Nous vous proposons ci-dessous le texte du message adressé par le patriarche Bartholomée le 5 octobre 2021 au Vatican à l’occasion d’une conférence internationale consacrée à l’éducation.
Votre Sainteté,
Très honorables représentants religieux,
Distingués participants,
L’éducation de la jeune génération est l’un des défis les plus difficiles que nos sociétés sont appelées à résoudre. À notre époque, à la tâche par essence complexe de l’éducation s’ajoutent de nouvelles difficultés liées à la singularité de notre époque. Le développement spectaculaire de la science et de la technologie, le déferlement de l’information et de l’Internet, la mondialisation et l’omnipotence des critères économiques, la sécularisation, les changements sociopolitiques, le multiculturalisme et le pluralisme, la lutte pour l’identité culturelle, le fondamentalisme religieux et bien d’autres choses encore, créent de puissants obstacles à la dimension fondamentale de notre société et de notre civilisation. De précieuses traditions sont brisées, la liberté humaine est interprétée à tort comme « l’art de contourner les limites », l’individualisme et la conception liberticide du respect des droits de l’homme se répandent partout. Ainsi, préserver l’orientation humaniste de l’éducation et le caractère pédagogique des écoles devient de plus en plus difficile. Les classiques grecs perçoivent la vision de l’éducation comme « la convergence de l’âme » vers le bien (Platon, République 518d). La sagesse grecque détermine également que la véritable éducation ne nous prépare pas simplement à réaliser ce que nous désirons, mais à désirer ce que nous devons – à savoir, ce qui sert la vertu et la vérité. En effet, l’éducation est liée à ce que l’humanité devrait être plutôt qu’à ce qu’elle est.
Aujourd’hui, nous découvrons à nouveau l’importance vitale de l’éducation en tant que transmission de valeurs, qui oriente l’être humain vers ce qui est essentiel dans la vie. Dans la mesure où ce processus passe par le canal d’une relation adéquate entre l’enseignant et l’élève, le rôle pédagogique de l’enseignant et la responsabilité critique des élèves sont à nouveau soulignés.
L’enseignant et l’élève authentiques constituent des éléments inestimables, qui ne peuvent être écartés, mais doivent être préservés comme irremplaçables. Un enseignant qui intervient durant les périodes de l’enfance et de l’adolescence – lorsque les bases de l’orientation des valeurs et du développement du caractère sont établies – n’est pas un facteur anonyme d’éducation qui transmet des connaissances utiles, mais un pédagogue qui aide l’élève à acquérir une perception de la profondeur de la réalité, à hiérarchiser ses désirs et ses ambitions, et à comprendre la valeur de la responsabilité sociale. Un tel pédagogue s’intéresse toujours à la liberté de ses élèves et vise à les soutenir dans leur lutte pour utiliser cette liberté à bon escient. Un pédagogue n’impose pas mais exhorte ; il invite et accompagne, sachant pertinemment que la liberté et la responsabilité nécessitent du temps et des efforts pour s’enraciner et être cultivées. Le pédagogue enseigne par ce qu’il est, par sa personnalité, par le rayonnement de son âme, par son exemple, par son identification inconditionnelle à sa « mission sacrée ».
En conséquence, le pédagogue forme des « élèves » véritables qui reconnaissent l’effort et l’intérêt de leur maître, de sorte que l’idéal de la formation du disciple est enregistré dans leur conscience comme un héritage cher pour toute leur vie. Il est certain que tout pédagogue qui n’a pas cet « ethos » ne peut mettre en œuvre avec succès l’objectif de l’éducation. Seule une idée qui « prend chair » peut influencer quelqu’un. Une idée qui reste un mot ne peut que changer les mots. En effet, un enseignant véritable constitue la pierre angulaire essentielle de l’éducation.
Naturellement, seuls les enseignants véritables peuvent contribuer à une confrontation positive des grands problèmes contemporains dans le domaine de l’éducation. Ils joueront, par exemple, un rôle important pour surmonter les problèmes éducatifs créés et entretenus par la pandémie du coronavirus. Ils feront prendre conscience de l’importance de l’éducation religieuse dans les écoles pour l’éducation spirituelle et sociale des jeunes. Et ils enseigneront à la jeune génération la fonction du dialogue, l’esprit de l’échange interculturel et la valeur de la coexistence pacifique avec l’autre, le différent.
Nous voudrions souligner la contribution de l’éducation religieuse en matière de coexistence entre les différentes cultures dans les sociétés contemporaines. Dans ce contexte, les enfants et les jeunes hommes ou femmes comprendront que l’intérêt pour le développement de leur identité religieuse personnelle ne constitue pas un obstacle à la communication avec les autres, tout en constituant également la base et la condition préalable à l’ouverture aux autres. Seuls ceux qui possèdent et apprécient une identité particulière sont en mesure de manifester un véritable intérêt pour l’identité des autres également, et sont donc capables de communiquer et de collaborer avec les autres.
La présence et la bonne organisation de l’identité religieuse dans le domaine de l’éducation sont d’une importance cruciale pour l’avenir de l’humanité. Les jeunes doivent recevoir l’enseignement d’une religion :
– qui met l’accent sur l’identité spirituelle et la destinée éternelle de tous,
– qui offre des réponses aux grandes questions existentielles et à la quête du sens de la vie,
– qui détermine l’identité des peuples et des cultures, qui a préservé des traditions spirituelles inestimables, ainsi que le respect de la création,
– qui résiste aux tendances conduisant à la diminution du caractère sacré de la personne humaine,
– et qui peut contribuer de manière décisive à la paix et à la réconciliation, ainsi qu’à la culture d’une civilisation de solidarité et de fraternité.
Compte tenu du fait que la religion est aujourd’hui fréquemment utilisée par les milieux fondamentalistes comme un vecteur de division et de conflit, une bonne éducation religieuse – en tant qu’éducation à la paix – revêt une importance particulière. Elle prépare les enfants et les jeunes hommes ou femmes à participer à la création d’un monde de paix, où les êtres humains peuvent voir dans le visage de leurs semblables un frère et une sœur, plutôt qu’une menace ou – pire – un ennemi.
Votre Sainteté,
Chers amis,
La qualité de la vision d’une société est jugée par la façon dont elle évalue et organise l’éducation de la jeune génération, ainsi que par la façon dont elle perçoit l’école et les objectifs de l’éducation, y compris le rôle de l’enseignant et de l’élève. Nous félicitons les organisateurs de cette assemblée qui est consacrée à l’inépuisable question de l’éducation en relation avec la religion. Et nous sommes reconnaissants de l’occasion qui nous est donnée de nous adresser à vous.
Merci beaucoup pour votre aimable attention ! »