Les interprétations typologique, allégorique et anagogique qui se sont forgées à l’époque des Conciles œcuméniques, et ont perdu dans une certaine mesure de leur actualité pour le chercheur moderne étudiant le texte évangélique, ont été préservées dans le culte de l’Église orthodoxe.
Le but premier de la lecture des Écritures durant les offices est de permettre aux fidèles de devenir des participants des événements décrits, de partager l’expérience des personnages bibliques, de se l’approprier et d’en faire sa propre expérience.
Les interprétations liturgiques
Dans les textes liturgiques de la Semaine sainte, nous rencontrons de nombreux exemples de commentaires des Écritures faisant référence à la vie intérieure, spirituelle, du chrétien. En marchant jour après jour dans les pas de Jésus, le croyant devient lui-même un participant des événements décrits dans les Évangiles.
Par exemple, l’épisode du figuier desséché (Mt 21:19) est commenté dans les termes suivants:
«Du figuier, desséché pour n’avoir point de fruit, craignons, mes frères, le châtiment et offrons les dignes fruits du repentir au Christ.»
Triode de Carême, Lundi saint, Matines, stichère, ton 8, Diaconie apostolique, Parme, 1993.
L’épisode de la trahison de Judas conduit l’auteur des textes liturgiques à entamer, avec son auditeur, un dialogue avec Judas: «Quelle est la cause, Judas, qui t’a fait trahir le Sauveur? Du chœur des apôtres t’avait-il rejeté, t’avait-il privé du don de guérir, de la table commune t’avait-il écarté, avait-il dédaigné de te laver les pieds? Tu n’as pas gardé le souvenir de tant de bienfaits, et ton ingratitude se révèle hautement?»
Dans une hymne dédiée à la Crucifixion, l’auteur écrit au nom de la Vierge Marie, et dans une hymne dédiée aux funérailles de Jésus, c’est au nom de Joseph d’Arimathée.
Durant les matines du Vendredi saint, on lit douze extraits consacrés à la passion du Christ, tirés des quatre Évangiles. Au cours de cet office, on chante les paroles suivantes:
«Le tombeau fut Ta demeure; dans la mort comment descend notre Vie… Ô Jésus, douce lumière qui m’éclaires et donnes au monde le salut, au sépulcre ténébreux comment te caches-tu?… Ô Joseph, homme trois fois heureux, tu rends hommage au corps immaculé.»
Triode de Carême, Vendredi saint, Office des 12 Évangiles, op. cit., p. 584.
Le fidèle est si profondément plongé dans le drame liturgique de la Semaine sainte qu'il entre en dialogue avec tous ses protagonistes. Les souffrances de Jésus sont revécues par le fidèle orthodoxe pour devenir en quelque sorte une partie de sa propre expérience.
La tradition monastique
Dans l’histoire de l’interprétation de l’Évangile, telle qu’elle s’est développée à l’époque des Conciles œcuméniques, la tradition monastique occupe une place à part. Il s’est forgé dans le milieu monastique un recours aux Saintes Écritures comme source d’inspiration religieuse: les moines ne faisaient pas que les lire et les commenter, ils les apprenaient également par cœur.
La tradition monastique se distingue par une utilisation tout à fait particulière des Saintes Écritures, que l’on appelle la μελέτη (la réflexion, la méditation) qui supposait la constante répétition, à voix haute ou basse, de versets ou d’extraits de la Bible. En Occident existait une pratique analogue, qui a reçu le nom de lectio divina (lecture divine).
Les moines, en règle générale, ne s'intéressaient pas à l'exégèse savante de l'Écriture sainte: ils considéraient les Saintes Écritures comme un guide de vie pratique et essayaient de les comprendre en appliquant ce qui y était écrit.
Dans leurs écrits, les Pères ascètes insistent sur le fait que tout ce qui est écrit dans les Saintes Écritures doit être appliqué dans la vie personnelle de chacun: alors, même le sens caché des Saintes Écritures deviendra limpide.
Cette approche des Écritures est surtout caractéristique des Apophtègmes des Pères du désert. «Il est bon de faire ce qui est écrit», dit abba Gérontios (4e siècle). Cette formule simple résume toute l’expérience de l’interprétation et de la compréhension de l’Écriture dans le monachisme primitif.
Les paroles suivantes d’Antoine le Grand (4e siècle) sont également éloquentes à cet égard:
«Où que tu ailles, aie toujours Dieu devant les yeux; quoi que tu fasses, aie le témoignage des Saintes Écritures.»
Triode de Carême, Vendredi saint, Matines, stances, p. 572, p. 584.
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