De quoi Jésus et Ses disciples se nourrissaient-ils ? Leur alimentation quotidienne était le plus souvent extrêmement simple ; elle était essentiellement composée des denrées les plus courantes : le pain, le poisson, l’eau, le vin. Mais au-delà de cette sobriété, les Évangiles témoignent de repas partagés avec des personnes de tous horizons sociaux, et abordent la question du jeûne sous un angle original. En contraste avec l’ascétisme de Jean-Baptiste, Jésus adopte une approche incarnée de la nourriture, profondément liée à Sa mission spirituelle.
Une nourriture simple mais partagée
Le pain et le poisson sont mentionnés plusieurs fois dans les Évangiles comme la nourriture principale des disciples de Jésus. Leur métier de pêcheurs laisse d’ailleurs supposer qu’ils se nourrissaient principalement de poisson. Lors de la Cène, Jésus présente aux disciples du pain et du vin, et même après Sa résurrection, Il rompt avec eux le pain (Lc 24:30) et partage un repas composé de pain et de poisson (Jn 21:13).
Cependant, l’alimentation de Jésus et de Ses disciples ne se limitait pas toujours à ces denrées simples. Jésus acceptait des invitations à des repas donnés par des personnes de conditions sociales diverses. Il est fait mention à plusieurs reprises, dans les Évangiles, de tels repas. On Le voit à table dans la maison du publicain Matthieu (Mt 2:15), chez Simon le lépreux (Mt 26:6-7 ; Mc 14:3), chez Simon le pharisien (Lc 7:36-40), chez un chef des pharisiens (Lc 14:1), ou encore chez Lazare (Jn 12:1-2).
Ces réceptions devaient certainement être agrémentées de mets variés et réunir un grand nombre de convives. Évoquant la réception dans la maison de Matthieu-Lévi, l’évangéliste Luc dit expressément que le maître de maison Lui donna un grand festin et précise que beaucoup de publicains et d’autres personnes étaient à table avec eux (Lc 5:29).
Le verbe « être allongé », généralement traduit par « être à table », employé dans ces descriptions, renvoie à la coutume gréco-romaine de prendre le repas à demi couché sur des divans ou couchettes placés autour d’une table basse.
Un mode de vie distinct de celui de Jean-Baptiste
Le mode de vie de Jésus différait profondément de celui de Jean-Baptiste. Jean vivait dans le désert où le peuple venait à lui ; Jésus, au contraire, allait vers les villes et les villages, prêchant dans les rues, dans les synagogues et dans les maisons. Tandis que Jean se distinguait par un ascétisme rigoureux (Mt 3:4 ; Mc 1:6), rien de tel n’est dit à propos de Jésus. Lui-même oppose Son mode de vie à celui de Jean-Baptiste :
« Car Jean-Baptiste est venu, ne mangeant pas de pain et ne buvant pas de vin, et vous dites : Il a un démon. Le Fils de l’homme est venu, mangeant et buvant, et vous dites : C’est un mangeur et un buveur, un ami des publicains et des gens de mauvaise vie. »
Lc 7:33-34
À la différence de la communauté des disciples de Jean-Baptiste, les disciples de Jésus n’observaient pas les jeûnes établis par la tradition juive. Jésus les observait-Il Lui-même ? Et quelle était Son attitude envers le jeûne ?
Comme on s’en souvient, avant de commencer à prêcher, Il a jeûné quarante jours et quarante nuits (Mt 4:2) : Matthieu a recours à la même phraséologie que celle qui concerne Moïse dans l’Ancien Testament. Luc, quant à lui, dit simplement que durant quarante jours Jésus ne mangea rien (Lc 4:2).
D’un autre côté, les disciples de Jean-Baptiste et les pharisiens accusaient les disciples de Jésus de ne pas observer les jeûnes :
« Les disciples de Jean et les pharisiens jeûnaient. Ils vinrent dire à Jésus : Pourquoi les disciples de Jean et ceux des pharisiens jeûnent-ils, tandis que Tes disciples ne jeûnent pas ? Jésus leur répondit : Les amis de l’époux peuvent-ils jeûner pendant que l’époux est avec eux ? Aussi longtemps qu’ils sont avec l’époux, ils ne peuvent jeûner. Les jours viendront où l’époux leur sera enlevé, et alors ils jeûneront en ce jour-là. Personne ne coud une pièce de drap neuf à un vieil habit ; autrement, la pièce de drap neuf emporterait une partie du vieux, et la déchirure serait pire. Et personne ne met du vin nouveau dans de vieilles outres ; autrement, le vin fait rompre les outres, et le vin et les outres sont perdus ; mais il faut mettre le vin nouveau dans des outres neuves. »
Mc 2:18-22
Cet épisode, rapporté également chez les deux autres synoptiques (Mt 9:14-17 ; Lc 5:33-39), rend compte uniquement du fait que les disciples de Jésus ne jeûnaient pas : rien n’est dit sur Jésus Lui-même. Les disciples de Jean s’indignent du comportement des disciples de Jésus, mais pas du Sien.
Dans Sa réponse (chez Matthieu, elle est rapportée sous une forme légèrement différente) : Les amis de l’époux peuvent-ils s’affliger pendant que l’époux est avec eux ? (Mt 9:15), Jésus non plus ne dit rien sur Son propre compte, mais parle seulement des disciples à la troisième personne. Il n’est pas exclu que Sa pratique ait pu différer de celle des disciples et qu’au moins certains jours, quand Il se retirait, Il jeûnât. Cependant, ce n’est qu’une supposition : aucun texte du Nouveau Testament ne vient la confirmer. Les Évangiles précisent juste qu’Il abandonnait parfois les disciples pour se livrer à la prière solitaire.
Le récit de la guérison par Jésus de l’adolescent possédé pourrait être une preuve indirecte d’une différence de pratique entre Jésus et Ses disciples en matière de jeûne. Après que le miracle fut accompli, les disciples s’approchèrent de Jésus, et Lui dirent en particulier : Pourquoi n’avons-nous pu chasser le démon ? Jésus leur répondit : C’est à cause de votre incrédulité. (…) Je vous le dis en vérité, si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à cette montagne : Transporte-toi d’ici là, et elle se transporterait ; rien ne vous serait impossible. Mais cette sorte de démon ne sort que par la prière et par le jeûne (Mt 17:19-21). Jésus cite l’incrédulité comme raison principale de l’incapacité des disciples à chasser le démon. Mais Il ajoute qu’une sorte de démons ne peut être chassée qu’à l’aide de la prière et du jeûne.
La réponse de Jésus à la question des disciples de Jean contient quant à elle deux idées importantes. La première se rapporte au temps qui suivra Sa mort : quand l’époux leur sera enlevé, alors ils jeûneront de nouveau. La seconde idée est exprimée par l’image de la pièce de drap neuf cousue sur un vieil habit, et celle du vin nouveau versé dans de vieilles outres.
Vin nouveau et vie nouvelle
L’image du vin nouveau versé dans de vieilles outres ne renvoie pas uniquement à la pratique des jeûnes par les Juifs : dans un sens plus large, elle se rapporte à l’ensemble de la tradition religieuse juive, dont les scribes et les pharisiens étaient les principaux véhicules.
On peut interpréter la pensée de Jésus de la façon suivante : le vin du Nouveau Testament ne peut être versé dans les outres des règles et des consignes vétérotestamentaires ; les formes extérieures de la piété résultant du respect de la lettre de la loi mosaïque sont incapables de contenir l’esprit de l’enseignement de Jésus, marqué par une nouveauté radicale et exigeant de nouvelles formes de pratique religieuse.
Les outres désignent des sacs en cuir dans lesquels on conservait le vin. Le vin, léger et le plus souvent dilué avec de l’eau, était la principale boisson en Palestine à l’époque de Jésus.
Les Évangiles évoquent à plusieurs reprises la place du vin dans l’alimentation quotidienne de Jésus et de Ses disciples. Outre les passages déjà cités où Il en parle Lui-même, le témoignage principal en est le récit de la Cène lors de laquelle Jésus prit la coupe ; et, après avoir rendu grâces, Il la leur donna, et ils en burent tous. En le faisant Il dit : Ceci est Mon sang, le sang de l’alliance, qui est répandu pour plusieurs, et Il ajouta : Je vous le dis en vérité, Je ne boirai plus jamais du fruit de la vigne, jusqu’au jour où Je le boirai de nouveau dans le Royaume de Dieu (Mc 14:23-25 ; cf. Mt 26:27-29 ; Lc 22:17-18 ; 20).
Les hypothèses selon lesquelles Jésus aurait suivi un régime alimentaire particulier — par exemple, sans viande — ne trouvent aucune base dans les Évangiles. Il aurait, sinon, été exclu du repas pascal, dont le plat principal était un agneau rôti, accompagné d’herbes amères (Ex 12,5-8).
En résumé, l’alimentation de Jésus et Sa position sur le jeûne témoignent d’un équilibre entre enracinement dans la tradition et liberté prophétique. Loin d’être anecdotiques, ces choix reflètent profondément Son enseignement : nourrir l’homme dans toutes ses dimensions — corps, esprit, et foi.
Cet article fait partie de la série basée sur les six volumes de Jésus-Christ. Vie et Enseignement par le métropolite Hilarion Alfeyev, disponible tous les vendredis sur cette page. Pour obtenir votre exemplaire du premier volume, Début de l’Évangile, visitez le site des Éditions des Syrtes.