Tribune publiée le 1 décembre 2025 à 17h21 par La Croix sur cette page. Reproduite ici avec l’aimable autorisation de la rédaction du quotidien.
Avocat au Barreau de Paris, porte-parole de l’Assemblée des évêques orthodoxes de France – Membre de la délégation du Patriarcat grec-orthodoxe d’Antioche et de tout l’Orient à la rencontre de Nicée. S’exprime ici en son nom personnel.

La célébration des 1 700 ans du concile de Nicée, par Bartholomeos Ier, patriarche de Constantinople, le pape Léon XIV et d’autres représentants chrétiens lors du voyage du pape en Turquie, a été une accélération, mais pas encore un aboutissement vers l’unité des Églises orthodoxe et catholique, selon Carol Saba.
Nicée 2025. Nous sommes là, dans la belle vieille ville anatolienne de l’ancienne Nicée, Iznik, aujourd’hui, en Turquie, dont le nom grec d’origine signifie « la victoire ». Nous sommes là au bord du lac dans les bras duquel la ville de Nicée continue de se jeter, depuis des siècles, un lac majestueux et silencieux, une immensité mystique, irénique et nostalgique, qui témoigne du continuum de l’histoire depuis les temps byzantins anciens, puis ottomans et turcs.
Le soleil était au rendez-vous en ce 28 novembre, de la rencontre œcuménique internationale convoquée ici par Sa Sainteté Bartholomeos Ier, patriarche œcuménique de Constantinople, pour célébrer avec le nouveau pape de Rome, Léon XIV, des primats chrétiens, une armée de prélats orthodoxes et catholiques et d’autres représentants chrétiens, les 1 700 ans du premier concile œcuménique de l’Église indivise.
La foi, juste, « orthodoxe », en Christ
Nicée 325. C’est ici, à Nikea, que les mots de la foi ont été forgés pour exprimer la foi juste, « orthodoxe », en Christ, « un seul Seigneur, Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, engendré par le Père avant tous les siècles. Lumière de Lumière, vrai Dieu de vrai Dieu, engendré, non créé, consubstantiel au Père, et par qui tout a été fait ». Convoqués par l’empereur Constantin le Grand, 318 Pères de l’Église ont fait œuvre « conciliaire » pour exprimer d’une seule voix, dans un Credo écrit, la foi qui était jusqu’alors vécue par les chrétiens depuis la glorieuse Résurrection.
Après l’affirmation de la bonne christologie, il revenait au deuxième concile œcuménique de Constantinople, convoqué par l’empereur Théodose en 381, d’affirmer la divinité du « Saint-Esprit qui procède du Père, qui est adoré et glorifié avec le Père et le Fils ». L’enjeu au Credo de Nicée-Constantinople, qui devint le Credo de l’Église indivise, était donc la défense du Dieu Trinitaire.
Nicée 2025. Le moment le plus paroxysmique de cette rencontre inondée des rayons de soleil de ce bel après-midi d’automne, a été, incontestablement, celui de la récitation du Credo de Nicée Constantinople, sans l’ajout du Filioque (la procession « et du fils »), décliné d’une seule voix, sans fausse note, ni retenue, par toute cette assemblée chrétienne, réunie pas très loin des ruines de la basilique Saint-Néophyte, là où s’est tenu le premier concile œcuménique, dans un contexte théologique trouble en raison d’une hérésie qui portait atteinte à la divinité du Christ.
Nicée 2025, tournant et accélération
Alors, Nicée 2025, tournant ou accélération ? Il est encore tôt pour se prononcer. Nicée 2025 pourrait être les deux quand on mesure la concentration des messages œcuméniques de ces derniers jours.
La roue de l’histoire continue de tourner. Il n’est pas inutile de rappeler qu’Athénagoras Ier de Constantinople prévoyait la rencontre de Jérusalem en 1964 avec Jean XXIII et qu’il l’a eu in fine avec Paul VI. De rappeler aussi que Bartholomeos Ier attendait François en 2025 à Nicée et qu’il eut finalement Léon XIV. Au-delà des personnes et des époques, la feuille de route de ce chemin d’avancement et de convergence vers des compréhensions communes permettant la restauration de l’unité chrétienne brisée en 1054, n’était-elle pas déjà tracée depuis 1964 ?
Dans la déclaration commune prononcée à l’époque conjointement à la séance solennelle de Vatican II et à la cathédrale du Phanar, il est indiqué que « ce geste de justice et de pardon réciproque, le pape Paul VI et le patriarche Athénagoras Ier avec son saint-synode sont conscients qu’il ne peut suffire à mettre fin aux différends, anciens ou plus récents, qui subsistent entre l’Église catholique romaine et l’Église orthodoxe et qui, par l’action de l’Esprit Saint, seront surmontés grâce à la purification des cœurs, au regret des torts historiques ainsi qu’à une volonté efficace de parvenir à une intelligence et une expression commune de la foi apostolique et de ses exigences » (Tomos agapis, « livre de la charité », correspondance entre le pape Paul VI et le patriarche Athénagoras).
Oui, Nicée 2025 est une accélération mais pas encore un aboutissement. Il y a là une promesse d’espérance encore à soigner et à réaliser avec les exigences du dialogue de charité certes, mais aussi et surtout, du dialogue de vérité.
L’esprit conciliaire doit prévaloir en tout
Pour ce faire, la feuille de route de 1964 demeure pleinement et entièrement, le chemin à suivre en ce qu’elle appelle en premier lieu à l’action de l’Esprit Saint (qui ne peut se déployer que dans un cadre conciliaire), pour mettre fin aux différends qui subsistent « anciens ou plus récents », et puis qui fait appel aussi au besoin de « purification des cœurs », et enfin et surtout, fait appel à « une volonté efficace de parvenir à une intelligence et une expression commune de la foi apostolique et de ses exigences ».
Ainsi, avec les avancées dans le dialogue théologique et ecclésiologique sur les principales questions qui constituaient des points d’achoppement entre l’Église catholique et l’Église orthodoxe, comme la question du Filioque et celle de la juridiction de Rome, rien des promesses d’espérance de Nicée 2025 ne devra se faire ni ne se fera par effraction, par des arrangements bilatéraux, par imposition, ou par exclusion des uns et des autres. Tous sont appelés à la Table du Seigneur.
Que les esprits qui s’échauffent toujours pour marquer des radicalités qui perpétuent les divisions, se rassurent. L’esprit conciliaire doit prévaloir en tout. Plus que jamais, le dialogue de charité doit être complété et couronné par le dialogue de vérité.
Même si le périmètre des Églises était loin d’être au complet, l’actualité historique était présente en force à Nicée 2025 ! On ne pouvait en effet s’empêcher de penser aux prédécesseurs de Bartholomée et de Léon XIV qui ont tracé les lignes de ce chemin d’avancement vers l’unité, qui est appelé aujourd’hui à s’amplifier et, peut-être, si les bonnes conditions, intra-orthodoxes (besoin vital et préalable de surmonter les divisions orthodoxes actuelles) et intra-catholiques sont bien travaillées et réunies, à être couronné par la restauration de l’unité chrétienne brisée en 1054.
L’urgence de l’unité chrétienne, une nécessité vitale
Dans un monde ambivalent et trouble, marqué par des mutations géopolitiques et sociétales, l’urgence de l’unité chrétienne est plus que jamais une nécessité vitale pour l’Église et pour le monde d’aujourd’hui. Nicée 2025 a révélé le besoin aussi d’une accélération audacieuse selon l’esprit de l’Évangile qui intègre la dimension conciliaire et le besoin d’intégrer la dialectique de l’unité dans la diversité dans l’Église.
C’est en cela que Nicée 2025 pourrait être un tournant dans l’histoire de l’Église et une rencontre en 3D car elle a été aussi bien une commémoration, un appel et une exigence ! « Nous revenons à cette source limpide de la foi chrétienne afin d’aller de l’avant », disait le patriarche Bartholomeos, lors de sa salutation de bienvenue, lors du service œcuménique célébré à Nicée, le 28 novembre. Le mot d’ordre à venir serait-il : « Oser l’unité chrétienne » ?
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