Anatolii Babynskyi, L’Église gréco-catholique ukrainienne. Une brève histoire, éd. Salvator, 2024, 207 pages, 20 euros.
Le dernier concile entre catholiques et orthodoxes s’est tenu en 1438 et 1439 dans les villes italiennes de Ferrare et de Florence. Il avait pour objectif d’unifier les Églises catholique et orthodoxe. Si l’union fut proclamée à la fin de cette rencontre, celle-ci ne dura officiellement que quelques années. En effet, l’union fut rapidement rejetée en Russie et après la chute de Constantinople (1453) pour les orthodoxes hellénophones. Toutefois, la dynamique et les décisions du concile de Ferrare-Florence ne furent pas oubliées. Sur les terres de l’actuelle Ukraine, des clercs et des évêques souhaitèrent maintenir l’union avec Rome et avec Constantinople. Cela se traduisit en 1596 par le synode de Brest-Litovsk qui rattacha une partie des orthodoxes de cette partie de l’Europe à Rome, mais entraina une rupture de ceux-ci avec Constantinople et l’Église orthodoxe. Cette décision fut à l’origine de l’Église gréco-catholique ukrainienne. Le même processus s’est déroulé un siècle plus tard dans l’actuelle Roumanie avec le synode d’Alba Iulia en 1698 dont est issue l’actuelle Église gréco-catholique roumaine.
Cet ouvrage récemment paru d’Anatolii Babynskyi, lui-même docteur en histoire des religions et maître de conférences à l’Université catholique d’Ukraine, explore cette histoire complexe. Il la commence bien avant l’émergence de ce que l’on a longtemps nommé les Églises uniates, c’est-à-dire les Églises unies à l’Église catholique romaine tout en ayant conservé un rite non latin. Aujourd’hui, on emploie l’expression d’Églises catholiques orientales. Notons au passage qu’en 1993, par la Déclaration de Balamand, l’Église catholique et l’Église orthodoxe ont affirmé conjointement que l’uniatisme est une « méthode d’union du passé ». L’ouvrage donc remonte bien antérieurement à ces questions, au début de la christianisation de ce qui est aujourd’hui l’Ukraine et qui était à l’époque la Rusʹ de Kiev. Il suit l’histoire des siècles suivants en mettant en valeur la position d’intermédiaire entre Rome et Constantinople de ces communautés pour mieux faire comprendre le choix exprimé en 1596 par le synode de Brest-Litovsk. Ceux qui ne suivirent pas ce choix restèrent au sein de l’Église orthodoxe.
Ce furent ensuite des siècles de luttes pour conserver la spécificité de ce choix. Il fut tour à tour politiquement approuvé et appuyé quand il s’agissait d’un État majoritairement catholique tâchant de réduire l’orthodoxie y compris par la contrainte, comme le royaume de Pologne ou l’empire des Habsbourg, ou combattu et opprimé quand le pouvoir politique soutenait l’orthodoxie comme au XIXe siècle avec par exemple l’action de Joseph Semachko (1799-1866), métropolite orthodoxe de Lituanie et de Vilnius. Comme le souligne la Déclaration de Balamand « cela se produisit non sans l’intervention d’intérêts extra-ecclésiaux » ! Les gréco-catholiques furent martyrisés par le régime communiste et furent forcés d’intégrer en URSS (synode de Lviv en 1946) l’Église orthodoxe elle aussi martyrisée. Il faut ajouter à ces cortèges de malheurs que les relations avec Rome et les autorités latines locales ne furent pas simples et que les gréco-catholiques durent aussi lutter pour faire admettre et conserver leur rituel avec les différents usages spécifiques tout en validant le dogme catholique et bien sûr en reconnaissant l’autorité papale. C’est à partir du XVIIIe siècle que la papauté interdit expressément (une encyclique en 1743 et une lettre apostolique en 1894) la latinisation des rites des Églises catholiques orientales.
Le livre d’Anatolii Babynskyi permet de découvrir tout un pan méconnu de l’histoire religieuse et chrétienne de l’Europe, durant un millier d’années, et de suivre la destinée héroïque, pleine de ferveur et souvent tragique de la communauté gréco-catholique ukrainienne.
Christophe Levalois
