Chaque jour, nous lisons des nouvelles sur le conflit entre Constantinople et la Russie, qui s’est transformé en une confrontation ouverte, où les deux parties s’efforcent de prouver leur droit et leur légitimité dans ce qu’elles revendiquent.
En même temps, nous remercions Dieu que l’Église orthodoxe soit encore privilégiée par la présence de personnes saines d’esprit qui décrivent clairement la maladie qui nous a frappés et exigent que les deux parties retournent à la table ronde pour aborder ensemble leurs dissensions en présence de leurs frères, qui ont la même responsabilité et souffrent de la même douleur pour ce qui se passe dans l’Orthodoxie.
En tant que hiérarque qui vit dans une partie orthodoxe dense du soi-disant monde orthodoxe, c’est-à-dire en Europe, je voudrais exprimer mon opinion sur cette crise qui s’amplifie chaque jour et qui affecte notre existence et notre pérennité. Malheureusement, la plupart de ceux qui écrivent sur cette question vivent dans un monde monolithique, où la majorité est soit russe, soit grecque…
Ce n’est un secret pour personne que les racines du problème sont très anciennes. Nos frères de Constantinople ont le sentiment ancien et tenace que nos frères russes veulent s’approprier leurs droits historiques revendiqués. De l’autre côté, les Russes sentent un désir de la part de Constantinople de se venger d’eux et de les diviser et qu’ils le feront quand l’occasion se présentera, même si c’est à travers une lecture de l’histoire et des canons qui en découlent, que Constantinople prétend être ses droits et les privilèges qu’elle en a acquis et qui lui ont donné la légitimité qu’elle revendique aujourd’hui.
Je reviens à la douloureuse réalité actuelle qui nous empêche de nous réunir autour d’une même table dans un pays où nous sommes tous des étrangers, où nous servons nos frères, dont la majorité s’est retrouvée là à cause des difficultés de la vie. Quel témoignage offrons-nous, en tant qu’orthodoxes, aux habitants de ce pays [l’Allemagne] lorsque nous sommes divisés et incapables de nous rencontrer et d’établir un avenir commun pour tous, face aux facteurs qui apparaissent dans ce monde et qui modifieront inévitablement sa carte démographique ?
À mon humble avis, les racines de la crise actuelle remontent à une époque bien antérieure au Concile de Crète. Elle a commencé lorsque le différend concernant l’Église du Qatar, suscité par nos frères de l’Église de Jérusalem, qui a causé des souffrances à l’Église d’Antioche, n’a pas été abordé de manière sérieuse et collégiale. Cela s’est produit lorsque Sa Sainteté le patriarche œcuménique a refusé de l’inscrire à l’ordre du jour de la réunion des primats des Églises qui a eu lieu en 2014, et les autres Églises locales sont restées les bras croisés, malgré tous les appels que nous avons lancés lors des travaux préparatoires du Grand Concile…. Tout le monde se souvient de la situation qui en a résulté, encore en vigueur aujourd’hui : la rupture de la communion eucharistique entre les Églises d’Antioche et de Jérusalem.
Le problème est passé largement inaperçu, alors qu’il était très important de l’arrêter et de trouver une solution appropriée. Si une solution avait été trouvée à ce moment-là, nous n’en serions pas là aujourd’hui, que ce soit en Ukraine ou à Alexandrie…
J’ai représenté notre Église d’Antioche lors de la dernière réunion préparatoire avant le Concile de Crète, à Chambésy en 2016. Je me souviens des concessions que nous avons présentées de bonne foi pour rétablir les liens dans le corps orthodoxe, et comment, malheureusement, elles ont été accueillies du côté de Jérusalem, et même par le reste des frères primats, avec un manque de sérieux, avec la relativisation et l’indifférence.
C’est ce qui nous a poussés à ne pas signer les statuts du Concile de Crète, et plus tard à boycotter ledit concile. Aujourd’hui encore, on nous accuse d’avoir boycotté la réunion de Crète sous la pression de l’Église russe, ce qui n’est pas vrai, mais une simple calomnie qui n’a de fondement que dans l’esprit de ses promoteurs. Notre Synode d’Antioche, comme l’a exprimé notre Père, Sa Béatitude le patriarche, a décidé de ne pas y assister, car notre participation serait incomplète puisque nous ne participerions pas à la Liturgie en raison de notre conflit avec nos frères de Jérusalem.
Aujourd’hui, après plus de neuf ans, ce problème revient sous différents noms, et nous avons tous lu ce qui se passe aujourd’hui entre l’Église d’Alexandrie et l’Église de Russie, la potentialité de l’évangélisation en Afrique, et qui a l’autorité pour le faire. Je me demande si ceux qui se rendent en Afrique à partir des soi-disant Églises libres [1] demandent la permission au patriarche d’Alexandrie et de toute l’Afrique, ou à d’autres responsables de l’Église sur place.
Certes, nous devons retourner à la table ronde et discuter de nos problèmes dans une atmosphère fraternelle, afin de donner un exemple de l’esprit conciliaire, cet esprit que nous louons quand cela nous arrange. Sinon, nous deviendrons comme les fils de ce monde qui n’écoutent que ceux qui ont le pouvoir, ceux qui s’occupent des enfants de ce temps, ou les riches qui achètent leurs droits avec leur argent.
Métropolite Isaac d’Allemagne et d’Europe centrale
[1] Titre donné en Angleterre et au Pays de Galles aux organismes religieux, autrefois appelés dissidents ou non-conformistes, qui ne sont pas en communion avec l’Église d’Angleterre ou l’Église catholique. Le terme est devenu d’usage courant à la fin du XIXe siècle et désigne généralement les méthodistes, les presbytériens anglais, les congrégationalistes, les baptistes, les quakers, les unitariens, les Églises du Christ, les Frères de Plymouth, diverses sectes pentecôtistes et, récemment, les mormons.