Lettre pastorale pour la résurrection du Seigneur 2024
À tout le clergé, aux communauté monastiques et aux fidèles de l’Archevêché d’Europe occidentale, de l’évêché de Grande-Bretagne et de l’évêché d’Irlande et d’Islande
« Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. » Jean 15, 13
Très-Révérends et Révérends Pères,
Très-Révérendes Sœurs,
Frères et sœurs bien-aimés,
Le Christ est ressuscité !
Venez prendre la lumière ! – ainsi résonne l’appel à la lumière que le Seigneur Jésus-Christ n’a de cesse de lancer par la voix de son Église à travers le monde.
Depuis deux mille ans, le Christ ressuscité ne cesse de déverser sur tout chrétien et même sur toute âme humaine l’éclaircissement du mystère de son Tombeau, demeuré vide, d’où, s’étant fait le Nouvel Adam, Il répand pour nous, pour l’éternité, la vie bienheureuse, dans la lumière de sa Résurrection. La mort et le Tombeau se voient contraints de restituer la Vie. La mort, en cette nuit de la Vie et de la Lumière, se voit ravir son emprise sur nous. Le Christ, sitôt ressuscité, nous dévoile le Tombeau vide et resplendissant de lumière, révélant ainsi que, pour nous aussi, tout n’est pas appelé à s’achever entre les quatre planches d’un cercueil. En effet, de notre corps mortel Il veut faire, par sa Résurrection, le temple lumineux où s’effectue notre rencontre avec Dieu, la demeure de la Très-Sainte Trinité.
De ses mains, de ses pieds et de son flanc transpercés sur la Croix, comme de son Tombeau, jaillit à présent la Lumière par laquelle nous sommes submergés de cet amour sans limite que Dieu a pour l’homme fait à son image et à sa ressemblance.
Dans le cœur de celui qui, à la lumière et dans l’espérance de la Résurrection, tente de se frayer une voie ici-bas, l’Esprit Saint déverse en abondance grâce et bénédictions, sources d’espérance et d’allégresse et de la douce assurance que notre vie, octroyée par Dieu selon son bon vouloir, n’est pas destinée à la mort. Si notre mort est une certitude, notre résurrection demeure une promesse. Nous voyons la mort s’approcher toujours plus à chaque instant, nous effleurer jour après jour. Or à la lumière de la Résurrection du Fils unique-engendré, le Père céleste nous manifeste chaque jour de la Semaine Sainte que dans aucune circonstance de notre vie Il ne nous abandonne à nous-même, quelle que soit la souffrance que nous portions, car son Fils nous accompagne bel et bien à chaque pas, jusqu’au tombeau et jusqu’au-dedans du tombeau, jusque dans la mort même, dont Il est en mesure de nous relever avec Lui, si nous croyons en Lui.
En Lui et par Lui nous sommes affranchis des liens de l’inexorable mort qu’Il a anéantie par sa propre mort. Il ne dissimule aucunement les souffrances qu’Il affronte pour nous ni les persécutions futures que subiront ceux qui croient en Lui, pas plus qu’Il ne cache le fait que toutes les douleurs subies en son nom se transformeront en joie, quand l’âme éprouvée tressaillira sous la douceur réconfortante de l’Esprit Saint. Le Père lui-même vous aime, dit Jésus à ses disciples, parce que vous m’avez aimé et que vous avez cru que je viens de Dieu […]. Je vous ai dit ces choses, afin qu’en moi vous ayez la paix. Dans le monde, vous aurez des tribulations, mais prenez courage. J’ai vaincu le monde (Jn 16, 33). Osons poursuivre la Lumière du Christ, guettons-la, désirons-la afin de pouvoir renoncer à notre ego et à notre volonté propre, à l’orgueil qui nous subjugue, et à tous les désirs adverses, afin que, l’âme empreinte de la grâce de la Résurrection, nous puissions porter un regard plus lucide sur notre vie et la voir telle qu’Il nous l’a préparée, et telle qu’Il la conçoit Lui-même pour nous.
Frères et sœurs bien-aimés,
Jésus Christ, en nous apportant le pardon, a vaincu le monde du péché, mais Il a également aboli le fruit de la désobéissance de nos protoparents : la mort (cf. Gn 2, 16-17). En Lui, osons vivre différemment : laissons-nous inonder non seulement de cette vie terrestre qui vient de la terre et retourne à la terre, mais encore de la vie nouvelle, de la vie divino-humaine du Christ qui nous conduit avec elle au-delà de la tombe, qui pénètre de sens et de lumière tout ce qui nous environne. En Lui, par la foi, notre vie devient lumière et se transforme en liesse, car la mort et le monde des ténèbres n’ont plus d’emprise en nous, tout se teinte d’espérance. Le Ressuscité, l’Éternel Vivant est tout entier en nous, Il nous abreuve de l’eau vive (Jn 4, 10) de sa grâce et nous nourrit du pain qui descend du ciel et qui donne la vie… (Jn 6, 33-41). Ce pain, c’est Lui-même, Jésus Christ – le Fils de Dieu. C’est ici le pain qui descend du ciel, afin que celui qui en mange ne meure point. Je suis le pain vivant descendu du ciel. Quiconque mange de ce pain vivra éternellement. Et le pain que je donnerai, c’est ma chair, laquelle je donnerai pour la vie du monde (Jn 6, 50-51).
Qui abreuve son âme à la source d’eau vive du Christ voit sa vie tout entière resplendir à la Lumière de la Résurrection de Celui qui se fait notre nourriture forte et salvatrice, nous permettant dès cette vie de goûter à la réalité et à la splendeur du Paradis, du Royaume qu’Il nous a préparé.
Je suis la Résurrection et la Vie, dit le Sauveur à Marthe et Marie, les sœurs de Lazare, avant de rappeler celui-ci à la vie, après quatre jours passés dans le tombeau. L’énoncé de cette vérité fait suite à l’accomplissement de la parole par laquelle Lazare, qui était presque redevenu glaise, ressuscita. Par-là, le Seigneur nous révèle plus intensément encore sa puissance créatrice et vivifiante, l’énergie œuvrante que recèle sa parole, Lui qui nous dit et dira à l’humanité tout entière jusqu’à la fin des temps : Je suis la Résurrection et la Vie ; celui qui croit en moi vivra, quand même il serait mort. Et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais (Jn 11,25-26).
En disant Je suis la Résurrection et la Vie, le Seigneur éclaire en notre cœur le fait que la résurrection n’appartienne pas seulement à un avenir lointain, au jour du Jugement ou à la fin de ce monde, mais qu’elle a lieu ici et maintenant, le Christ étant présent. Il nous confie que la résurrection intérieure de l’homme dépend de la rencontre avec la personne de Jésus Christ et de la foi que nous avons en Lui. Il nous révèle de plus que nous ne vivons véritablement qu’à partir du moment où nous entrons dans une relation personnelle et authentique avec Dieu.
À Béthanie, au tombeau où reposait son ami Lazare, voyant la souffrance causée à l’homme par la présence destructrice de la mort, Jésus soupira en esprit et fut troublé en lui-même, nous dit saint Jean (Jn 11, 33). Il pleure, car Il connaît ce que souffre l’homme en proie à la mort, Lui qui est venu pour que les hommes aient la vie et qu’ils l’aient en abondance (Jn 10,10). Le retour à la vie de Lazare marque le pouvoir que le Fils de Dieu a sur la vie et sur la mort, et préfigure sa propre mort, son ensevelissement et sa résurrection, dont Il a parlé à ses disciples (cf. Jn 12, 7 et Mt 26, 61). Il expose au grand jour le fait que le tombeau – celui de Lazare puis le nôtre –, habité par la mort et les ténèbres, deviendra, par la foi, le lieu de la manifestation de la présence salvatrice de Dieu. Le tombeau deviendra l’espace de la rencontre avec la Lumière du Christ, divine, incorruptible, qui ne peut être recouverte par les ténèbres adverses du péché. C’est précisément cette lumière qui donne la clé pour comprendre l’existence du monde et la vie. Les apôtres Pierre, Jacques et Jean, afin de rendre témoignage au monde, furent les premiers témoins, sur le Thabor, de cette Lumière divine. Devant eux, il fut transfiguré, il resplendit comme le soleil, et ses vêtements devinrent blancs comme la lumière (Mt 17, 2). Cette même Lumière se laissa également voir à ceux qui gardaient le Tombeau du Seigneur – les soldats romains qui, sans le savoir, gardaient la Vie même, qui avait été ensevelie. Ils furent alors éveillés à une réalité nouvelle, divine et humaine à la fois, remplie d’une Lumière autre que celle qu’ils avaient connue jusqu’alors, une lumière qu’ils n’avaient pas même soupçonnée. Cela nous donne la force de comprendre que le Christ, Dieu et Homme, par la Résurrection, donne à tout jamais un nouveau départ à la création. Il recrée l’homme en Lui-même – Nouvel Adam – l’arrachant à la fosse et à l’argile de la mort pour l’introduire dans cette Lumière qui le guidera éternellement vers le Royaume de Dieu, vers le salut.
D’ores et déjà, en cette nuit de la Résurrection du Logos divin, la parole prononcée par Dieu à la Création du monde : Que la lumière soit (Gn 1, 3) s’accomplit dans sa signification profonde et éternelle, car ce n’est qu’à présent que la véritable et unique Lumière nous révèle Dieu tel qu’Il est, et le plan de son amour sans limites par lequel Il nous a préparé la vision et l’entendement véritables. Avec sa Résurrection, toute chose se voit prendre un nouveau commencement.
Frères et sœurs bien-aimés,
Dans les Évangiles, le Christ-Seigneur apparaît comme lumière, et révèle sa Lumière. Le saint apôtre et évangéliste Jean rapporte dans le prologue de son Évangile : Le Verbe était la Lumière véritable qui éclaire tout homme venant dans le monde (Jn 1, 9). Notre attention est portée sur les choix que nous avons à faire et sur les œuvres que nous accomplissons, car viendra le temps où ceux-ci seront scrutés et évalués sous le rayonnement de cette Lumière qu’Il nous a dévoilée. Or le péché est précisément le fait de ne pas recevoir la Lumière : Et ce jugement c’est que, la lumière étant venue dans le monde, les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises. Car quiconque fait le mal hait la lumière, et ne vient point à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient dévoilées (Jn 3,19-20). Et le Seigneur de nous aviser : Prends donc garde que la lumière qui est en toi ne soit ténèbres (Lc 11, 35), faisons donc place à la Lumière du Christ, la laissant resplendir en nous sans qu’elle soit obscurcie par quelque œuvre de ténèbre. Qui accueille la Lumière recueille le salut.
La Lumière du Christ nous parvient par la Croix, par laquelle Dieu descend sur terre et l’homme monte au Ciel. Seule la Croix conduit à percevoir la lumière de la Résurrection. Par la Croix, le Seigneur a anéanti la mort et tout ce qui y conduit : la haine et l’absence de pardon, l’orgueil insensé et la violence. La Lumière de la Résurrection est une lumière d’une autre nature, qui nous procure un regard nouveau sur la vie et sur le monde, sur le Ciel et sur la Terre, sur ce que Dieu attend de nous, Lui qui s’est donné à nous.
« Le Seigneur est appelé lumière, vie, résurrection et vérité, écrit Saint Maxime le Confesseur. Il est Lumière, car Il est la splendeur des âmes, Il dissipe les ténèbres de l’ignorance, Il éclaire l’intelligence pour qu’elle comprenne les choses cachées, et Il révèle les mystères visibles aux seuls purs. Il est la Vie, car Il dispense le mouvement qui convient aux âmes, lorsqu’elles aiment le Seigneur dans les choses divines. Il est la Résurrection, car Il éloigne du penchant mort pour les choses matérielles l’intelligence pure de toute corruption et de toute mortalité. Et Il est la Vérité, car, à ceux qui en sont dignes, Il donne de connaître l’état immuable des biens » .
Par les œuvres de notre amour envers notre prochain, accomplies dans la Lumière du Christ, notre âme reçoit l’éclairement et la capacité d’appréhender les mystères de l’amour de Dieu. Le Saint-Synode de l’Église Orthodoxe Roumaine consacre chaque année à un thème qu’il nous appartient d’approfondir au sein de nos communautés, afin d’en mûrir la dimension pastorale, mais également spirituelle et théologique. Nous nous penchons cette année sur la question de la sollicitude envers les malades, et commémorons à cette occasion toute la synaxe des saints guérisseurs et anargyres de notre Église. L’Église du Christ nous appelle à prendre soin de notre prochain, quels que soient la souffrance ou le dénûment qu’il endure. C’est en effet de cette manière que nous deviendrons disciples du Christ miséricordieux et aimant, souffrant avec ceux qui souffrent et nous réjouissant avec ceux qui se réjouissent.
Ce monde où nous vivons aujourd’hui exige que nos œuvres soient pénétrées de la lumière de la foi. Le Christ vient à notre rencontre, tout pécheurs que nous soyons, et nous guérit du péché par le pardon. Il nous enseigne : Lorsque vous vous présenterez pour faire votre prière, si vous avez quelque chose contre quelqu’un, pardonnez-lui, afin que votre Père qui est aux cieux vous pardonne aussi vos fautes (Mc 11, 25). Le pardon du cœur doit toujours être suivi de l’acte visible et corporel que le Sauveur a Lui-même déployé sous le regard de ses disciples : Si donc je vous ai lavé les pieds, moi, le Seigneur et le Maître, vous devez aussi vous laver les pieds les uns aux autres (Jn 13, 14). Quelle leçon d’humilité de la part de Dieu ! Il manifeste par là le mystère du pardon qui se cache dans le mystère de son amour pour l’homme. Rien ne peut retenir le Christ-Seigneur d’aimer l’homme : ni le fait de s’humilier, ni la souffrance de la Croix, ni l’indifférence de l’homme, ni son arrogance, ni son aveuglement, ni son ignorance, ni son mensonge, ni son intempérance, ni même sa haine ! Il les endosse et les purifie dans le bain de sa miséricorde magnanime et incommensurable, en nous demandant de Le suivre par des actes.
Le Christ est ressuscité et nous a apporté en offrande la Vie et la Lumière par-delà la mort, c’est-à-dire Lui-même. Or, quand et par quel biais nous octroie-t-Il cette Vie et cette Lumière recelant la force d’outrepasser les ténèbres et la mort ? C’est par les saints Mystères. Par l’Esprit Saint qui nous est imparti au baptême et à la Liturgie, nous sommes inondés de la Lumière et de la Vie du Christ et devenons des êtres de Résurrection. C’est dans cette Lumière que nous tentons de vivre. Et saint Pierre de nous rappeler : Vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple acquis par Dieu afin que vous annonciez les vertus de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière (1 P 2, 9).
Que ce saint Jour vous procure tant la quiétude que l’allégresse, qu’il vous inspire une ardente prière pour le monde, afin que la concorde et l’harmonie entre les peuples s’y installent et que nous puissions exulter dans l’espérance retrouvée de la vie et du salut, nous qui devenons à présent des êtres de Lumière, des fils de la Résurrection.
Le Christ est ressuscité !
† Joseph, archevêque d’Europe occidentale et métropolite d’Europe occidentale et méridionale
Paris, Pâque 2024.
3 mai 2024