Pour comprendre le sens des récits évangéliques, de certains épisodes et propos de Jésus, il est très important de savoir correctement interpréter le texte de l’Évangile. En effet, aucun livre au monde ne possède une histoire interprétative aussi riche et ne fut commenté de façons aussi différentes selon les époques, les auteurs et les contextes.
Les périodes de l’interprétation
L’histoire de l’interprétation de l’histoire évangélique peut être divisée en plusieurs périodes. En fait, nous allons la répartir en cinq périodes :
- 1er siècle;
- Époque des Pères apostoliques (2e-3e siècles);
- Époque des Conciles œcuméniques (4e-8e siècles);
- Dix siècles après la période des Conciles jusqu’au 18e siècle;
- Époque de la critique biblique (deuxième moitié du 18e siècle jusqu’à nos jours).
Dans cet article-ci, nous nous arrêtons sur les deux premières étapes. Aux 3e, 4e, et 5e étapes, nous consacrerons les trois articles prochains.
Première période: 1er siècle
Durant le premier siècle, l’histoire évangélique a été consignée par plusieurs auteurs.
Comme nous l’avons dit, le texte des Évangiles contient lui-même non seulement une trame narrative, mais également une interprétation des événements décrits.
En outre, les Épîtres de Paul ont apporté une contribution décisive dans le domaine de l’interprétation religieuse de l’histoire évangélique, car elles ont posé les bases de l’exégèse théologique ultérieure.
Deuxième période: des Pères Apostoliques
La période des Pères apostoliques correspond à l’activité de Clément de Rome, Ignace d’Antioche, Clément d’Alexandrie, Papias d’Hiéropolis, Irénée de Lyon, Tertullien, Origène et d’autres auteurs paléochrétiens, tant orientaux qu’occidentaux, qui se sont attachés à l’étude et au commentaire des récits évangéliques.
Durant cette période qui couvre les 2e et 3e siècles, les Évangiles sont perçus comme étant une source autorisée d’informations sur Jésus-Christ: ils commencent à être considérés comme Écritures saintes par tous les chrétiens, ils sont volontiers commentés, les auteurs les citent dans leurs œuvres.
Ignace d’Antioche, l’un des Pères apostoliques, fait, en parlant de l’interprétation de l’Évangile, l’exhortation suivante:
«[J’obtiens] l’héritage dont j’ai reçu la miséricorde, me réfugiant dans l’Évangile comme dans la chair de Jésus-Christ, et dans les Apôtres comme au presbyterium de l’Église. [A]imons aussi les prophètes, car eux aussi ont annoncé l’Évangile, ils ont espéré en Lui, le Christ, et L’ont attendu; croyant en Lui, ils ont été sauvés.»
Ignace d’Antioche, Polycarpe de Smyrne, Lettres, Martyres de Polycarpe, Cerf, 1958, SC n° 10, p. 145
Origène: l’Évangile est «la chair de Jésus»
L’enseignement selon lequel l’Évangile est « la chair de Jésus », son incarnation dans la parole, fut développé par Origène.
Dans toute l’Écriture Origène voit la kénose (le dépouillement) de Dieu le Verbe, s’incarnant dans les formes imparfaites des paroles humaines:
«Les paroles dites ici-bas et que nous considérons comme Verbe de Dieu, sont proclamées une fois le Verbe fait chair, lorsqu’il s’est « anéanti » de Son état de Dieu qu’il avait auprès de Dieu (Jn 1:2). Aussi, le Verbe de Dieu sur terre, puisqu’il est devenu homme, nous le voyons de façon humaine. Car « le Verbe s’est fait chair » en tout temps dans les Écritures, afin de séjourner parmi nous (Jn 1:14).»
Origène, Philocalie, 1-20, Sur les Écritures et la lettre à Africanus sur l’histoire de Suzanne, coll. SC n° 302, 1983, p. 439
Origène fut l’un des fondateurs de la méthode, dite allégorique ou spirituelle, de l’interprétation des Écritures, basée sur l’idée que les Écritures contiennent non seulement un sens littéral, «mais aussi un autre [sens] qui échappe à la plupart. Ce qui y est décrit est la figure de certains mystères et l’image des réalités divines»:
«[Le sens spirituel des Écritures] n’est pas connu de tous, mais de ceux-là qui ont reçu la grâce du Saint-Esprit dans la parole de sagesse et de connaissance.»
Origène, Traité des principes, t. 1 (livres I et II), SC n° 252, 1978, p. 85, 87
Influence de Philon d’Alexandrie sur l’interprétation allégorique
La méthode d’interprétation allégorique des Saintes Écritures s’est fortement répandue dans la Tradition chrétienne grâce aux commentaires de l’Ancien Testament du Juif Philon d’Alexandrie (env. 25 av. J.-C.-env. 50 ap. J.-C.).
Écrits en grec, ces commentaires ont été oubliés dans le judaïsme tardif, mais ils ont exercé une influence déterminante sur l’emploi de la méthode allégorique chez les auteurs chrétiens, et sont parvenus jusqu’à nous justement grâce aux copistes chrétiens de ses œuvres.
Origène était manifestement influencé par Philon d'Alexandrie lorsqu'il écrivait ses commentaires. À l'instar de Philon, Origène est parti de l'idée qu'il existe dans les Écritures deux niveaux sémantiques, littéral et spirituel, et qu'il faut absolument percevoir dans chaque parole des Écritures un sens allégorique, symbolique.
Origène a commenté de nombreux livres de la Bible à l’aide de cette méthode, qui pourrait sembler stérile et vaine au lecteur moderne, mais qui s’accordait avec la tradition culturelle des Grecs érudits de son époque.
Cet article fait partie de la série basée sur les six volumes de « Jésus-Christ. Vie et Enseignement » par le métropolite Hilarion Alfeyev, disponible tous les vendredis sur cette page. Pour obtenir votre exemplaire du premier volume, « Début de l’Évangile », visitez le site des Éditions des Syrtes.