Comme nous avons souligné dans l’article précédent, la troisième période de l’histoire de l’interprétation du texte évangélique s’étend du 4e au 8e siècle et recouvre toute l’époque des Conciles œcuméniques. C’est celle qui offre le matériau le plus riche pour l’interprétation de l’histoire évangélique.
Ainsi, nous avons parlé du développement de l’interprétation allégorique et de la tradition de l’interprétation littérale en Orient et en Occident à cette époque.
Ici, nous nous arrêtons sur l’approche typologique des textes de l’Ancien Testament, l’interprétation indivisible des Écritures et la tradition de la lecture quotidienne de l’Évangile durant les offices.
Approche typologique des textes de l’Ancien Testament
À l’époque des Conciles œcuméniques, l’approche des textes de l’Ancien Testament consistant à considérer ces textes comme préfigurant des faits du Nouveau Testament et à les examiner à travers ce prisme s’est définitivement constituée. Dans la littérature scientifique, ce genre de commentaires a reçu le nom de « typologique ».
Cette approche avait été inaugurée par Jésus lui-même, qui disait en parlant de l’Ancien Testament: « Vous sondez les Écritures, parce que vous pensez avoir en elles la vie éternelle: ce sont elles qui rendent témoignage de Moi » (Jn. 5:39). Par suite de cette exhortation présente dans les Évangiles (en particulier chez Matthieu), de nombreux événements de sa vie furent interprétés comme l’accomplissement des prophéties de l’Ancien Testament.
Interprétation indivisible des Écritures
Dans la Tradition chrétienne, l'Ancien Testament, l'Évangile et le corpus des Épîtres apostoliques sont considérés comme les trois parties d'un tout indivisible. Cependant, on accorde une préférence incontestable à l'Évangile comme source faisant parvenir aux chrétiens la voix vivante de Jésus; l'Ancien Testament est perçu comme une préfiguration des vérités chrétiennes; les épîtres, elles, sont vues comme une interprétation faisant autorité et appartenant aux disciples les plus proches du Christ des Évangiles.
Lecture quotidienne de l’Évangile durant les offices
C’est à l’époque des Conciles œcuméniques que fut introduite la tradition de la lecture quotidienne de l’Évangile durant les offices. Cette tradition est jusqu’à ce jour en usage dans l’Église orthodoxe.
Les quatre Évangiles sont lus intégralement au cours de l’année durant les offices orthodoxes (un programme de lecture de l’Évangile, que les fidèles écoutent debout, est défini pour chaque jour du calendrier religieux). Durant la semaine de la Passion, les récits des quatre évangélistes consacrés à la passion du Christ sont lus intégralement.
Le cycle annuel des lectures de l’Évangile commence la nuit de Pâques, lorsqu’on lit le prologue de l’Évangile de Jean. Après l’Évangile de Jean, qui est lu durant toute la période pascale, commence la lecture des Évangiles de Matthieu, de Marc et de Luc.
Les Actes des apôtres, les Épîtres universelles et les Épîtres de Paul sont également lus quotidiennement à l’église et intégralement au cours de l’année: la lecture des Actes commence la nuit de Pâques et se poursuit durant toute la période pascale, ensuite viennent les Épîtres universelles et pauliniennes.
Les Saintes Écritures et les vérités dogmatiques
À l’époque des Conciles œcuméniques, s’est forgée dans l’Église chrétienne l’idée que les Saintes Écritures renfermaient toutes les vérités dogmatiques: il suffit de les discerner.
Grégoire le Théologien suggère une méthode de lecture des Écritures que l’on pourrait qualifier de rétrospective: elle consiste à examiner les textes scripturaires en partant de la Tradition de l’Église qui a suivi, et d’y repérer les dogmes qui ont été formulés de façon plus complète à l’époque ultérieure. C’est l’approche des Écritures qui domine durant toute l’époque patristique.
Grégoire considérait notamment que l’enseignement sur la Sainte-Trinité était contenu non seulement dans les textes du Nouveau Testament, mais aussi dans les textes vétérotestamentaires. Ainsi, d’après Grégoire le Théologien, il faut lire les Écritures à la lumière de la tradition dogmatique de l’Église.
«Avec David, sois illuminé – lui qui dit à la Lumière: « Dans ta Lumière nous verrons la Lumière » (Ps. 35:10); comme s’il disait: « Dans l’Esprit saint nous verrons le Fils »; que pourrait-il y avoir de plus resplendissant? Avec Jean, le fils du tonnerre, tonne, sans faire entendre au sujet de Dieu rien qui soit bas ou qui vienne de la terre, mais un langage élevé et sublime: reconnais comme Dieu le Verbe qui était au commencement et qui était auprès de Dieu et qui était Dieu (Jn. 1:1), et vrai Dieu venant du vrai Père (…). Lorsque tu lis: « Moi et le Père, nous sommes un (Jn. 10:30) », représente-toi la connexion de l’essence. Lorsque tu lis: « Nous viendrons à lui et nous ferons chez lui notre demeure (Jn. 14:23) », songe à la distinction des hypostases; et lorsque tu lis les noms de Père, de Fils et de Saint-Esprit (Mt. 28:19), pense aux trois propriétés. Avec Luc, sois inspiré en étudiant les Actes des Apôtres. Pourquoi le mets-tu au rang d’Ananie et de Saphire? (…), c’est la divinité elle-même que tu voles, et tu mens « non pas à un homme, mais à Dieu » (Ac. 5:4), comme tu l’as entendu.»
Grégoire de Nazianze, Homélie 34, Discours 32-37, 1985, SC n° 318, pp. 221, 223, 125.
Au 4e siècle, chrétiens orthodoxes comme hérétiques recouraient aux textes scripturaires pour justifier leurs positions théologiques. Ils appliquaient aux mêmes textes des critères différents en fonction de ces positions et les interprétaient différemment.
Pour Grégoire le Théologien comme pour les autres Pères de l'Église, en particulier Irénée de Lyon, il n'existe qu'un seul critère pour aborder correctement les Écritures, c'est la fidélité à la Tradition de l'Église.
La seule interprétation qui soit légitime, selon ces auteurs, est celle qui se fonde sur la Tradition de l’Église; toute autre interprétation est fausse, car elle « vole » la Divinité. En-dehors du contexte de la Tradition, les textes bibliques perdent leur signification dogmatique. Et inversement, à l’intérieur de la Tradition, même les textes qui n’expriment pas directement les vérités dogmatiques acquièrent une signification nouvelle.
Les chrétiens voient dans les textes scripturaires ce que n’y voient pas les non-chrétiens; aux orthodoxes est révélé ce qui reste caché aux hérétiques. Le mystère de la Trinité reste, pour ceux qui sont en dehors de l’Église, dissimulé sous un voile qui n’est levé que par le Christ, et uniquement pour ceux qui demeurent dans l’Église.
Cet article fait partie de la série basée sur les six volumes de « Jésus-Christ. Vie et Enseignement » par le métropolite Hilarion Alfeyev, disponible tous les vendredis sur cette page. Pour obtenir votre exemplaire du premier volume, « Début de l’Évangile », visitez le site des Éditions des Syrtes.