Monseigneur Antoine Bloom, Étapes de la vie spirituelle, Éditions des Syrtes, col. Poche, 153 pages, 2022, 9 euros.
L’ouvrage rassemble la transcription des paroles de Mgr Antoine lors d’une retraite œcuménique à l’abbaye Sainte-Gertrude à Louvain en Belgique en 1969. Le titre du livre reprend le thème général de cette retraite. Dans sa Préface, Olga Lossky-Laham, après avoir présenté l’auteur, et les circonstances à l’origine de ce livre, souligne que « ce maitre sûr », Mgr Antoine, « sait éveiller pas à pas en nous la conscience de la Présence divine ».
Le thème des étapes de la vie spirituelle est présent dès les origines du christianisme. Dans les Évangiles, comme avec les paraboles du levain (Matthieu XIII, 33) et du vêtement de noce (Matthieu XXII, 11-14), parmi d’autres ; il se retrouve dans les épîtres de l’apôtre Paul (par exemple Philippiens III, 12-15 ou Éphésiens IV, 13), chez Grégoire de Nysse avec la notion d’épectase, comme dans sa Vie de Moïse ou ses Homélies sur le Cantique des cantiques, ou dans les « degrés de perfection » dans Les Homélies spirituelles de saint Macaire le Grand, ou encore dans L’Échelle sainte de saint Jean Climaque. Ce thème rejoint celui de la conversion omniprésente dans toute la littérature ascétique et théologique et qu’évoque à plusieurs reprises Mgr Antoine dans cet écrit. Au XXe siècle, cette question a été abordée par de nombreux auteurs comme Paul Evdokimov dans Les âges de la vie spirituelle (Desclée de Brouwer, 1964), par Dumitru Staniloae dans Théologie ascétique et mystique de l’Église orthodoxe (trad. française : Cerf, 2011), ou plus récemment par l’archimandrite Zacharias (Zacharou) dans Souviens-toi de ton premier amour. Les trois stades de la vie spirituelle dans la théologie de saint Sophrony l’Athonite (Apostolia, 2020), pour ne prendre que quelques exemples [1].
Pour illustrer son propos, Mgr Antoine s’appuie principalement sur les passages des Évangiles lus dans l’Église orthodoxe lors des dimanches qui précèdent et préparent l’entrée dans le Carême (le « Grand Carême »). Peu d’années après cette rencontre, il reprend ces mêmes passages dans son ouvrage intitulé Voyage spirituel (trad.fr. Éditions du Seuil, 1974) [2]. Il débute ce dernier ouvrage en affirmant : « Contrairement à l’opinion générale, une période d’effort spirituel (pendant le Carême, par exemple, ou au cours d’une retraite) est un temps de joie : c’est le moment du retour à la maison, l’instant où nous revenons à la vie. » C’est la même tonalité qui s’exprime dans l’ouvrage récemment paru aux Éditions des Syrtes. Concernant cette période préparatoire, il estime (p.13-14) : « Ces semaines de préparation au Carême sont donc orientées sur nous-mêmes, mais à la fin de ces semaines, nous devrions pouvoir nous oublier afin d’entrer dans une vision qui nous dépasse et qui, en même temps, nous amène à cette plénitude de confiance qui seule peut nous conduire à une conversion vraie, à un retour vers le Seigneur et à une entrée dans une nouvelle relation avec lui. » Toutefois, il commence par deux passages, qui relatent une tempête sur le lac de Génésareth (Matthieu XIV, 22-33 et Luc VIII, 22-25), qui ne sont pas lus lors de cette période. Cela pour mieux faire comprendre « la place que le Seigneur occupe dans la tragédie humaine, qu’elle soit individuelle, qu’elle soit celle de nations entières, qu’elle soit celle de l’humanité présente, passée et à venir » (p.21), mais aussi (p.25) « la place que nous devons occuper en tant que chrétiens dans la tempête de l’histoire, dans la tragédie de la famille, dans le drame humain. » Rappelant la Passion et la Crucifixion, il remarque (p.28) « en Christ nous sommes placés au-delà de la tempête, à l’intérieur de sa mort, et que nous nous sommes trouvés emportés […] par l’expérience que nous avons de Dieu dans la résurrection ». Plus loin (p.116), il observe aussi : « Toutes les circonstances humaines contribuent à notre devenir intérieur ».
Ces prémices étant posées, les passages examinés (l’aveugle Bartimée, Le publicain et le pharisien, Zachée) illustrent le retour sur soi et à la vérité de l’être, par-delà l’aveuglement et le souci de la conformité aux apparences, pour entrer en dialogue avec Dieu. Le cœur de cette démarche, et des propos de Mgr Antoine, est la métanoïa, la conversion/retournement (p.48) : « La présence de Dieu se manifeste dans la vie de Zachée par une vraie conversion, par un acte de repentance et de “metanoia”, qui est une réorientation complète de la vie. » Aussi, il n’est pas étonnant que la parabole du fils prodigue soit celle dont le développement de l’analyse s’étend sur le plus grand nombre de pages.
L’ouvrage se poursuit (de la page 87 à la page 153) par les réponses aux questions posées par les participants. Celles-ci portent aussi bien sur les passages sollicités des Évangiles, mais aussi, plus généralement sur le cheminement vers Dieu dans la vie de chacun. Cela permet à Mgr Antoine d’aborder, ou d’approfondir, différentes questions comme la confrontation avec la mort, le pardon, la découverte du monde invisible, l’expérience de Dieu, la solidarité profonde des êtres humains et d’autres. Pour y répondre, il s’appuie notamment sur son expérience humaine et pastorale ainsi que sur les écrits de la tradition patristique et ascétique.
Un livre qui nous permet de revisiter quelques-unes des paraboles évangéliques capitales pour l’éveil et la croissance spirituelle et de les relire avec une fécondité qui s’avère toujours renouvelée.
Christophe Levalois
[1] Parmi les autres essais qui abordent cette question, citons celui, substantiel, d’Ysabel de Andia, La Voie et le Voyageur. Essai d’anthropologie de la vie spirituelle, Cerf, 2012, 1024 pages. Dans cet ouvrage, la mystique occidentale est aussi convoquée.
[2] Version originale : Meditations on a Theme (a Spirituel Journey), Alden & Mowbrays Ltd, 1972.
Source de la photographie ci-dessus : Wikipédia.