Dans l’article précédent, nous avons examiné le contexte fourni par l’Évangile de Luc pour mieux comprendre la période de rédaction des Évangiles synoptiques. Dans cet article, arrêtons-nous sur l’Évangile de Jean.
L’Évangile de Jean: un évangile à part
L’Évangile de Jean est une suite de témoignages livrés par un témoin oculaire des événements. Bien que certains épisodes de l’Évangile de Jean recoupent ceux qui sont décrits chez les synoptiques, la similitude textuelle ne se laisse observer que sporadiquement.
À la différence des trois autres évangélistes, Jean ne cherche pas à décrire les événements étape par étape: son Évangile s’adresse à un lecteur qui connaît déjà la trame générale de la vie terrestre de Jésus d’après les autres Évangiles. C’est probablement une des raisons pour lesquelles Jean prête attention à des détails qui ont échappé aux autres évangélistes, et néglige de nombreux événements et propos de Jésus qui étaient déjà connus grâce à leurs écrits.
L’ensemble du quatrième Évangile est construit selon un seul et même principe: à chaque principe théologique correspond un épisode, qui n’a d’importance que parce qu’il illustre ce principe.
Dans chaque événement réel, Jean perçoit une parabole, une image, un symbole. Ainsi, il n’a pas besoin, comme chez les synoptiques, de paraboles pour mettre en lumière l’enseignement théologique de Jésus. Pour lui, il semble bien plus important de saisir le sens symbolique des événements réels de la vie de Jésus que de rapporter ses paraboles déjà consignées par les autres évangélistes.
Hypothèses sur la datation de l’Évangile de Jean
D’après Irénée de Lyon, l’Évangile de Jean a été écrit à Éphèse. Parmi les autres lieux possibles de sa rédaction, les chercheurs modernes ont cité Alexandrie, Antioche, la Transjordanie septentrionale, mais la majorité des spécialistes s’en tiennent à la localisation traditionnelle qui remonte à Irénée.
Différentes hypothèses existent concernant l’époque où l’Évangile de Jean est apparu.
La tradition antique de l’Église et la science moderne s’accordent pour dire que cet Évangile a été écrit plus tard que les autres.
De nombreux chercheurs datent la rédaction définitive de l’Évangile de Jean de la fin du 1er siècle; cependant, quelques voix s’élèvent en faveur d’une datation plus ancienne. John Robinson estime, par exemple, que l’Évangile de Jean a vu le jour avant la destruction du Temple de Jérusalem en l’an 70 (cf. son livre The Priority of John, 1985).
La formation du texte selon Raymond Brown
Le grand spécialiste du Nouveau Testament, Raymond Brown (1928-1998), qui a consacré plusieurs décennies à l’étude du quatrième Évangile, distingue cinq étapes au cours desquelles, selon lui, le texte de cet Évangile s’est constitué:
- Existence dans la tradition orale d’un matériau sur la vie et l’enseignement de Jésus, distinct de celui qui a formé la base des Évangiles synoptiques
- Sélection, présentation et remaniement de ce matériau par l’auteur sous une forme orale
- Première version écrite de l’Évangile
- Deuxième version faite par le même auteur
- Version finale, par un rédacteur
Raymond Brown attribue notamment à ce rédacteur hypothétique l’entretien de Jésus avec les disciples lors de la Cène (Jn 15-17), de même qu’un certain nombre d’autres passages qui, selon lui, n’appartiennent pas à l’évangéliste.
Brown précise cependant lui-même qu’il s’agit d’une hypothèse de travail, et admet qu’elle présente des incohérences. Cette hypothèse permet d’expliquer, par exemple, pourquoi lors de la Cène, après les paroles de Jésus «Levez-vous, partons d’ici» (Jn 14:31), personne ne se lève; au contraire, Jésus continue de parler et prononce le plus long des enseignements du quatrième Évangile.
À notre avis cependant, attribuer trois chapitres de l’Évangile de signification théologique capitale à un rédacteur hypothétique ultérieur, réduit considérablement leur valeur.
Il semble plus probable que ces incohérences soient le résultat du travail de l’auteur lui-même sur son texte (par exemple, lors de la préparation de la deuxième version) ou bien de celui d’un rédacteur, travail qui aurait consisté non pas en l’écriture de nouveaux textes, mais seulement en un réagencement du matériau dont l’auteur était l’évangéliste Jean.
D’ailleurs, ces incohérences peuvent se révéler, au fond, illusoires. Selon une hypothèse existante, après les mots «Levez-vous, partons d’ici», les disciples se sont effectivement levés et sont partis, et Jésus a poursuivi la discussion en se dirigeant vers le jardin de Gethsémani.
Un témoin véritable de Jésus
Outre le quatrième Évangile, Jean est l’auteur de trois épîtres et de l’Apocalypse, qui ont, eux aussi, été inclus dans le Nouveau Testament.
Le corpus des écrits de Jean occupe une place à part dans le Nouveau Testament. Tout comme Paul, Jean est l’un des fondateurs de la théologie chrétienne, car il a inscrit l’histoire évangélique dans une perspective théologique précise. Ce n’est pas un hasard si la Tradition de l’Église a donné à Jean le titre de Théologien.
Jean commence sa première épître par les remarquables paroles suivantes:
«Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché, concernant la parole de vie, – car la vie a été manifestée, et nous l’avons vue et nous lui rendons témoignage, et nous vous annonçons la vie éternelle, qui était auprès du Père et qui nous a été manifestée, – ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons, à vous aussi, afin que vous aussi vous soyez en communion avec nous. Or, notre communion est avec le Père et avec Son Fils Jésus-Christ.»
1 Jn 1:1-3
Ces paroles reflètent pleinement la motivation de l’auteur du quatrième Évangile, qui a pris la décision de coucher sur le papier ce qu’il avait vu de ses propres yeux, ce qu’il avait contemplé et touché de ses mains. C’est un témoin véritable, qui a vu et participé aux événements qu’il décrit, et le texte du quatrième Évangile en apporte de nombreuses preuves tangibles.
Cet article fait partie de la série basée sur les six volumes de “Jésus-Christ. Vie et Enseignement” par le métropolite Hilarion Alfeyev, disponible tous les vendredis sur cette page. Pour obtenir votre exemplaire du premier volume, “Début de l’Évangile”, visitez le site des Éditions des Syrtes.