Le Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou a commenté les propos du métropolite Grégoire de Peristéri publiés sur les sites « Orthodox TV » (le 5 février 2022) et « Aparchi » (le 6 février 2022). Dans le texte ci-dessous le Le DREE estime nécessaire de « réfuter les accusations, infondées des points de vue canonique et théologique, lancées contre l’Église orthodoxe russe ».
« Sous prétexte d’analyse canonique, Son Éminence le métropolite de Peristéri répand des accusations mensongères et calomnieuses sur l’Église russe, qui préparerait depuis 30 ans une stratégie d’invasion du territoire canonique des autres Églises locales, prétendrait à la juridiction universelle dans le monde orthodoxe, ses ambitions étant même inscrites dans ses Statuts. Le Département des relations ecclésiastiques extérieures déclare en toute responsabilité : ni dans leur forme actuelle, ni dans leurs précédentes versions, les Statuts de l’Église orthodoxe russe, un texte accessible au public, n’empiètent sur les frontières des autres Églises orthodoxes locales. Les Statuts de l’Église orthodoxe russe en vigueur énumèrent les états faisant partie de son territoire canonique : « La juridiction de l’Église orthodoxe russe s’étend aux personnes de confession orthodoxe, résidant sur le territoire canonique de l’Église orthodoxe russe : la Fédération de Russie, l’Ukraine, la République du Bélarus, la République de Moldavie, la République d’Azerbaïdjan, la République du Kazakhstan, la République populaire de Chine, la République de Kirghizie, la République lettone, la République lituanienne, la Mongolie, la République du Tadjikistan, la Turkménie, la République d’Ouzbékistan, la République estonienne, le Japon, ainsi que les orthodoxes résidant dans d’autres pays qui en font partie volontairement (I. 3). »
Rien de vient étayer la répétition irréfléchie des accusations d’ethnophylétisme, souvent prononcées contre l’Église orthodoxe russe. Si le métropolite de Peristéri avait fait l’effort de lire ses Statuts, il n’aurait trouvé nulle part la phrase : relèvent de sa juridiction « les personnes d’origine russe vivant dans le monde entier ». Par contre, il aurait découvert, dès les premières lignes de ce document, que « l’Église orthodoxe russe est une Église autocéphale locale multinationale, unie par la doctrine, par la communion de prière et par les canons aux autres Églises orthodoxes locales. » Cette affirmation réfute entièrement les thèses absurdes du théologien grec, comme quoi l’Église orthodoxe russe aurait elle-même annulé les causes de son autocéphalie, en ne respectant pas, soi-disant, les frontières des autres Églises locales, et ayant rompu la communion avec certaines d’entre elles.
L’Église russe est en communion avec le plérôme de l’orthodoxie, elle respecte les limites des Églises orthodoxes locales qui ne se sont pas souillées par la communion et la concélébration avec des schismatiques, elle reste en communion avec ces Églises. L’interruption de la communion avec les Églises locales et avec les archipasteurs en communion avec des « hiérarques » schismatiques excommuniés ou n’ayant pas reçu d’ordination canonique, est fondée sur la norme canonique suivante : « Si… un des évêques, des presbytres, des diacres ou un autre membre du clergé a été en contact avec des excommuniés, qu’il soit aussi excommunié, comme ayant causé du trouble dans l’Église » (Concile d’Antioche, canon 2 ; Canons apostoliques, 10 et 11).
Aucun document historique ne fait état de décisions panorthodoxes sur la suspension provisoire ou définitive d’une autocéphalie. La liquidation du statut de certaines Églises locales – sur le territoire de l’Empire byzantin ou celui de l’Empire ottoman, par exemple – émanait des autorités civiles, découlait de documents civils.
Des décisions semblables peuvent d’autant moins être prises par le « Concile de la Pentarchie » dont parle le métropolite Grégoire de Peristéri. Nous sommes forcés de rappeler que la théorie de la « pentarchie » est apparue dans l’Orient orthodoxe entre le VIe et le VIIIe siècle, mais qu’elle n’a jamais été universellement reconnue dans le monde chrétien. D’une part, elle n’a pas été reconnue par l’Église romaine. D’autre part, cette théorie ignore l’existence d’autres Églises autocéphales à la même époque, notamment l’Église géorgienne et l’Église chypriote.
Depuis que les quatre patriarches orientaux – ceux de Constantinople, d’Alexandrie, d’Antioche et de Jérusalem – ont reconnu la dignité de patriarche au primat de l’Église autocéphale russe, à la fin du XVIe siècle, ce dernier a occupé la cinquième place dans les diptyques des Églises orthodoxes locales.
En son temps, l’idée de « pentarchie » a été utilisée par certains théologiens pour symboliser l’égalité des primats des Églises locales, afin de faire contrepoids aux ambitions des patriarches iconoclastes de Constantinople et à l’absolutisme de l’autorité papale dans l’Église romaine. Il est triste de constater aujourd’hui que Son Éminence le métropolite de Peristéri recourt au concept de « concorde unanime des cinq patriarches » (saint Théodore Studite, épître 478) pour nier l’égalité des Églises orthodoxes locales au profit des ambitions papistes nouvelles de l’Église constantinopolitaine.
L’Église orthodoxe russe a toujours respecté les Patriarcats orientaux, elle les a soutenus par tous les moyens pendant des siècles, et elle lutte aujourd’hui infatigablement pour que ces Patriarcats continuent à exister sur leur territoire historique, alors que s’aggravent les répressions contre les chrétiens au Proche-Orient.
Concernant l’Exarchat patriarcal d’Afrique, les raisons et les circonstances exceptionnelles qui ont amené à sa création sont décrites dans la Déclaration du Saint-Synode de l’Église orthodoxe russe datée du 28 janvier 2022. Il y est souligné, notamment, que la création de l’Exarchat « n’est pas l’expression de prétentions au territoire canonique de l’antique Église d’Alexandrie ; elle ne poursuit qu’un seul objectif : défendre canoniquement les clercs orthodoxes d’Afrique qui ne souhaitent pas participer à la légitimation illégale du schisme en Ukraine ».
Le métropolite Grégoire de Peristéri donne une fausse interprétation de la séparation de l’Église orthodoxe russe du Patriarcat de Constantinople au XVe siècle, parlant de « schisme ». Remarquons que le métropolite de Peristéri ne qualifie pas de schisme la séparation des Églises d’Orient et d’Occident de 1054, affirmant qu’il s’agit simplement d’une « rupture de la communion entre deux Patriarcats à cause de certains désaccords ». Nous aimerions rappeler que l’Église russe fut contrainte de se séparer de Constantinople lorsque le Patriarcat de Constantinople accepta l’union de 1439, et après que le métropolite Isidore, envoyé par le patriarche de Constantinople au siège moscovite, eut commémoré pendant un office à Moscou le pape de Rome, annonçant la réunification avec l’Église catholique romaine.
Revenue de l’union, l’Église de Constantinople, qui s’était déjà plus d’une fois écartée de l’orthodoxie, n’a jamais appelé schisme l’autonomie acquise par l’Église russe. En 1561, par exemple, le patriarche Josaphat II de Constantinople, et 36 hiérarques de l’Église constantinopolitaine confirmèrent collégialement le couronnement du tsar russe Ivan le Terrible, célébré par le métropolite Macaire de Moscou, sans rien objecter à la canonicité de sa célébration et aux pleins-pouvoirs du métropolite Macaire. Bien plus, le patriarche envoya au métropolite Macaire une lettre fraternelle, « l’Épître doctorale sur les Écritures divines », se disant inquiet de l’expansion du luthéranisme « dans vos terres de Petite Russie », appelant à veiller fermement à l’orthodoxie, ce qui aurait été totalement déplacé à l’adresse d’un schismatique.
De la façon la plus scandaleuse, le métropolite de Peristéri compare l’octroi du statut de Patriarcat à l’Église russe en 1593 à l’octroi de l’autocéphalie au schisme ukrainien en 2018, considérant les deux procédures comme pratiquement identiques. Cette comparaison est incorrecte. Dans le premier cas, il s’agit d’une décision conciliaire, car si le patriarche Jérémie II de Constantinople a bien cherché à agir unilatéralement, sa tentative n’a pas été approuvée des autres patriarches orientaux. A l’insistance du patriarche Mélèce Pigas d’Alexandrie, le statut de Patriarcat a été accordé à l’Église russe conciliairement, par l’acte du Saint et Grand Concile de 1593, à Constantinople, signé par tous les patriarches orientaux. Le texte ne dit pas un mot d’une prétendue confirmation de l’autocéphalie de l’Église russe, qui était déjà reconnue de facto à cette époque par l’Église orthodoxe dans son ensemble.
Au contraire, dans le cas de la reconnaissance du schisme ukrainien, en 2018, l’Église constantinopolitaine légalisa unilatéralement le statut canonique d’individus n’ayant pas été canoniquement ordonnés, et ne s’inscrivant pas même dans la succession apostolique.
Le métropolite Grégoire de Peristéri insiste sur les prétendus privilèges des Églises mentionnées dans les actes des Conciles œcuméniques, par rapport aux Églises locales apparues plus tardivement. Il invente aussi une classification des Patriarcats en « patriarcats de la cité » et « patriarcats de province », n’ayant aucun fondement dans le droit canon de l’Église orthodoxe. Son Éminence de Peristéri déclare littéralement : « Patriarche de Moscou est un titre qui n’existe pas ». Rappelons-lui le texte de l’acte du Saint et Grand Concile de 1593 :
« Le patriarche de Moscou et de toutes les Russies et des pays septentrionaux occupera la place qui suit Sa Toute-Sainteté de Jérusalem, dans les diptyques sacrés, aussi bien que dans les assemblées ecclésiales… chez lui il sera et sera considéré comme le chef de toute la province de Moscou et de toutes les Russies et des pays septentrionaux… il sera aussi et s’appellera le frère des patriarches orthodoxes, selon la puissance de cette appellation, leur étant égal en rang et en dignité par le rite et par le siège ; qu’il soit dénommé et qu’il signe selon l’usage des patriarches orthodoxes : « patriarche de Moscou et de toutes les Russies et des pays septentrionaux ».
Le texte de cet acte conciliaire souligne spécialement que le patriarche de Moscou est l’égal des autres primats des Églises antiques. Comme il ressort du texte, le Concile accorde au patriarche de Moscou la cinquième place dans les diptyques, juste après le Patriarcat de Jérusalem. L’opinion du métropolite de Peristéri, pour qui la cinquième place de l’Église russe dans les diptyques est une « erreur à corriger », sa proposition de mettre l’Église de Chypre à sa place, sont en contradiction directe avec l’usage ecclésiastique et avec la décision conciliaire de l’Église orthodoxe, communément admise ; elles ne peuvent s’expliquer que par le besoin aigu d’alliés politiques.
D’autres déclarations du métropolite de Peristéri suscitent une profonde stupéfaction : selon lui, le droit d’octroyer l’autocéphalie appartient exclusivement à chacune « des doyennes » des Églises locales. Le mode d’octroi de l’autocéphalie n’est pas décrit dans les canons de l’Église orthodoxe. A l’époque contemporaine, il a fait l’objet d’accords entre toutes les Églises orthodoxes locales, dont les Églises de Constantinople et de Grèce, aux réunions de la Commission préparatoire interorthodoxe de Chambésy en novembre 1993 et en décembre 2009. Ce mode d’octroi prévoyait, d’une part, le respect des prérogatives de l’Église kyriachale, qui devait évaluer les conditions ecclésiologiques, canoniques et pastorales à l’octroi de l’autocéphalie, d’autre part le consensus panorthodoxe et le rôle coordinateur du patriarche œcuménique. Par la suite, l’Église constantinopolitaine a renoncé publiquement à ce document, annonçant qu’elle seule possède le droit d’accorder unilatéralement l’autocéphalie. Le métropolite de Peristéri, lui, propose un nouveau modèle d’octroi de l’autocéphalie, encore inédit dans les Églises locales.
D’autres affirmations de Son Éminence de Peristéri sont arbitraires et infondées, par exemple l’idée que l’autocéphalie aurait été accordée à l’Église russe à condition qu’elle reste dans les limites de la Russie et qu’elle demeure en communion avec les autres Églises ; que l’Église russe aurait outrepassé ces conditions ; que, par conséquent, cette autocéphalie peut être annulé par un Concile de primats choisis, auxquels est attribué un statut particulier et des privilèges dans l’Église.
L’octroi de l’autocéphalie et du statut de patriarcat à une Église locale est un acte inconditionnel, qui ne peut être ni limité, ni annulé. Le territoire canonique de chacun des Patriarcats aujourd’hui existants, y compris celui délimité par les Conciles œcuméniques, s’est agrandi plus d’une fois, a été revu en raison de processus historiques objectifs, et ne se limite pas au territoire d’un état quelconque. S’agissant des limites de la juridiction du patriarche de Moscou, l’Acte du Concile des patriarches orientaux de 1593 ne parle que de « toutes les Russies et des pays septentrionaux », sans plus de précision.
Fait sans précédent, la hiérarchie actuelle du Patriarcat de Constantinople a tenté de revoir de façon volontariste les limites séculaires des Églises locales, de désavouer ses propres documents, approuvés en concile il y a trois cents ans, interprétant de façon malintentionnée leur sens évident jusqu’alors, et faisant passer sa propre position pour celle des pères et de l’Église.
Les agissements unilatéraux du Patriarcat de Constantinople en Ukraine, soit la reconnaissance anticanonique du schisme ukrainien, notamment la reconnaissance d’individus n’ayant pas été canoniquement ordonnés, l’octroi d’un statut « d’autocéphalie » à ces individus, en dépit de la volonté de l’épiscopat, du clergé et des fidèles de l’Église orthodoxe ukrainienne canonique, ont eu des conséquences terribles non seulement pour l’unité de l’Église orthodoxe, mais aussi pour l’unité de la compréhension théologique de principes canoniques et ecclésiologiques de base. Ils ont entraîné une politisation extrême de la théologie orthodoxe et son abaissement au niveau d’une sophistique vide de sens, rappelant l’époque des ariens, dont saint Grégoire le Théologien disait : « Ayant abandonné les voies de la piété, ils se donnent pour seul but de poser ou de résoudre une question quelconque, ressemblant à des lutteurs de foire, montrant non un de ces combats qui mènent à la victoire selon les lois de la lutte, mais un combat attirant les regards de ceux qui n’y connaissent rien, et recevant leur approbation. » L’audace et l’inventivité fantastique des expérimentateurs d’aujourd’hui dans le domaine de la théologie et de l’ecclésiologie ne sont pas fondées sur la doctrine de l’Église, ni sur sa pratique historique, mais sur la conjoncture politique.
Selon les idées fantasques du métropolite de Peristéri, les Églises orthodoxes locales existantes se classent en Églises de première et de seconde sorte. Les Églises de première sorte sont celles mentionnées dans les actes des Conciles œcuméniques : les quatre premiers Patriarcats (sans celui de Rome) et l’Église de Chypre. Les autres Églises relèvent de la seconde classe. Les premières doivent commander aux secondes, prendre les décisions pour elles. Tout cela ressemble à de la démagogie, misérable et canoniquement nulle, destinée à justifier les mesures prises par le Patriarcat de Constantinople pour légaliser le schisme ukrainien, mesures qui apparaissent de plus en plus évidemment comme erronées ».