge (Voskresensky), n’autorisèrent pas la structure dirigée par le métropolite Alexandre, à s’appeler « Église », mais, tout en lui prescrivant de ne pas entrer en communion avec le Patriarcat de Constantinople, lui attribuèrent l’appellation « Métropole estonienne apostolique orthodoxe ». Différentes sources contiennent des mentions au sujet de la demande de l’higoumène du monastère au métropolite Alexandre que le monastère reste sous l’omophore de celui-ci. Par conséquent, il ne peut être ici question de l’expression d’une demande de changement de juridiction, mais seulement du maintien de la subordination en cours sans changement des circonstances et des obligations dans lesquelles le Seigneur l’a placé. Le 6 mars 1945, en la personne des membres du Synode de la Métropole apostolique orthodoxe estonienne (ils étaient tous restés en Estonie, à l’exception d’un seul membre) eut lieu la réunification de la partie du clergé et des laïcs qui s’était séparée) après quoi fut achevée la transformation de l’Église apostolique en diocèse d’Estonie. Le monastère de Pühtitsa continua en son sein son activité en tant que monastère diocésain.
À notre demande à la direction juridique du Patriarcat de Moscou de la présence dans les archives des lettres et des appels de l’higoumène Ioanna (Korovnikova) pour le transfert sous la juridiction du Patriarcat de Constantinople ou le retour dans le sein de l’Église-Mère nous avons reçu la réponse du chef de la direction que les archives ne contiennent pas de documents.
Le métropolite Alexandre (Paulus) de Tallinn a demandé au locum tenens du trône patriarcal [de Moscou], le métropolite Serge, le retour de l’Église orthodoxe estonienne dans le sein de l’Église orthodoxe du Patriarcat de Moscou. Si le ministère possède des documents historiques prouvant d’autres circonstances du changement de juridiction de Pühtitsa, nous vous demandons de fournir des copies pour examen approfondi et conservation dans les archives du monastère.
Des relations particulières du monastère de Pühtitsa se sont développées avec le défunt Patriarche de Moscou et de toute la Russie Alexis II qui, en tant qu’évêque de Tallinn et d’Estonie, a réussi dans les années 1960 à défendre le monastère et à le sauver de la fermeture. Son souci pastoral profondément personnel s’est également manifesté dans le fait que, en 1990, devenant Patriarche, il a presque immédiatement accepté le monastère de Pühtitsa sous sa protection pastorale directe, le soustrayant au diocèse Estonien et lui donnant le statut de monastère stavropégique. (Décret n ° 1238 du 26 juin 1990). Nous attirons l’attention sur le fait que le statut stavropégique indépendant du monastère a étonnamment anticipé l’indépendance future de la République d’Estonie.
3. Stavropégie vient des mots grecs, il signifie littéralement « « Croix » et « plantation » et il est le statut SUPRÊME attribué aux institutions ecclésiastiques (traditionnellement, le plus souvent aux monastères), les rendant indépendantes du pouvoir diocésain local. En Russie, le premier monastère stavropégique est apparu avant l’acquisition de l’autocéphalie. En 1383, ce fut le cas du monastère de Saint-Simon, subordonné au Patriarche de Constantinople, qui y séjourna lors d’une visite à Moscou. Dans l’Église orthodoxe russe, les stavropégies ont été introduites au milieu du XVIIème siècle par le Patriarche Nikon, qui a fondé et pris le contrôle des monastères de la Nouvelle-Jérusalem, de Valdaï et d’Onega. En ce qui concerne Pühtitsa, on peut affirmer avec certitude que la renaissance étonnante et la transfiguration du monastère, à l’époque des persécutions de Khrouchtchev, a été rendu possible grâce aux soins personnels, au soutien et à la participation du métropolite de Tallinn, le futur patriarche Alexis II (Ridiger), dont est difficile de réestimer le rôle dans la restauration du monastère, et grâce à la volonté duquel, en 1990, le monastère a reçu le statut stavropégique. C’était, nous le répétons, une initiative personnelle du patriarche Alexis II, une manifestation de son souci pour le monastère, sa préoccupation paternelle et pastorale pour le meilleur fonctionnement de la vie du monastère. Maintenant, après plus de trente ans, on peut apprécier la sagesse de cette décision. Le statut de stavropégique a aidé le monastère à survivre en ces temps difficiles et a permis de regarder avec confiance vers l’avenir. À l’aube du nouveau siècle et du nouveau millénaire, ayant acquis le statut de stavropégique, le monastère a reçu un certain nombre d’avantages, dont le plus important est l’autonomie interne. Le monastère, ayant le statut de stavropégie, est libéré de la nécessité inévitable de s’occuper des affaires du diocèse local. La liberté vis-à-vis de tout le spectre de la vie diocésaine permet aux moniales de vivre dans une direction purement religieuse. Nous avons la liberté de décider des demandes émanant du Patriarcat de Moscou. Nous avons le droit de décider de les accepter ou non. Le patriarche n’a pris en charge que le centre spirituel du monastère.
L’histoire du monastère contient de nombreux exemples et confirmations du fait que nous, les habitantes du monastère avec le statut de stavropégie, sommes libérés des tendances politiques et séculières et pouvons, sur la base de l’opinion du conseil spirituel du monastère, déterminer la composante spirituelle de ce qui se produit. Nous faisons nos choix en fonction de notre expérience spirituelle et de notre droit à la liberté d’action. Quelle que soit l’origine d’une demande ou exigence, qu’elle émane d’un homme politique ou de la hiérarchie ecclésiastique, nous décidons nous-mêmes de les exécuter, de les ignorer ou de les refuser catégoriquement.
Quelques exemples :
* Refus de participer à une procession à Tallinn, alors que le demandait le métropolite Corneille (Jacobs). La mère higoumène Barbara (Trophimov) répondit : « Monseigneur, s’il s’agissait d’une prière commune, nous viendrions, mais comme il s’agit d’une action politique, nous n’y participerons pas ».
* La question du metochion du monastère. Après la mort de l’higoumène Barbara (Trofimova), l’évêque local a souhaité accueillir le metochion dans le sein de son diocèse. Nous avons exprimé notre ferme opposition à cette demande. En conséquence, le metochion est resté sous notre contrôle, et l’évêque a été sanctionné pour avoir induit en erreur sa Sainteté le Patriarche.
* Prière « pour la victoire ». Tous, littéralement tous ceux qui s’intéressent à cette question, savent que cette prière n’a jamais été lue au monastère, pas même une fois. Le Conseil spirituel du monastère a décidé de réciter une autre prière, pour l’unité et le salut de tous ceux qui viennent à l’église.
Tous ceux qui ont visité le monastère de Pühtitsa peuvent témoigner de manière fiable que la vie des moniales est le travail et la prière, la prière et le travail. Les événements du monde expirent près des murs du monastère. Le patriarche Alexis II, connaissant toutes les particularités de la vie des monastères diocésains, a accordé à Pühtitsa – et c’est son idée originale – le statut de stavropégie et a ainsi épargné au monastère des nombreux problèmes qui accompagnent la vie des monastères diocésains, et a accordé à notre monastère le statut supérieur du monastère de stavropégie de première classe, qui reste exemplaire jusqu’à nos jours. Il convient de noter ici que l’opinion sur la prétendue demande de l’higoumène Barbara (Trofimova) selon laquelle elle aurait demandé le statut stavropégique pour le monastère ne correspond pas à la réalité.
Conformément au paragraphe 10 du chapitre 4 des statuts canoniques de l’Église orthodoxe russe, le Patriarche de Moscou et de toute la Russie administre toutes les stavropégies ecclésiastiques. Selon le paragraphe 3 du chapitre 18 des mêmes statuts, les monastères sont proclamés stavropégiques par décision du patriarche de Moscou et de toute la Russie et du Saint-Synode conformément à la procédure canonique. De même, la question de l’attribution ou de l’abolition du statut de monastère de stavropégie est la prérogative exclusive du patriarche de Moscou et de toute la Russie. Refuser volontairement le statut de stavropégie accordé par sa Sainteté le Patriarche Alexis II, que les sœurs, qui nous ont précédées, vénéraient comme leur père et qui appelaient l’higoumène Barbara leur mère, signifie pour nous de nous détourner de la mémoire éternelle de ceux que le Seigneur a bénis pour la préservation de Pühtitsa. Comme le dit le 5ème commandement de Dieu : « Honore ton père et ta mère… » (Ex 20,12)
Ce sont nos guides spirituels et nos hommes de prière, ceux que nous ne pouvons et n’avons pas le droit d’oublier, ce sont les confesseurs du XXème siècle sanglant, lorsque l’Église était simplement détruite physiquement. Ils ont réussi, par le miracle de Dieu, à créer spirituellement et matériellement, en ce moment terrible où on luttait contre Dieu. Nous vivons maintenant et profitons des fruits de leur travail, et vous nous proposez d’oublier tout cela et de ne pas nous en souvenir !
4. Si, dans le monde, l’homme doit honorer et respecter la Constitution et les lois et ne pas les transgresser, car en cas de violation, il fait face à une sanction judiciaire, alors pour les moines et moniales, il est encore nécessaire d’observer les statuts ecclésiastiques. Ceux-ci sont établis sur la base des canons. Le mot Canon vient du grec κανών (règle, étalon). Ce concept a été utilisé dans l’antiquité pour désigner la mesure utilisée dans la construction pour la justesse des mesures comme références.
Dans l’orthodoxie, le canon au sens large du terme est une certaine institution ou un ensemble de règles formulées par les saints apôtres et les saints Pères de l’Église, dont l’observance est obligatoire pour chaque chrétien, par exemple les canons des Conciles Œcuméniques. La structure canonique de toute l’Église orthodoxe universelle repose sur le principe local. Cela signifie que l’Église répandue dans le monde entier est composée d’Églises locales autocéphales, chacune ayant son propre territoire canonique ‐ dans des pays où l’Église orthodoxe existe historiquement depuis des siècles. Il découle de ce principe que le territoire d’une Église Locale peut être situé dans plusieurs pays (par exemple, l’Église orthodoxe en République tchèque et en Slovaquie, l’Église orthodoxe serbe sur le territoire de plusieurs États, etc.).
Dans le même temps, les prières qui sont récitées dans l’office orthodoxe pour les autorités locales se réfèrent, bien sûr, à l’autorité du pays hôte de ce diocèse (monastère) de l’Église orthodoxe. Cela témoigne du fait que le monastère de Pühtitsa a prié et prie pour les autorités et l’armée de la République d’Estonie. Les statuts de l’Église orthodoxe russe s’appliquent (canoniquement) au monastère dans la partie qui régit l’activité de la stavropégie (par exemple, le p. 31 des statuts), les monastères stavropégiques (chapitre XIII des statuts) et toutes les unités canoniques de l’Église orthodoxe russe (sans distinguer leur diversité). Par exemple, selon le point 10 des statuts, les unités canoniques de l’Église orthodoxe russe n’ont pas d’activité politique et ne laissent pas leurs locaux à la disposition des manifestations politiques. Cette disposition s’applique au monastère de Pühtitsa. Selon le point 18.10 des statuts de l’Église orthodoxe russe, dans le cas de la décision arbitraire par le monastère de quitter illégalement la structure hiérarchique et la juridiction de l’Église russe, le monastère est privé de la confirmation de l’appartenance à l’Église orthodoxe russe, ce qui entraîne la cessation de l’activité du monastère en tant qu’organisation religieuse. Cette disposition des statuts de l’Église orthodoxe russe s’applique au monastère de Pühtitsa, car conformément à l’art. 12 de la Loi sur les églises et les paroisses, les statuts du monastère doivent définir les motifs et la procédure de cessation de son activité. À son tour, selon le paragraphe 1 des statuts du monastère, le monastère dans sa vie intérieure (spirituelle) est guidé par les statuts (canoniques) de l’Église orthodoxe russe. Conformément à l’article 12 de la Loi sur les églises et les paroisses, les statuts du monastère déterminent la compétence de ses organes de direction. Ceux-ci, pour ce qui concerne le monastère sont le Patriarche, l’higoumène et le Conseil Spirituel du monastère. Les paragraphes 21 et 23 des statuts du monastère contiennent une liste limitée (exhaustive) des pouvoirs de l’higoumène et du Conseil spirituel. Cette liste ne comprend pas le pouvoir de décider de quitter le monastère de la structure hiérarchique et de la juridiction de l’Église orthodoxe russe. Par conséquent, ni l’higoumène, ni Le Concile Spirituel ne peuvent prendre une telle décision.
À son tour, conformément au paragraphe 17 des statuts du monastère, le Patriarche peut exercer les pouvoirs prévus par les statuts (canoniques) de l’Église orthodoxe russe et les statuts du monastère. Et ici, il convient de mentionner en particulier que ni les statuts (canoniques) de l’Église orthodoxe russe, ni ceux du monastère, ne confèrent au Patriarche le pouvoir de prendre une décision par lui-même de la sortie du monastère de la structure hiérarchique et de la juridiction de l’Église orthodoxe russe. L’adoption d’une telle décision implique une succession d’événements ecclésiastiques. Une telle décision n’est pas prise par une personne seule, mais nécessite une collégialité. Il faut garder à l’esprit que toute la vie de l’Église orthodoxe repose sur le principe de la conciliarité. La base de celle-ci est la croyance en la présence et l’action du Saint-Esprit dans l’Église, qui «vous conduira dans toute vérité » (Jn. XVI, 13). Ce sont en effet les assemblées des fidèles (évêques, clercs et laïcs) qui expriment l’Église comme une communauté dans laquelle tous les membres participent activement.
La conciliarité, en grec « καθολικότητα » (universalité, intégrité) évoque l’unité de l’Église, comme corps du Christ, lorsque chaque croyant fait partie d’un tout. Ce n’est pas seulement une unité organisationnelle, mais une unité mystique, basée sur la foi, la communion et le salut commun. Le principe de conciliarité est exprimé dans la pratique dans le fait que pour résoudre les questions importantes de la foi, de la discipline de l’Église et de direction, des conciles (assemblées) sont convoqués. La résolution des problèmes globaux tels que la lutte contre les hérésies et la définition des dogmes appartiennent aux Conciles œcuméniques. Les questions de caractère local sont résolues dans les conciles locaux. Leurs décisions sont obligatoires pour l’Église qui les réunit, mais doivent être en accord avec les décisions des Conciles Œcuméniques. Canoniquement, le Concile de l’Église orthodoxe, par exemple, est exprimé dans des règles sur l’épiscopat telles que l’égalité des évêques, bien que parmi eux il puisse y avoir des primats (par exemple, Patriarches, métropolites) qui peuvent avoir un rôle administratif particulier, mais ce faisant ils n’ont pas de pouvoir suprême sur les autres évêques. L’évêque de l’Église orthodoxe est le chef du diocèse et est responsable de sa direction spirituelle. Cependant, l’évêque n’agit pas isolément, mais en accord avec les autres évêques et conciles de l’Église. Les affaires de l’Église Locale, entre les réunions des conciles, sont gérées par un Synode composé d’évêques («σύνοδος» ‐ une Assemblée, un conseil). C’est lui qui assure la gestion de la vie de l’église, s’occupe des questions nécessitant des solutions pendant les périodes inter-conciliaires. La décision du Synode de l’Église orthodoxe russe et le décret du Patriarche qui a suivi ont attribué au monastère de Pühtitsa le statut de stavropégie. Ainsi, la question de la sortie du monastère de Pühtitsa du statut de stavropégique ne peut être résolue de façon unilatérale par aucun des organes de gestion du monastère, tels que le Conseil Spirituel, l’higoumène ou le Patriarche. En plus de ce qui précède, il convient de dire une fois de plus que la vie du monastère est déterminée par les statuts du monastère. La relation du dirigeant spirituel avec le monastère et ses pouvoirs sont également définis par ces statuts.
Par exemple, au paragraphe 1.3., les statuts du monastère font référence aux décrets et non aux ordres du patriarche. Les décrets du Patriarche qui guident le monastère sont énumérés dans les statuts du monastère. Mais il n’y a pas de disposition dans lesdits statuts, sur la base de laquelle le patriarche pourrait obliger les sœurs du monastère à prier pour quelqu’un, par exemple pour les soldats. Les décrets prévus par les statuts doivent être respectés. Le droit de demander au patriarche la privation du statut de stavropégie n’est prévu ni par les statuts du monastère, ni pour le monastère lui-même (par. 9 des statuts), ni pour ses organes (chapitre III des statuts). L’impossibilité d’une telle demande a également été soulignée dans nos réponses précédentes. Ainsi, dans une lettre de juin 2024, nous expliquions notre position par le devoir d’accomplissement des promesses lors de la tonsure monastique. Celui qui entre dans le monachisme fait le vœu d’obéissance absolue. Désormais, il n’est pas guidé par ses propres désirs ou sa propre volonté, mais par l’obéissance. Vivant au monastère nous n’avons pas de volonté propre, nous vivons dans l’obéissance. Par conséquent, le monastère n’a pas le droit d’envoyer une telle demande. C’est cette idée que nous avons essayé de transmettre aux représentants du ministère lors de notre réunion d’avril, en disant qu’un tel appel ne peut être initié que par le ministère lui-même. Dans le passé, nous avons été obligés d’étudier cette question en profondeur dans le contexte des relations intra-ecclésiastiques. En conséquence, nous pouvons dire qu’une telle initiative du monastère lui‐même est littéralement une mort spirituelle pour nous, lorsque l’unité avec l’Église Universelle et, plus effrayant encore, la présence du Saint-Esprit seront perdues. S’il s’agissait auparavant d’un sentiment intuitif, nous voyons maintenant que les canons de l’Église nous avertissent de ces conséquences.
Sur la base de ce qui précède, nous vous demandons, en tant que partenaire à long terme, la coopération, avec laquelle nous avons toujours trouvé des moyens raisonnables de résoudre toutes les questions, en vous demandant de peser à nouveau tous les arguments que nous avons présentés. Nous espérons que le mode de vie monastique ne sera pas ignoré et que l’État n’aura pas de revendications envers le monastère sur la question de sa politisation ou de son implication dans la vie politique. Comme le ministre nous l’a assuré, il n’y a aucune preuve que le monastère participe à une telle vie. L’absence de telles actions de la part du monastère a été confirmée dans le discours du ministre devant les députés du Parlement 23.10.2024. Permettez-moi maintenant d’exprimer ma conviction que notre appel aidera toutes les personnes intéressées à se faire une idée claire des limites que le monastère n’a pas le droit de franchir. Le respect des normes de l’existence de l’Église est la pierre angulaire sur laquelle se trouve le monastère de Pühtitsa depuis plus d’un siècle et sans lequel son existence est généralement impensable. Avec tout le respect, nous nous réservons le droit de rendre la lettre ouverte.
Avec nos meilleurs souhaits, nous comptons sur votre compréhension.
L’higoumène du couvent stavropégique féminin de Pühtitsa ».