Suite au compte-rendu établi par le Conseil œcuménique des Églises concernant la rencontre à Moscou de son secrétaire général par intérim, le père Ioan Sauca, avec le patriarche Cyrille, nous publions maintenant celui du Département des affaires ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou sur le même sujet :
« Service de communications du DREE, 18.10.2022. Le 17 octobre 2022, Sa Sainteté le patriarche Cyrille de Moscou et de toutes les Russies a reçu l’archiprêtre Ioan Sauca, secrétaire général par intérim du Conseil œcuménique des Églises.
La rencontre avait lieu à la résidence patriarcale et synodale du monastère Saint-Daniel de Moscou. Y ont également pris part le métropolite Antoine de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, l’archimandrite Philarète (Boulekov), vice-président du DREE, l’archiprêtre Mikhaïl Goundiaïev, représentant du Patriarcat de Moscou auprès du Conseil œcuménique des Églises et des organisations internationales à Genève, le hiéromoine Stéphane (Igoumnov), secrétaire du DREE chargé des relations interchrétiennes, et Benjamin Simon, collaborateur du CŒE.
Le patriarche Cyrille a d’abord souhaité la bienvenue à son hôte : « J’apprécie beaucoup que vous soyez venu en Russie en cette période difficile, pour m’y rencontrer ainsi que mes confrères, pour parler des relations internationales. Naturellement, cette situation a des conséquences sur les rapports entre les Églises. »
Soulignant l’importance de la contribution du Conseil œcuménique des Églises à la résolution des différents problèmes existants entre les peuples, le patriarche Cyrille a partagé ses souvenirs du temps où il était représentant du Patriarcat de Moscou auprès du CŒE, à Genève, de 1971 à 1974.
« Je me souviens de multiples crises politiques, qui mettaient le mouvement interchrétien dans une position très difficile, l’existence même du CŒE étant remise en question, a poursuivi Sa Sainteté. Mais nous avons toujours trouvé le moyen de sortir de ces situations de crise et d’aider les Églises à participer aux processus de paix. »
La situation actuelle dans le monde a également un impact sur les relations entre Églises, a constaté le primat, mentionnant également les problèmes engendrés par la pandémie de coronavirus, qui a douloureusement influencé la vie quotidienne et eu des répercussions sur la vie des Églises. « J’aimerais souligner avec reconnaissance que le Conseil œcuménique des Églises, en cette période difficile, est parvenu à faire face aux tâches et aux défis qui se posaient à lui » a déclaré le patriarche Cyrille.
Le primat a aussi donné une haute appréciation de la XIe Assemblée générale du Conseil œcuménique des Églises, qui s’est déroulée du 31 août au 8 septembre à Karlsruhe. « Elle n’a pas été simple, des questions critiques ont été soulevées, dont l’une concernait l’Église orthodoxe russe. Certains ont exigé que l’Église russe soit exclue du Conseil œcuménique des Églises, a rappelé le patriarche Cyrille. Mais l’Assemblée n’a pas suivi. »
« Nous traversons une période assez difficile, je dirais même critique, à cause de certains conflits, notamment autour de l’Ukraine » a constaté le primat de l’Église russe. La majorité des observateurs viennent seulement de découvrir une crise qui existe pourtant depuis 2014 : « L’Ukraine a commencé à bombarder le Donbass il y a huit ans. La réalité est la suivante : des habitations détruites, de très nombreuses victimes. Plus de 2 millions de réfugiés de cette région ont afflué vers la Russie. Pendant ces années, j’ai personnellement envoyé trois messages aux dirigeants politiques et religieux du monde, y compris à ceux du COŒ, leur demandant d’intervenir pour que les problèmes soient résolus par le dialogue et la médiation, pour éviter des victimes et des destructions. Je n’ai pas reçu de réponses concrètes et mes appels n’ont recueilli qu’un silence total. Néanmoins, j’ai espéré et je continue à espérer que nous, l’Église, devons sortir du cadre de la logique et des intérêts pour chercher une paix juste. »
Le patriarche a souligné que dans cette situation difficile, le Donbass et les autres zones de conflit exigeaient une attention particulière. « En premier lieu, il importe que le sang cesse de couler, qu’on cesse de détruire des bâtiments et des infrastructures, qu’il soit mis un terme aux souffrances des gens. C’est pourquoi nous avons intérêt à attirer l’attention objective de nos partenaires œcuméniques sur cette situation difficile et tragique ; il faut convaincre les leaders du monde d’apporter la paix par les négociations et le dialogue, et non en versant le sang et en détruisant » a constaté le patriarche.
Il a aussi mentionné la visite du Conseil œcuménique des Églises et de l’organisation caritative interchrétienne ACT Alliance dans les diocèses de Rostov et de Chakhtinsk, qui ont pris connaissance du travail de l’Église orthodoxe russe en faveur des sinistrés. « J’espère que vous pourrez découvrir demain le travail de notre état-major chargé de l’aide humanitaire. Cet état-major travaille à Moscou, mais il a pour vocation d’apporter une aide réelle aux personnes qui souffrent du conflit » a expliqué le patriarche Cyrille de Moscou et de toutes les Russies.
« L’action de notre état-major humanitaire et de l’Église russe en général au niveau officiel n’est qu’une petite part de l’aide que les orthodoxes de Russie apportent vraiment, a constaté le patriarche. Il y a de très nombreuses initiatives, émanant de personnes privées, des paroisses, des mouvements de jeunesse. De façon totalement informelle, sans même être soutenus par les autorités ecclésiastiques, des gens vont sur les lieux pour aider les victimes, partager leurs ressources avec les nécessiteux. Une partie de ce travail est reflétée dans les publications du site officiel du Patriarcat de Moscou. L’aide que nous avons pu collecter se chiffre en millions de roubles, en milliers de tonnes de produits alimentaires et de tout ce qui peut être nécessaire aux gens dans les conditions dans lesquelles ils se retrouvent. »
Ayant remercié le primat de l’Église orthodoxe russe de son accueil, l’archiprêtre Ioan Sauca a souligné : « Les membres du Conseil œcuménique des Églises attendaient cette rencontre. Nous sommes venus à la demande du Comité central du COŒ. J’ai été chargé de rendre visite à nos membres les plus profondément blessés : en Syrie, au Liban, en Israël, en Palestine, plus tard en Ukraine et me voilà enfin en Russie. Vous connaissez les craintes qui ont été formulées par les membres du Conseil œcuménique des Églises au sujet de la guerre entre l’Ukraine et la Russie. Vous connaissez aussi les positions que nous avons fait connaître pendant les réunions du Comité central du COŒ. Ces déclarations ont été élaborées, notamment, avec les représentants de l’Église orthodoxe russe. Je suis reconnaissant des réponses aux lettres que nous vous avions adressées au nom du COŒ. Nous sommes venus pour comprendre ce que nous pouvons faire ensemble pour bâtir des ponts de paix et de réconciliation, voir par quel moyen arrêter l’effusion de sang et prévenir le danger d’incendie nucléaire. »
Évoquant la situation au Donbass, dont venait de parler le patriarche Cyrille, le secrétaire général par intérim du COŒ a déclaré : « Je suis au courant des lettres que vous avez envoyées aux dirigeants entre 2014 et 2020. Vous attiriez l’attention sur la situation et demandiez un dialogue. Le problème est que les gens soit ont oublié, soit n’ont jamais entendu. Je pense qu’il serait utile de faire une déclaration dans laquelle vous mentionneriez tout ce qui vient d’être dit : qu’il faut cesser les tueries, les destructions d’infrastructures, chercher la paix et la réconciliation. Cela aiderait le monde entier et l’Église orthodoxe et ferait connaître clairement votre position personnelle sur la guerre. »
L’archiprêtre Ioan Sauca a aussi évoqué les appels à exclure l’Église orthodoxe russe du COŒ de la part de plusieurs membres du Conseil œcuménique des Églises.
« Quand cette proposition a été soumise au vote, tous les membres du Comité central ont voté unanimement pour que l’Église orthodoxe russe reste dans la famille du COŒ, mais aussi pour la poursuite du dialogue, notamment au sujet de l’argumentation théologique et du soutien à la guerre, qui, selon certains, auraient transparu dans certaines de vos homélies et de vos déclarations. Les participants à la discussion ont remarqué que certaines personnes, sans faire de citations complètes des déclarations du patriarche de Moscou et de toutes les Russies, en tirent certaines phrases, les utilisant pour bâtir des accusations contre le primat de l’Église orthodoxe russe. »
En même temps, selon l’archiprêtre Ioan Sauca, dans la situation actuelle, il est important de préciser la conception théologique d’un phénomène comme la guerre. Dans l’intérêt des relations entre Églises, il serait utile que le patriarche Cyrille expose sa conception de ce thème, expliquant notamment ce qu’on peut considérer comme une guerre sainte du point de vue de la théologie, quelles peuvent être les fondements à une participation aux opérations militaires, quel est le sens du sacrifice que font les soldats de leur vie sur le champ de bataille.
S’adressant à Sa Sainteté le patriarche Cyrille, le secrétaire général du COŒ par intérim a remarqué : « Nous tenons l’Église orthodoxe russe en haute estime, elle est l’un des membres les plus importants du Conseil œcuménique des Églises. Nous aimerions qu’elle continue à participer au COŒ. Votre contribution au développement de la coopération entre chrétiens depuis tant d’années est inestimable, notamment dans le domaine des relations interorthodoxes et du point de vue du bien apporté à l’unité interorthodoxe. » Selon lui, le COŒ peut être un excellent espace de dialogue entre orthodoxes.
Le patriarche a remercié son hôte de son témoignage sur l’importance de l’orthodoxie dans le mouvement interorthodoxe. « (…) Cette période est particulièrement difficile, mais les difficultés ne viennent pas des Églises, elles viennent du contexte politique, et ce contexte est extrêmement dangereux, a-t-il souligné. Nous ne nous imaginons même pas à quel point nous sommes proches d’une évolution très dangereuse des relations entre les peuples. C’est pourquoi les Églises ne doivent pas jeter d’huile sur le feu, mais tout faire pour éteindre le feu. En ce sens, le Conseil œcuménique des Églises a un rôle très important à jouer, de même que le mouvement interchrétien en général. La position active, mais neutre du Conseil œcuménique des Églises, qui ne soutient aucune des parties prenantes dans le conflit, est, à mon avis, la seule correcte et il faut continuer à s’y tenir. Les Églises ont par nature une dimension pacifique. Si une Églises ou l’autre agite le drapeau de la guerre, appelle à la confrontation, elle agit contrairement à sa nature.
« A mon avis, la crise internationale actuelle est dangereuse, mais pas plus que bien d’autres crises par lesquelles nous sommes passées autrefois. Les Églises ont déjà surmonté ensemble bien des crises. Je pense que nous devons avoir une influence positive sur la situation politique dans la fraternité, la coopération, la coordination, a assuré le patriarche. Dieu fasse que les Églises chrétiennes qui ont interagi positivement les unes avec les autres dans le passé, puissent continuer leur témoignage commun au monde, sans succomber à la tentation de s’allier à quelque force politique que ce soit. »