Dans la tradition prophétique d’Israël, Jésus et Jean-Baptiste s’inscrivent comme des figures centrales, perpétuant et renouvelant la mission des prophètes de l’Ancien Testament. Toutefois, tandis que Jésus est perçu par certains comme un prophète puissant en paroles et en œuvres, d’autres le reconnaissent progressivement comme le Messie promis, Fils de Dieu. Cette évolution de perception, tant parmi le peuple que chez les disciples, illustre la continuité et la nouveauté de la mission prophétique dans les Évangiles.
Nous pouvons constater que le charisme prophétique de Jésus ne faisait aucun doute. En même temps, son origine galiléenne fournissait aux Juifs un prétexte commode pour lui refuser le statut de Messie. Les pharisiens, notamment, estimaient qu’un prophète ne pouvait venir de Galilée (Jn 7:50-53).
Le peuple était d’un avis différent : à Jérusalem, ils appelaient Jésus le prophète de Nazareth en Galilée (Mt 2:11). En Galilée, on disait de Jésus : Un grand prophète a paru parmi nous, et Dieu a visité Son peuple (Lc 7:16). De plus, comme le signale l’évangéliste, Cette parole sur Jésus se répandit dans toute la Judée et dans tout le pays d’alentour (Lc 7:17).
Conviction progressive de la messianité de Jésus
Ainsi, en Judée comme en Galilée, on ne parlait pas seulement de Jésus comme d’un prophète parmi d’autres : certains Le qualifiaient de grand prophète, d’autres affirmaient qu’Il était vraiment le prophète qui doit venir dans le monde, c’est-à-dire le Christ.
Cela dit, le Messie n’était pas attendu uniquement en Judée et en Galilée ; en Samarie, les habitants avaient leurs propres idées sur la venue de l’Oint de Dieu.
En témoigne l’entretien de Jésus avec la Samaritaine. Après qu’Il lui eut déclaré qu’elle n’avait pas d’époux, puisqu’elle avait été mariée cinq fois, la femme lui dit : Seigneur (…) je vois que Tu es prophète (Jn 4:19). Et elle lui pose la question qui divisait les Juifs et les Samaritains : où doit-on adorer Dieu ? Sur le mont Garizim ou à Jérusalem ? Jésus répond qu’il faut adorer le Père en esprit et en vérité. Alors, la femme parle de ce qui unit les Juifs et les Samaritains, à savoir le Messie à venir : Je sais que le Messie doit venir (Celui qu’on appelle Christ) ; quand Il sera venu, Il nous annoncera toutes choses (Jn. 4:25). Jésus lui dit : Je le suis, Moi qui te parle (Jn 4:26).
La réponse de Jésus a-t-elle convaincu la Samaritaine ? Apparemment pas tout à fait, puisqu’elle va chercher confirmation auprès d’autres personnes. De retour en ville, elle dit aux gens : Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait ; ne serait-ce point le Christ ? (Jn 4:29).
C’est seulement à l’issue des deux jours de séjour de Jésus parmi les villageois qu’ils acquièrent la conviction qu’Il est vraiment le Sauveur du monde (Jn 4:42).
Lentement mais sûrement, à travers tout le récit du séjour de Jésus en Samarie, l’évangéliste Jean amène à l’idée que Jésus n’est pas un simple prophète.
La Samaritaine a compris presque immédiatement qu’il était un prophète, mais elle n’a pas pu croire d’emblée qu’il était le Christ.
Les disciples face à l’identité de Jésus
Les disciples en arrivent tout aussi graduellement à prendre conscience que Jésus est plus qu’un prophète.
À Césarée de Philippe, aucun des disciples, à part Pierre, ne confesse que Jésus est le Christ (Mt 16:13-16 ; Mc 8:27-30 ; Lc 9:18-20). On peut, certes, supposer que Pierre répondait au nom de tous les autres et que les autres apôtres étaient d’accord avec lui, mais le texte des Évangiles synoptiques n’en dit rien. Il est tout à fait probable qu’à ce moment-là, parmi les apôtres, il n’y avait pas de réponse unanime à la question de savoir si Jésus était un prophète ou le Christ.
Plus encore, même après sa mort et sa résurrection, les disciples n’avaient pas une compréhension claire et nette de ce que Jésus était le Christ. Lorsque Jésus ressuscité s’approche de deux de ses disciples sur le chemin d’Emmaüs, ils ne le reconnaissent pas et se mettent à lui parler de Jésus le Nazaréen, Qui était un prophète puissant en œuvres et en paroles devant Dieu et devant tout le peuple (Lc 24:19).
Après avoir évoqué sa crucifixion, les disciples poursuivent : Nous espérions que ce serait Lui qui délivrerait Israël (Lc 24:21). À l’évidence, les disciples étaient convaincus que Jésus était un prophète et doutaient qu’il fût le Messie. Mais Jésus, qu’ils n’ont toujours pas reconnu, se tourne justement vers les écrits des prophètes pour démontrer qu’ils témoignaient de lui. Tout le passage gravite autour du thème de la relation entre Jésus et les prophètes.
Ce thème résonne avec force dans les discours que l’apôtre Pierre prononça dans le temple de Jérusalem peu après la résurrection de Jésus. S’adressant aux Juifs que Jésus, tout récemment encore, avait appelés les fils de ceux qui ont persécuté les prophètes, Pierre les appelle les fils des prophètes et de l’alliance (Ac 3:25) qui ont tué le Juste par ignorance (Ac 3:17).
En même temps, Jésus lui-même apparaît dans ces discours à la fois comme le continuateur de la mission des prophètes et comme le Messie promis, le Fils de Dieu :
Moïse a dit : Le Seigneur votre Dieu vous suscitera d’entre vos frères un Prophète comme moi ; vous L’écouterez dans tout ce qu’Il vous dira, et quiconque n’écoutera pas ce Prophète sera exterminé du milieu du peuple. Tous les prophètes qui ont successivement parlé, depuis Samuel, ont aussi annoncé ces jours-là. C’est à vous premièrement que Dieu, ayant suscité Son serviteur, L’a envoyé pour vous bénir, en détournant chacun de vous de ses iniquités
Ac 3:22-24, 26
Les références aux prophètes sont extrêmement nombreuses dans les Actes et dans les Épîtres des apôtres. Cependant, nous voyons que, dès la première génération des chrétiens, l’idée de Jésus comme prophète puissant en œuvres et en paroles est complètement remplacée par l’enseignement de Jésus comme le Fils de Dieu qu’il avait prédit.
Les doutes qui ont tourmenté les disciples les premiers jours après sa résurrection (Mt 28:17) se sont rapidement dissipés, et la foi que Jésus est le Seigneur et Dieu (Jn 20:28) a triomphé dans la communauté chrétienne.
Cet article fait partie de la série basée sur les six volumes de “Jésus-Christ. Vie et Enseignement” par le métropolite Hilarion Alfeyev, disponible tous les vendredis sur cette page. Pour obtenir votre exemplaire du premier volume, “Début de l’Évangile”, visitez le site des Éditions des Syrtes.