Lors de sa session du 20 décembre 2022, le Saint-Synode de l’Église orthodoxe ukrainienne a adopté le texte de la lettre ouverte suivante, adressée au président Zelensky :
« Cher Vladimir Alexandrovitch,
L’Église orthodoxe ukrainienne a plus de mille ans d’histoire. Depuis le temps du baptême du prince Vladimir, égal-aux-apôtres, c’est précisément notre Église qui est à l’origine de l’État ukrainien. Les hauts et les bas de la pensée créatrice, de la science et des beaux-arts étaient liés à une influence bénéfique sur l’instruction et l’éducation. Dans les périodes les plus critiques de l’existence de notre peuple, la Sainte Église a été la force qui a préservé son identité et lui a donné la force de se relever et d’aller de l’avant. Nous en voyons de nombreux exemples dans les pages de l’histoire, pendant l’invasion mongole, l’époque lituano-polonaise, celle des Cosaques, et la période soviétique et jusqu’à ce jour.
Avec le début de l’invasion de la Fédération de Russie sur le territoire de l’Ukraine, l’Église orthodoxe ukrainienne a été la première parmi d’autres organisations religieuses à condamner fermement cette agression militaire et a exprimé son soutien inconditionnel à l’intégrité territoriale de notre patrie. Dès le début des hostilités, nos fidèlesont défendu leur pays, sacrifiant leur vie pour la libération de leur terre natale. L’Église orthodoxe ukrainienne élève constamment des prières et fournit une assistance matérielle aux militaires, aux personnes déplacées et à d’autres catégories de la population touchées par la guerre.
Dans ce contexte, les nombreuses diffamations, insultes et accusations sans fondement qui sont proférées à l’égard de l’Église orthodoxe ukrainienne constituent pour nous un grand chagrin. Non seulement elles forment une opinion publique négative, mais elles attisent également la discorde religieuse, qui dresse les citoyens ukrainiens les uns contre les autres, divise notre peuple, qui a tant besoin d’unité dans des conditions de guerre. Ce flot d’immondices qui est déversé sur l’Église génère la colère et l’intolérance des uns envers les autres dans la société ukrainienne, ce qui conduit à son tour au déclin spirituel et à la perte des valeurs morales. Cela provoque des actes de violence contre des fidèles et des prêtres, la saisie et la destruction d’églises et l’interdiction de l’Église elle-même. En outre, l’Église orthodoxe ukrainienne est encore délibérément appelée « russe » et « moscovite », et les fidèles, citoyens de l’Ukraine, sont considérés, et ce sans fondement, comme des ennemis du fait de leur seule appartenance à cette Église.
Actuellement, la Verkhovna Rada d’Ukraine prépare, en vue de leur adoption, des projets de loi: No7403 du 24.05.2022, auteur Sovsoun I.R.; No8012 du 08.09.2022, auteur Bogdanets A.V.; No 8221 du 23.11.2022, auteur Knijitsky N.L. et autres; No8262 du 05.12.2022, auteur Konstankevitch I.M. et autres. Ces projets de loi ne sont pas conformes au droit international et à la Constitution de l’Ukraine, établissent des privilèges et des restrictions qui violent le principe de l’égalité des organisations religieuses et visent à discriminer des fidèles, citoyens de l’Ukraine, et la liquidation de l’Église orthodoxe ukrainienne.
De plus, pour la première fois dans l’histoire de notre État, des sanctions « personnelles » ont été appliquées illégalement et de manière injustifiée contre des ecclésiastiques citoyens ukrainiens. Il s’agit d’une ingérence grossière dans les activités des organisations religieuses. En conséquence, les activités de diocèses entiers, couvrant des dizaines de milliers de fidèles et fournissant une assistance sociale et humanitaire à grande échelle aux militaires, aux personnes déplacées à l’intérieur du pays et à de nombreux autres segments nécessiteux de la population, ont été bloquées. En fait, ces restrictions violent non pas tant les droits personnels de membres du clergé, que les droits de près d’un millier de communautés religieuses.
La violation systématique du droit à la liberté de religion, les discours de haine et l’hostilité religieuse à l’égard de l’Église orthodoxe ukrainienne cultivés en toute impunité dans la société ukrainienne conduisent à des manifestations négatives dans les médias comme cela s’est produit le 7 décembre 2022. Ce jour-là, une vidéo du programme « BayraktarNew #104 » produit par le studio « Kvartal 95 » a été publiée sur la chaîne de télévision et YouTube, sous le nom « Chaîne officielle Tchisto News ». Pendant près de 14 minutes, l’émission s’est illustrée par des sacrilèges, moqueries et blasphèmes contre Dieu et l’Église orthodoxe ukrainienne, ainsi que des informations fausses et erronées, par le mépris et l’atteinte aux sentiments religieux des fidèles et l’incitation à la haine religieuse.
Cependant, les mots blasphématoires qui ne peuvent pas être répétés sont devenus choquants. Ce sont des moqueries cyniques des Saintes Écritures, du Dieu-Trinité et du Seigneur Jésus-Christ, pour qui des milliers de personnes se sont sacrifiées et sont allées jusqu’au martyre.
En donnant les commandements au prophète Moïse sur le Mont Sinaï, le Seigneur souligne que Son saint nom ne doit pas être mentionné en vain : « Tu n’utiliseras pas le nom du Seigneur, ton Dieu, à la légère, car le Seigneur ne laissera pas impuni celui qui utilisera son nom à la légère. » (Deut. 5:11 ; cf. Ex. 20:7). Le blasphème contre Dieu et son nom entraînait de graves conséquences, pouvant aller jusqu’au châtiment de mort : « Celui qui maudira son Dieu supportera les conséquences de son péché. Celui qui blasphémera le nom du Seigneur sera puni de mort» (Lév. 24:15-16). « Moi, le Seigneur, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux. Je punis la faute des pères sur les enfants jusqu’à la troisième et la quatrième génération de ceux qui me haïssent » (Exode 20:5). Cependant, ce n’est pas dans ce monde que l’homme subira le plus grand mal. Dans l’Évangile, le Seigneur dit : «Celui qui parlera contre le Saint-Esprit, le pardon ne lui sera accordé ni dans le monde présent ni dans le monde à venir (Matthieu 12:32).
À cet égard, le clergé et les laïcs de l’Église orthodoxe ukrainienne se sont adressés à la direction de la chaîne de télévision « 1 + 1 » et à l’équipe d’auteurs du studio « Kvartal 95 » pour demander de présenter des excuses publiques pour l’émission et de le retirer de l’espace d’information, ainsi qu’aux autorités judiciaires pour une enquête appropriée sur cette affaire honteuse. Nous attendons que les auteurs du scénario de ce programme, ses présentateurs et ses acteurs tirent les conclusions appropriées et présentent leurs excuses à la communauté chrétienne d’Ukraine.
Aujourd’hui, notre État a plus que jamais besoin de l’aide de Dieu. La profanation publique de Dieu est inacceptable. Nous respectons la liberté des autres citoyens de professer la religion qu’ils ont choisie ou de ne pas en professer, mais ici, on parle de l’outrage aux sentiments religieux des fidèles, citoyens de l’Ukraine, dont beaucoup, se sacrifiant, défendent son intégrité territoriale et sa souveraineté.
La guerre actuelle est notre lutte commune pour les valeurs universelles : liberté, dignité, droits de l’homme. Et nous croyons que l’Ukraine émergera des flammes de la guerre comme un pays dans lequel les droits constitutionnels de chaque citoyen seront respectés. C’est pourquoi précisément il n’y a pas de place dans notre État pour ces moyens et technologies qui offensent et méprisent l’Église et insultent cyniquement les sentiments religieux de millions de croyants. Ce sont les méthodes utilisées par les autorités ennemies de Dieu à l’époque du totalitarisme soviétique. Alors, des centaines de milliers de prêtres, de moines et de laïcs, que nous honorons maintenant comme martyrs et héros, ont été privés des droits humains, exilés et tués. Aujourd’hui, l’Ukraine tente une fois pour toutes de surmonter le passé totalitaire en vue de l’avenir. Mais la véritable décommunisation doit avoir lieu dans le domaine de la conscience humaine. Surmonter les restes du système communiste est impossible si nous permettons que ses méthodes soient appliquées, en particulier dans l’espace juridique, public et d’information. En aucun cas, vous ne pouvez faire la guerre à Dieu, car c’est le chemin de l’autodestruction.
Monsieur le Président, en votre personne, nous voyons le garant du respect de la Constitution de l’Ukraine. Lors des élections de 2019, vous vous êtes montré comme une personnalité charismatique, non altérée par le système bureaucratique. Ce faisant, vous avez gagné la confiance des fidèles de notre Église, qui ont voté en masse pour vous. Vous avez réussi à consolider le peuple ukrainien dans toutes les régions de l’Ukraine autour des valeurs de démocratie, de liberté et de dignité. C’est précisément pourquoi vous êtes respecté et soutenu par le monde entier.
Aujourd’hui, nous vous demandons respectueusement d’assurer le droit à la liberté de conscience et de religion pour les fidèles de l’Église orthodoxe ukrainienne ; de protéger la société ukrainienne contre les discours de haine et l’intolérance pour des motifs religieux, qui incitent à la discorde religieuse dans le pays ; de débloquer l’activité des organisations religieuses sanctionnées avec leurs archipasteurs ; d’empêcher l’adoption de lois inconstitutionnelles contre l’Église, qui sont en cours d’examen par la Verkhovna Rada d’Ukraine. Nous espérons que vous serez en mesure de prévenir une division artificielle du peuple ukrainien selon des critères religieux, ce qui est vital face à l’agression extérieure. Que les valeurs spirituelles que nous professons et défendons soient réellement mises en pratique, et leur mise en œuvre sera une véritable mesure de notre maturité nationale.
Avec profond respect.
Les membres du Saint-Synode de l’Église orthodoxe ukrainienne »