Jean-Claude Larchet, « La théorie du genre contre le genre humain », éditions Salvator, 143 pages, 2024, 16,90 euros.
Il faut remercier grandement Jean-Claude Larchet de nous donner très régulièrement des études précises et éclairantes sur les grands enjeux sociétaux de notre temps. C’est ainsi qu’en plus de ses ouvrages sur la maladie, la souffrance et la mort, des questions de toutes les époques, ou encore sur des grands spirituels contemporains, il a notamment abordé la crise écologique (« Les fondements spirituels de la crise écologique »), les nouveaux médias (« Malades des nouveaux médias »), les épidémies (« Petite théologie pour les temps de pandémie »), les psychothérapies (« L’inconscient spirituel »), la cause animale (« Les animaux dans la spiritualité orthodoxe »). La question développée dans ce nouvel ouvrage avait été déjà l’objet d’un livre précédent : « Transfigurer le genre ». Le présent ouvrage se révèle à cet égard son complément, centré sur l’époque actuelle, tout en s’avérant aussi pleinement autonome. « Transfigurer le genre » constitue la réponse détaillée de la tradition chrétienne à la théorie du genre et peut donc aussi parfaitement se lire après « La théorie du genre contre le genre humain » qui à ce moment-là forme une sorte de grande introduction au sujet en présentant essentiellement la situation actuelle sous ses différents aspects. En effet, à la différence notable de « Transfigurer le genre », la tradition chrétienne n’est guère mentionnée dans le présent livre, même si la vision chrétienne de la personne (du même auteur concernant les aspects théologiques et anthropologiques : « Personne et nature ») et de la famille sous-tend tout l’ouvrage.
Même si ce sujet, la « théorie du genre », est omniprésent dans la société aujourd’hui et finalement s’impose à tous, peu en comprennent toutes les facettes, qui ne manquent pas de complexité, les fondements qui proviennent de courants philosophiques et anthropologiques modernes, mais aussi l’histoire et les enjeux qui nous concernent tous. Ainsi, en ce qui concerne l’élaboration philosophique, qui a conduit à « une construction intellectuelle déconnectée du réel » (p. 65), qui s’adresse aussi aux enfants dès leur plus jeune âge, il pointe l’existentialisme, avec « le primat du sujet libre sur sa nature ou son essence » qui « se définit lui-même au cours de son existence » (p.20), le marxisme et son concept de lutte des classes avec le couple oppresseur-opprimé appliqué au rapport homme-femme, l’individualisme, « le sujet individuel est érigé en créateur de soi et du monde en ne tenant compte de rien ni de personne, et prend en quelque sorte la place du Créateur » (p. 122) et l’ultralibéralisme, la « French Théory » ou philosophie « postmoderne » avec son « déconstructivisme », à savoir que ses promoteurs « donnent une place centrale au rejet des normes, des valeurs et des principes universels dans tous les domaines » (p.22). Parmi les autres sources, Jean-Claude Larchet mentionne notamment le féminisme radical ou extrémiste, allant jusqu’à « la détestation du mâle (misandrie) ou la haine du mâle (androphobie) » (p. 114), qu’il prend soin de bien distinguer du féminisme modéré lequel « milite pour rapprocher socialement la condition féminine de la condition masculine en accordant aux femmes, dans la société, les mêmes droits […], le même statut et le même traitement qu’aux hommes, revendiquant aussi dans la sphère privée un partage des tâches » (p. 23-24). Plus récemment, cela s’est traduit par l’essor du mouvement LGBTQIA+, un sigle qui regroupe des dizaines d’orientations sexuelles (l’auteur en présente une soixantaine !) autres que l’hétérosexualité, et par le développement de la pensée woke (ou wokisme). Initialement, cette dernière qui désignait « un état “d’éveil” face à l’injustice et aux discriminations que subissent certaines minorités » (p.34-35) en est rapidement venue à pratiquer « l’exclusion des prétendus dominants, et prenant socialement la forme revendiquée de l’intolérance et de la violence, substituant en fait, aux inégalités et aux discriminations dénoncées, des inégalités inversées et de nouvelles formes de discrimination. » (p.37-38)
L’ouvrage expose clairement les abus et les dérives de ces mouvements, tout en maintenant une réflexion nuancée. En effet, Jean-Claude Larchet note également les aspects positifs de ces orientations quand elles ne mènent pas à des extrémismes violents. Il observe ainsi (p. 113) : « Le féminisme en général a eu à notre époque un rôle très positif pour redonner sa dignité à la femme face à une mentalité “machiste” très répandue, qui non seulement infériorise la femme, mais la voit et la traite comme un objet soumis aux désirs, fantasmes et pulsions sexuelles de l’homme, et assure sa domination par la violence physique ou psychologique. » Notons au passage que ces dérives et abus sont aujourd’hui également dénoncés par des personnes ayant participé à des étapes antérieures de ces revendications, et qui souhaitent qu’un équilibre soit trouvé, comme Caroline Fourest dans son livre récent « Le vertige MeToo ».
Ce nouvel ouvrage de Jean-Claude Larchet s’avère donc très utile, et un précieux viatique, pour bien comprendre les tenants et les aboutissants d’un courant puissant du monde actuel auquel nous sommes tous confrontés.
Christophe Levalois