Dans les articles précédents, nous avons déjà exploré l’interprétation des sources évangéliques au 1er siècle, à l’époque des Pères apostoliques et durant l’époque des Conciles œcuméniques. On peut considérer que la quatrième période de l’histoire de l’interprétation de l’Évangile couvre les dix siècles qui se sont écoulés depuis le 7e Concile œcuménique (en 787) jusqu’à la seconde moitié du 18e siècle.
Continuité de la tradition herméneutique en Orient
Durant cette période, aucun nouveau commentaire original du texte évangélique ne fut écrit, ni aucune nouvelle méthode d’interprétation élaborée dans l’Orient orthodoxe.
Les commentaires de l’Évangile ayant vu le jour alors étaient plutôt des compilations et des reprises. Par exemple, le Commentaire de l’Évangile de Théophylacte de Bulgarie (milieu du 11e siècle – début du 12e) s’appuyait pour l’essentiel sur des auteurs plus anciens, principalement Jean Chrysostome.
L’Évangile est resté une source d’inspiration pour les auteurs religieux en Orient, dont nombre ont commenté les textes de l’Évangile à travers le prisme de leur expérience spirituelle personnelle.
Nous trouvons des commentaires très originaux des textes évangéliques dans les œuvres de Siméon le Nouveau Théologien (11e siècle), de Grégoire Palamas (14e siècle) et de bien d’autres auteurs encore.
L’Occident: de la Tradition à la Réforme
Durant la même période, dans l’Occident chrétien, les Saintes Écritures, Ancien et Nouveau Testaments reçurent définitivement le statut de texte d’autorité incontestable en matière de foi et de morale.
Les textes scripturaires étaient examinés exclusivement à travers le commentaire religieux. Toute interprétation du texte biblique contredisant l’enseignement de l’Église catholique était déclarée hérétique, avec toutes les conséquences qui en découlaient, dont les bûchers de l’Inquisition.
De plus, en Europe occidentale, jusqu’à la Réforme, le texte de la Bible était lu en latin, que peu de gens comprenaient. Cela limitait la possibilité d’accès des simples fidèles au texte biblique. Ils ne le connaissaient que par le biais des sermons des évêques et des prêtres, ainsi que grâce aux commentaires écrits en langue vernaculaire. Un des principaux objectifs des initiateurs de la Réforme amorcée en 1517 fut de traduire la Bible en langues nationales: le fondateur de la Réforme, Martin Luther, a traduit lui-même la Bible en allemand.
«Je ne croirais pas à l’Évangile si cette croyance n’avait pas pour fondement l’autorité de l’Église catholique»
La question de l’importance du texte biblique fut soulevée à l’occasion de la polémique qui a opposé aux 16e et 17e siècles Réforme et Contre-Réforme.
Les dirigeants de la Réforme (Luther, Calvin) avancèrent la doctrine de la suffisance des Écritures, selon laquelle, dans l’Église, seules les Écritures doivent jouir d’une autorité absolue, tandis que les textes doctrinaux ultérieurs, qu’il s’agisse des dispositions des Conciles ou des œuvres des Pères de l’Église, ne peuvent faire autorité que s’ils s’accordent avec l’enseignement des Écritures (les réformateurs les plus radicaux rejetaient tout simplement l’autorité des Pères de l’Église).
D’après les réformateurs, les définitions dogmatiques, les traditions liturgiques et cultuelles qui ne s’appuyaient pas sur l’autorité des Écritures ne pouvaient pas être reconnues comme légitimes, et devaient par conséquent être abrogées.
Contrant le principe protestant de la sola scriptura (lat. «par l’Écriture seule»), les théologiens de la Contre-Réforme soulignaient l’importance de la Tradition, sans laquelle, selon eux, les Écritures n’avaient pas d’autorité. Lors de la dispute de Leipzig en 1519, le contradicteur de Luther affirmait ceci: «L’Écriture n’est pas authentique sans l’autorité de l’Église». Ils signalaient notamment que le canon des Saintes Écritures avait été constitué justement par la Tradition de l’Église, qui avait déterminé quels livres devaient en faire partie et lesquels ne le devaient pas.
Les adversaires de la Réforme se référaient aux propos de saint Augustin: «Je ne croirais pas à l’Évangile si cette croyance n’avait pas pour fondement l’autorité de l’Église catholique».
Lors du concile de Trente, en 1546, fut formulée la théorie selon laquelle les Écritures ne peuvent être considérées comme étant l’unique source de la Révélation divine: la Tradition, en tant que complément des Écritures d’une importance vitale, en est une source non moins essentielle.
La tradition luthérienne, du fait de l’intérêt soutenu qu’elle porte à la Bible comme source unique de la Révélation divine, joua un rôle moteur dans les recherches sur le Nouveau Testament, qui aboutirent au milieu du 18e siècle à l’apparition de la critique biblique.
Cet article fait partie de la série basée sur les six volumes de “Jésus-Christ. Vie et Enseignement” par le métropolite Hilarion Alfeyev, disponible tous les vendredis sur cette page. Pour obtenir votre exemplaire du premier volume, “Début de l’Évangile”, visitez le site des Éditions des Syrtes.